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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 8 mars 2011 à 10h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je remercie vivement la commission des finances et la mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale de m'avoir donné la possibilité de leur présenter dans les meilleurs délais le rapport public thématique portant sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne. Pour ce faire, je suis accompagné du président Christian Babusiaux et du rapporteur général de cette publication, M. Raoul Briet, qui ont dirigé et mené les travaux, ainsi que des auditeurs Éric Dussoubs et Jérôme Brouillet. J'ai remis ce rapport au Président de la République vendredi dernier et l'ai rendu public immédiatement ; il est en ligne sur le site de la Cour mais je regrette que les délais d'impression empêchent la plupart d'entre vous de l'avoir entre les mains aujourd'hui.

Le Président de la République avait appelé de ses voeux, en août dernier, un vaste travail de comparaison fiscale entre les deux pays. Nous avons décidé d'inscrire cette enquête au programme de la juridiction et nous l'avons conduite en nous appuyant sur les méthodes et procédures habituelles de la Cour, c'est-à-dire dans le respect des principes de contradiction et de collégialité. Nous avons aussi un peu innové, en mettant en place un groupe ad hoc d'experts éclairant les travaux de la juridiction et en organisant de très nombreuses consultations et auditions de responsables économiques, d'experts, sans oublier les partenaires sociaux, organisations d'employeurs et syndicats de salariés. Ce sont des méthodes que nous souhaitons désormais appliquer plus généralement en matière d'évaluation des politiques publiques. D'ailleurs, par certains aspects, notre rapport est une évaluation comparée des politiques fiscales de la France et de l'Allemagne.

Il s'agit bien d'un rapport de la Cour des comptes, non d'un rapport conjoint avec la partie allemande, à savoir le ministère fédéral des finances. Certes, nous avons eu des échanges techniques fructueux et confiants avec nos partenaires allemands, mais le rapport est établi sous notre seule responsabilité. Il s'inscrit d'ailleurs dans la continuité de nos travaux, qu'il s'agisse de nos rapports sur la situation et les perspectives des finances publiques, du rapport public annuel de février 2011, des rapports sur la sécurité sociale ou encore des rapports du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité du patrimoine ou la comparaison des prélèvements obligatoires.

Ce rapport couvre l'ensemble des prélèvements tant fiscaux que sociaux. Il nous a paru essentiel d'avoir une approche large, qui ne se limite pas aux questions étroitement fiscales. En effet la fiscalité est un outil ; dans des sociétés anciennes et complexes comme les nôtres, elle ne peut être dissociée d'un arrière-plan institutionnel, historique, économique et social. En Allemagne, le fédéralisme, la place des entreprises de taille intermédiaire, le Mittelstand, le modèle économique tourné vers l'exportation et la pratique politique de coalition dans la période récente sont autant de caractéristiques qui expliquent la fiscalité.

L'outil que constitue la fiscalité peut être mis au service de plusieurs objectifs. Traditionnellement, ceux qui lui sont assignés sont le rendement – l'argent rapporté –, l'efficacité économique – l'impact sur l'activité et les acteurs économiques –, la justice – par ses aspects sociaux ou redistributifs. C'est la raison pour laquelle on ne peut procéder par simple transposition ou importation de morceaux de fiscalité étrangère : la fiscalité n'a de sens que dans un contexte et en fonction d'objectifs fixés au préalable. Il nous paraît très important d'y insister : le rapport n'invite pas à copier ou transposer un système qui serait intrinsèquement « meilleur » ; il n'y a pas de hiérarchie ou de classement à y chercher. En revanche, le fait de se comparer produit une sorte d'« effet miroir » et invite à s'interroger sur ses conceptions et ses pratiques.

Nous avons donc procédé non seulement à une comparaison des principaux impôts, mais aussi à une comparaison des politiques fiscales menées dans les deux pays depuis une dizaine d'années, afin d'appréhender le contexte et les objectifs poursuivis.

