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Intervention de Didier Houssin

Réunion du 10 juin 2010 à 9h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports :

La question des clauses de responsabilité dans les contrats a toujours été très difficile. Assumer la responsabilité d'éventuels effets secondaires de vaccins qui concerneront des populations très nombreuses, sans compter l'incertitude qui entoure la survenue d'événements imprévus, constitue un risque tel que les industriels ne parviennent pas à le faire couvrir par les assurances. Le New England Journal of Medicine vient d'ailleurs de publier un article sur ces aspects. On aboutit dans la plupart des pays à une responsabilité partagée, les pouvoirs publics assumant la prise en charge des effets secondaires et l'indemnisation des victimes, tandis que les industriels assument la responsabilité du fait du produit – une contamination durant la production par exemple. Lors des négociations avec les laboratoires, l'un des projets de contrat, celui de GSK, donnait le sentiment de vouloir faire porter à l'État la responsabilité du fait du produit. La ministre de la santé et des sports a vivement réagi et s'est rapprochée de ses homologues pour résister à cette perspective. Très vite, le laboratoire a fait savoir qu'il ne s'agissait que d'une difficulté de traduction. Bref, c'est l'incapacité pour les industriels du vaccin d'assurer la totalité des risques qui explique ce partage de responsabilité.

S'agissant du plan de préparation à la pandémie, nous travaillons aux leçons à tirer de sa mise en oeuvre – et j'ai bien sûr lu le rapport d'étape de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le sujet. Ce travail est effectué avec le secrétariat général de la défense nationale, comme pour toute menace de grande ampleur. Le bilan est assez partagé.

Le plan s'est en effet montré très utile à de nombreux points de vue, mais il a souffert du même problème que les trains qui arrivent à l'heure : tout ce qui fonctionne passe inaperçu… Préparé pendant cinq ans, il était principalement tourné vers le virus H5N1, qui était la menace la plus évidente, mais ne lui était pas pour autant dédié. Nous avons essayé de le rendre cohérent avec les phases identifiées par l'Organisation mondiale de la santé et avec les plans de nos voisins. Il prévoyait deux catégories d'actions, de préparation – contrats d'acquisition de vaccins par exemple – ou de réaction. Le plan a été testé au niveau local, régional et national – quatre exercices nationaux ont eu lieu, dont le dernier en février 2009. En fait, il a été élaboré dans un esprit proche de ceux de la défense : la menace de conflit existe et l'on s'y prépare sans savoir quand elle surviendra, en achetant des équipements et en entraînant le personnel par exemple. Les mesures étaient extrêmement diverses : constitution des stocks, information, formation des professionnels, communication, avec la création d'un site internet…

Ce plan a été soumis, comme ceux de nos voisins, à une évaluation lancée par la Commission européenne, avec l'appui du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Sa qualité principale était sa dimension très intersectorielle et interministérielle – à tel point que nous avons été amenés à expliquer au plan international comment nous avions procédé. Une évaluation scientifique menée par la London School of Tropical Medicine and Hygiene a même classé le plan français parmi les trois ou quatre meilleurs.

Ce plan s'est révélé très utile. Il nous a permis d'adopter tout de suite une stratégie interministérielle, ce qui était crucial. Le 24 avril, date de l'alerte de l'Organisation mondiale de la santé, j'ai demandé à la ministre la tenue d'une réunion interministérielle à Matignon le jour même. Vingt-quatre heures plus tard, nous travaillions avec Aéroports de Paris sur la question de la police des frontières, des masques ou de l'information des voyageurs. Grâce à cette préparation, nous avons donc pu travailler dès le premier jour en étroite coordination avec les ministères des affaires étrangères, de l'intérieur et de l'économie et des finances notamment. Oublier les bons aspects du plan serait une erreur aussi grave pour l'avenir que ne pas se préoccuper de ce qui n'a pas bien fonctionné.

La préparation a en particulier été insuffisante sur deux points.