Il ressort clairement de notre enquête que l'attractivité et la compétitivité globale d'un pays ne dépendent que partiellement de la fiscalité – qui ne constitue que l'un des leviers possibles. Dans la situation comparée de la France et de l'Allemagne, la fiscalité n'apparaît pas comme un facteur décisif.

Il nous a fallu, avant de comparer les dispositions fiscales, les resituer dans un cadre économique, financier et social plus large : c'est l'objet du premier chapitre du rapport. Son élaboration a été délicate, notamment pour des raisons méthodologiques.

Tout d'abord, il faut toujours être prudent lorsque l'on interprète des statistiques. En effet les classifications ont un caractère conventionnel et sont parfois discutables. Pour Eurostat, par exemple, la taxe d'habitation est en partie une imposition du capital alors même que les locataires, vraisemblablement, l'assimileraient plutôt à une charge de consommation, voire à un impôt sur le revenu. Surtout, les statistiques diffèrent d'une source à l'autre : quand nous avons voulu comparer les taux de prélèvements obligatoires entre les deux pays, nous nous sommes aperçu que l'OCDE et Eurostat ne donnaient pas le même chiffre pour l'Allemagne, ou encore que le périmètre de la protection sociale obligatoire, qui n'est pas le même entre les deux pays, avait un fort impact.

Second obstacle, les statistiques françaises se sont révélées beaucoup plus nourries que les statistiques allemandes sur le sujet « redistributioninégalités », rendant de ce fait difficiles des comparaisons approfondies.

Enfin, le choix du point de départ de la comparaison n'est pas neutre. Selon que l'on choisit 1990, date de la réunification allemande, 2000 ou 2005, on peut en effet aboutir à des lectures différentes des tendances et des trajectoires. De façon générale, nous avons choisi de nous référer au début des années 2000 ; mais nous avons aussi pris du recul pour certains sujets qui le nécessitent, tel le coût du travail.

Venons-en au diagnostic lui-même, qui fait apparaître certaines caractéristiques avec clarté.

S'agissant tout d'abord de la situation des finances publiques, l'écart est manifeste : le déficit structurel de la France est supérieur de plus de trois points à celui de l'Allemagne. Ces trois points-là ont plus d'importance et de gravité que ceux qui séparent les deux taux de prélèvements obligatoires, dont l'explication se trouve surtout dans les périmètres différents des systèmes de protection sociale. Cette différence dans les déficits structurels date d'avant la crise économique : l'Allemagne a profité de la période de croissance relativement forte qui a précédé la récession pour réduire son déficit public ; en 2008, la France a abordé la crise avec un déficit public de 3,3 % du PIB, l'Allemagne avec un excédent de 0,1 %. Cet écart structurel est à l'évidence une donnée qui contraint fortement la politique future de la France en matière de prélèvements.

Seconde caractéristique : en matière de redistribution et d'inégalités, la comparaison n'est pas au désavantage de la France, à la fois dans l'absolu et en dynamique. Ainsi, le taux de pauvreté relative a augmenté de moitié en Allemagne entre 2000 et 2009 alors qu'il a diminué de 20 % en France.

Le diagnostic économique appelle de notre part discernement et lucidité.

S'il est certain que la croissance potentielle allemande de long terme est réduite, étant donné que le vieillissement démographique très rapide pèsera davantage sur les finances publiques et la croissance, il n'en demeure pas moins qu'après le choc de la réunification, l'Allemagne s'est engagée résolument et de façon continue dans une politique de restauration de sa compétitivité dès la fin des années 1990. Cette stratégie, fondée sur un mélange de mesures fiscales, de restructuration du marché du travail et de modération salariale, paraît aujourd'hui avoir porté ses fruits. Qu'il s'agisse de balance commerciale, de chômage ou de croissance, de nombreux indicateurs sont aujourd'hui positifs pour l'Allemagne. Nos contacts avec nos interlocuteurs allemands nous ont montré toute l'importance qu'ils attachent à persévérer dans cette voie – c'est la « constance » dont parlait le rapporteur général.

Pendant ce temps, notre industrie a perdu l'avantage « coût » d'environ 10 % qu'elle avait au début des années 2000, et nos parts de marché à l'exportation ont régressé très sensiblement : elles ont perdu trois points entre 2000 et 2009 pendant que l'Allemagne en gagnait trois. Le fait que les autres pays de la zone euro soient dans une situation voisine de la nôtre en termes d'évolution de la compétitivité coût n'enlève rien à ce constat, d'autant que nous sommes plus sensibles que d'autres pays à l'évolution de notre compétitivité coût vis-à-vis de l'Allemagne – nous sommes souvent concurrents à l'exportation et sur les marchés nationaux.

Pendant longtemps, notre compétitivité coût a compensé en partie notre handicap en termes de compétitivité hors coût, c'est-à-dire les insuffisances structurelles de l'offre industrielle française. La disparition de l'avantage coût est donc une donnée majeure, même si le niveau absolu des coûts est aujourd'hui comparable.

Ce diagnostic est déjà l'occasion de faire apparaître deux lignes qui devront, selon nous, guider la politique de prélèvements future de la France. Je ne surprendrai personne ici en disant que cette politique fiscale doit avant tout contribuer à réduire les déficits et à relever le potentiel de croissance à long terme de la France en améliorant la compétitivité du « site France ».

Dans le chapitre 2 du rapport, la Cour procède à une analyse aussi précise que possible par grands blocs de prélèvements.

Commençons par l'impôt sur le revenu, la CSG et les cotisations.

En Allemagne, l'impôt sur le revenu est un peu plus progressif. Son taux marginal supérieur est de 45 % – porté à 47,5 % du fait de la surtaxe de solidarité – contre 41 % en France. Mais surtout, son assiette est plus large, ce qui s'explique par le penchant français pour des niches fiscales nombreuses et coûteuses.

La France a en revanche un prélèvement social que l'on peut estimer plus solidaire, ou du moins privilégiant davantage la justice fiscale. Les prélèvements sur les revenus du travail sont plafonnés en Allemagne, un peu moins en France, où existe en outre la CSG – qui concerne tous les revenus, y compris ceux du patrimoine et sans aucun plafond.

L'impact global sur les revenus du travail et la progressivité de ces prélèvements sont très proches dans les deux pays. On mesure cet impact par ce que l'on appelle le « coin socio-fiscal » ou « coin fiscalo-social », c'est-à-dire l'écart entre le coût salarial global pour l'employeur et ce qui reste au salarié après cotisations, CSG et impôt sur le revenu.

On le voit, il faut avoir une approche d'ensemble si l'on veut que la comparaison ait un sens. Ainsi, en matière de redistribution, les deux pays n'utilisent pas les mêmes leviers. L'Allemagne a préservé un IR fort, qui y est le symbole de la redistribution, mais elle taxe très peu, comme on le verra, la détention du patrimoine – 0,46 % du PIB, contre 1,13 % pour la moyenne de l'OCDE – et son prélèvement social est clairement dégressif.

Si l'on s'attache aux effets redistributifs, il ne faut pas oublier de prendre en considération les prestations, plus importantes que les prélèvements en termes de redistribution – dont elles représentent les deux tiers, contre un tiers pour les prélèvements. Le prochain rapport du Conseil des prélèvements obligatoires développera cette analyse. La comparaison entre les deux pays en matière d'assurance maladie est éclairante : l'assurance maladie française couvre à titre obligatoire toute la population et elle est financée par tous les revenus ; dans l'assurance maladie allemande, financée par les seuls salaires sous plafond, les 10 % de la population ayant les revenus les plus élevés peuvent ne pas s'affilier.

En ce qui concerne l'imposition du patrimoine, nos pays ont fait des choix très différents. L'Allemagne a choisi de taxer principalement les revenus du patrimoine. La France a choisi de taxer tant la détention que les revenus et la transmission du patrimoine.

En matière de taxation de la détention du patrimoine, le principal écart ne provient pas de notre ISF – environ 3,6 milliards d'euros en 2010 – mais bien de nos taxes foncières – 33 milliards d'euros. La situation allemande est particulière : l'évaluation du foncier qui, comme en France, se caractérise par un certain archaïsme, est à l'origine de la suspension de l'imposition globale de la fortune, consécutive à la décision de la Cour constitutionnelle. D'aucuns pensent que cette jurisprudence pourrait menacer également la solidité constitutionnelle des taxes foncières existantes.

Il faut en outre conserver à l'esprit que l'impôt sur la fortune allemand incluait dans son assiette les biens professionnels et était dû tant par les ménages que par les sociétés. Ce n'est pas le cas de l'ISF qui, s'agissant du foncier, est assis sur la valeur vénale et repose donc sur des bases plus solides. L'ISF souffre cependant d'une assiette étroite. D'autre part, on peut légitimement se demander si les taux sont fixés au bon niveau : le taux actuel de la tranche supérieure est plus élevé qu'à la création de l'IGF en 1982 – 1,8 % contre 1,5 % –, alors même que le rendement nominal des placements financiers et l'inflation ont été divisés par près de quatre – 16 % en 1982 pour le taux des emprunts d'État contre 3,3 % en 2010.

La taxation des revenus du patrimoine est particulièrement complexe en France car elle est le fruit d'une juxtaposition de multiples régimes spécifiques. De plus, il est loin d'être avéré que la fiscalité de l'épargne soit en cohérence avec les objectifs prioritaires du pays.

S'agissant de l'imposition sur les sociétés, les différences entre les deux pays sont moindres, et les rapprochements plus facilement envisageables.

Le travail que nous avons entamé avec le ministère fédéral des finances a permis d'identifier précisément une quinzaine de différences en matière d'assiette, mais en définitive les résultats sont assez voisins. De fait, nous pensons qu'il y a de réelles possibilités de faire converger à terme les assiettes, même si le crédit d'impôt recherche est une différence substantielle. Il nous paraît indispensable que le travail prometteur que nous avons engagé avec le ministère fédéral des finances se poursuive maintenant directement au niveau des ministères concernés.

La spécificité française tient d'ailleurs moins à l'imposition du résultat des sociétés qu'à l'importance des prélèvements qui, en amont, grèvent le résultat et qui n'ont pas d'équivalent en Allemagne. Ces prélèvements représentaient environ 58 milliards d'euros en 2008, dont 26 milliards assis sur la masse salariale. Il s'agit de la taxe sur les salaires, de la contribution économique territoriale – CET –, du versement transport, de la contribution sociale de solidarité des sociétés – C3S–, du versement au Fonds national d'aide au logement – FNAL –, et des divers prélèvements s'ajoutant aux cotisations de sécurité sociale. Tous ces prélèvements, sauf la CET récemment réformée, sont en outre « dynamiques ».

Le débat sur les charges des entreprises doit donc sortir du seul champ traditionnel des cotisations de sécurité sociale, qui ont d'ailleurs été déjà considérablement allégées pour les bas salaires, pour un coût de plus de 30 milliards d'euros. Un inventaire précis ainsi qu'une analyse de la dynamique et de la pertinence de ces prélèvements, dont certains sont assis sur les salaires, seraient très utiles.

La taxe sur la valeur ajoutée n'a pas évolué de la même manière de part et d'autre du Rhin.

Si l'on prend pour base 1990, l'Allemagne a augmenté de cinq points son taux normal de TVA, essentiellement pour réduire les déficits et, dans une moindre mesure, pour alléger les charges pesant sur le travail. Dans le même temps, la France a augmenté son taux d'un point. Dans la période la plus récente, alors que l'Allemagne a augmenté son taux de trois points, la France a, par phases successives, abaissé le produit de cette taxe. La TVA représentait en 2008 18 % des recettes fiscales en Allemagne et 16,4 % en France ; en 1995, la situation était inverse – 1 % de plus pour la France.

Ces évolutions contrastées s'expliquent pour une large part par le fait que les exceptions au taux normal sont sensiblement plus importantes en France, sans que, pour autant, le prélèvement de TVA y soit plus juste : appliquer le taux réduit aux travaux de rénovation et à la restauration, deux consommations qui ne sont pas principalement le fait des ménages modestes, n'est pas à proprement parler une mesure de justice fiscale...

Ainsi – c'est un constat que nous faisons – si l'on se contentait d'un simple alignement sur le niveau et le périmètre du taux réduit appliqués en Allemagne, la France disposerait d'une recette supplémentaire de 15 milliards d'euros. Les deux tiers de ce montant s'expliquent par l'application actuelle du taux réduit, en France, aux travaux dans les logements et à la restauration.

Plus généralement, la France fait preuve en la matière d'une certaine singularité : les pays du Nord de l'Europe et tout récemment le Royaume-Uni, qui a relevé son taux normal de 2,5 points pour un produit d'environ 15 milliards d'euros, sollicitent davantage la TVA et n'hésitent pas à la modifier.

Enfin, nous avons comparé la fiscalité environnementale de la France et de l'Allemagne. Dans les deux pays, elle se situe à un niveau inférieur à celui constaté en Europe. Les politiques menées sont divergentes : l'Allemagne a alourdi progressivement mais de manière continue la taxation des carburants, alors que notre taxe intérieure sur les consommations énergétiques – TICE, ex-TIPP – a vu son rendement stagner ; quant à l'utilisation des véhicules particuliers, elle est moins taxée en France depuis la suppression de la vignette au début des années 2000.

J'en viens aux principaux enseignements à tirer de ce travail de comparaison – qui font l'objet du chapitre 3.

Il ne s'agit nullement d'appliquer ou de copier un modèle, mais de réfléchir à la politique française de prélèvements, à ses finalités et à ses évolutions possibles. Il appartient à la Cour de contribuer à éclairer le débat et, bien sûr, il revient au Gouvernement et au Parlement de décider.

La première leçon porte sur les principes, sur la conception même de la politique fiscale.

L'Allemagne accorde une priorité plus forte au rendement budgétaire, à la préservation de la recette, en un mot à l'équilibre de ses finances publiques. Elle préfère aussi des mesures fiscales économiquement neutres et qui ne distordent pas l'activité. La France, en revanche, a souvent tendance à pratiquer une forme d'interventionnisme fiscal et à agir dans un même domaine à la fois par des dépenses budgétaires et par des régimes fiscaux dérogatoires. Elle a tendance à trop considérer l'impôt comme un outil de politique économique, aux objectifs multiples et souvent mal définis.

La fiscalité allemande fait donc moins de place aux exceptions et aux niches, tant en matière d'impôt sur le revenu qu'en matière d'impôt sur les sociétés et d'imposition des revenus du patrimoine. Dans cette logique, le gouvernement allemand vient d'engager une démarche visant à délimiter de façon encore plus stricte le champ d'application du taux réduit de TVA.

Par ailleurs, le principe d'unité et d'intégration de la politique des prélèvements est plus fort en Allemagne, assez paradoxalement : alors même qu'il s'agit d'un pays fédéral, la règle veut que les impôts soient partagés entre l'État, les Länder et les collectivités territoriales ; et le pouvoir fiscal est partagé entre Bundestag et Bundesrat. En France, au contraire, l'autonomie des collectivités territoriales se mesure traditionnellement au poids de leurs recettes fiscales propres, si bien que le pouvoir fiscal est juxtaposé entre l'État et les collectivités territoriales. Nous invitons la représentation nationale à réfléchir à cette situation.

En matière de finances sociales, l'Allemagne refuse de laisser la sécurité sociale en situation durable de déficit ; à défaut d'autre solution, les déficits sont compensés par le versement d'une subvention du budget général. En France, nous maintenons une séparation de principe entre les comptes sociaux et les comptes de l'État et nous admettons un déficit permanent des comptes sociaux, débouchant sur une dette croissante.

S'il fallait résumer l'approche allemande de la fiscalité, je dirais – sans chercher pour autant à idéaliser – que nos voisins préfèrent une politique fiscale plus lisible, plus prévisible, plus neutre et plus stable, ce qui peut présenter un certain nombre d'avantages pour les agents économiques.

Second point : quels enseignements concrets pouvons-nous tirer, en France, de ces éléments de comparaison ?

Au-delà des débats en cours sur la fiscalité du patrimoine ou sur le rapprochement éventuel de l'IR et de la CSG, le rapport relève que, si l'on s'en tient à la comparaison entre la France et l'Allemagne et si l'on excepte la nécessaire réduction des niches fiscales et sociales, c'est en matière de TVA et de fiscalité environnementale qu'existent les plus fortes marges de rapprochement.

Le rapport souligne aussi la nécessité d'inscrire durablement la politique fiscale dans une double perspective : la réduction des déficits et l'amélioration de la compétitivité et du potentiel de croissance de notre économie. Il mentionne enfin, s'agissant de ce deuxième objectif, la voie à explorer : engager un processus progressif de substitution d'un financement universel à un financement « professionnel » assis sur le facteur travail pour des politiques publiques sans lien direct avec l'entreprise : politique familiale, mais aussi de transport et de logement. Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure sur la neutralité économique des impositions.

C'est un débat vaste et sensible qui appelle expertises et concertations. La Cour ne prétend en aucune manière le trancher mais elle est convaincue qu'il est nécessaire et qu'il n'est pas synonyme de renoncement aux préoccupations de justice qui, dans la situation actuelle, sont fortes et légitimes, et qui peuvent se concrétiser soit par des aménagements des prestations sociales, soit par des aménagements de la progressivité de l'impôt.

En tout cas, la France a besoin d'une stratégie fiscale de moyen terme claire et cohérente avec sa stratégie en matière de finances publiques, qui ne saurait se réduire au seul volet « dépenses ». Pourquoi d'ailleurs ne pas inclure à l'avenir, dans les lois de programmation des finances publiques ayant force contraignante, des dispositions clés guidant la politique en matière de prélèvements fiscaux et sociaux et qui, s'agissant des comptes sociaux, reposent sur le refus de principe des déficits ?

Troisième et dernier point : quelles sont les leçons à retenir en matière de convergence fiscale entre les deux pays ?

La France et l'Allemagne ne sont, en aucun domaine, des « concurrents fiscaux ». La comparaison met inévitablement l'accent sur les différences, c'est la loi du genre ; mais cela ne saurait faire oublier que ce qui rapproche les deux pays est beaucoup plus important que ce qui les sépare, dès lors qu'on élargit le champ de l'analyse et que l'on resitue le couple franco-allemand par rapport à la zone euro et à l'Union européenne.

Pour que la France et l'Allemagne continuent sur la route du rapprochement et de la convergence, le rapport suggère trois voies.

Tout d'abord, faire progresser la convergence au quotidien en identifiant puis en résolvant les problèmes pratiques qui subsistent pour ceux qui exercent une activité dans les deux pays, en particulier les chefs d'entreprise. On pourrait ainsi harmoniser les délais de déclaration fiscale ou les modalités d'évaluation des biens en cas de succession ou de transmission d'entreprises, qui sont aujourd'hui source de complexité et de difficultés.

Ensuite, parvenir à la définition d'éléments d'assiette commune en matière d'impôt sur les sociétés. Les deux pays devraient pouvoir s'accorder sur l'essentiel, voire sur la totalité de ces règles. Ce serait un pas important dans la perspective d'une assiette commune au niveau de l'Union européenne – projet que la Commission vient de relancer. Le couple franco-allemand, dans ce domaine comme dans bien d'autres, peut avoir un rôle d'entraînement.

Enfin, il faut veiller à mieux inclure les politiques fiscales dans la coordination économique renforcée dont la France, l'Allemagne et, au-delà, la zone euro ont besoin. C'est le conseil économique franco-allemand qui pourrait naturellement en être le pivot.

J'espère vous avoir convaincus que notre pays a besoin d'une stratégie fiscale de moyen terme. La Cour espère, par ce rapport, contribuer à éclairer le débat fiscal des mois et des années à venir, dont chacun mesure l'importance pour notre pays.

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