D'abord, le travail sur les plans de continuité d'activité n'a pas été mené à terme. Certains ministères, comme celui de l'agriculture, ou certaines grandes villes étaient très bien préparés. Certaines grandes entreprises l'étaient aussi, généralement celles qui ont une perception aiguë des menaces internationales – travaillant dans les secteurs de l'énergie ou des télécommunications, par exemple. Mais il n'en était pas de même partout. La cellule interministérielle de crise a donc dû demander une actualisation rapide de ces plans de continuation d'activité, ce qui a mobilisé beaucoup d'énergie en juin et juillet. Heureusement, nous n'avons en définitive pas eu à les activer, mais ce travail préparatoire n'a pas été achevé. Ceci dit, je ne suis pas sûr que seul le temps nous ait manqué : peut-être aurait-il fallu une concrétisation de la menace pour agir plus efficacement.

Ensuite, la préparation de la vaccination elle-même a été incomplète. La raison est assez simple : aucun scientifique, aucun expert des pandémies n'a jamais imaginé que nous pourrions, en métropole, avoir à vacciner avant la première vague pandémique. C'est un concours de circonstances qui l'a rendu possible : le virus est apparu dans des pays, comme le Mexique et les États-Unis, qui ont eu le courage de le signaler tout de suite. Ils ont transféré les souches dans les laboratoires de référence de l'Organisation mondiale de la santé, qui les ont très vite identifiées et ont transmis les souches semences aux 35 producteurs mondiaux de vaccins. En outre, le virus est arrivé, pour l'hémisphère Nord, à la fin de l'épidémie saisonnière. La perspective d'une vague estivale ne s'étant pas concrétisée, nous avions le temps d'effectuer la vaccination avant la vague d'automne-hiver. Mais si nous étions au point s'agissant des acquisitions de vaccins ou de l'ordre des priorités par exemple, si nous disposions de l'avis n° 106 du comité consultatif national d'éthique de février 2009, l'organisation elle-même de la campagne de vaccination n'était pas planifiée et il a fallu inventer un dispositif durant les mois de juin, juillet et août.

Le plan a été vécu comme étant rigide, automatique. C'est le signe que nous ne l'avons pas bien expliqué, et nous sommes en train d'y réfléchir avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Ce plan n'était pas une check-list qui aurait conduit à cocher systématiquement chaque case. C'était plutôt une boîte à outils : la cellule interministérielle de crise choisissait, parmi toutes les mesures possibles, celles qui devaient être appliquées ou non. Le port de masques FFP2 par les professionnels exposés au public ou les plans de continuité d'activité, par exemple, n'ont pas été activés.

Il faut maintenant réexaminer le plan, en accentuant sa dimension d'évaluation du risque : il faut notamment le présenter non pas en fonction des décisions de l'Organisation mondiale de la santé, mais comme un guide directement utilisable par les gestionnaires de crise selon la situation. J'ajoute que son volet technique a fait l'objet d'un travail considérable de mise à jour en mai et juin, ce qui nous a permis d'édicter des recommandations, en particulier sur les mesures d'hygiène ou la prescription des antiviraux. Cela étant, si on recense nombre d'éléments positifs, il reste des points d'amélioration incontestables.

Pour ce qui est du bilan de la campagne de vaccination, je vous ai fait parvenir des données détaillées : entre cinq et six millions de vaccinations, dont la plupart en centre de vaccination. Concernant les stocks de vaccins, nous avons aujourd'hui 9,7 millions de Pandemrix, 9,3 millions de Panenza, 5,4 millions de Focetria et 15 000 doses de Celvapan, dont les délais de péremption sont bien sûrs tous différents. Sur les 25 millions de vaccins disponibles, il en restera environ 10 millions à la fin 2010.

Venons-en aux coûts – nous avons reçu de nombreuses questions de la Cour des comptes sur ce thème.

Je voudrais d'abord appeler votre attention sur la question des périmètres : on ne peut comparer que ce qui est comparable. Il y a trois dimensions possibles, voire quatre. Si l'on retient le périmètre de la préparation de la lutte contre la pandémie grippale, par exemple, il faut tenir compte des coûts depuis 2004 ou 2005. Si l'on ne parle que de la lutte contre la pandémie grippale en 2009, il faut inclure les dépenses d'organisation, les produits utilisés, le coût des soins, en tenant compte si possible des dépenses évitées… Bref, le calcul est complexe. Nos réponses à la Cour des comptes retiennent ce périmètre.

Les coûts, du côté du ministère de la santé, concernent les vaccins, les produits médicaux et les prestations logistiques, le dispositif des bons de vaccination, la gestion des déchets à risque infectieux, la communication et l'indemnisation des professionnels de santé ; du côté du ministère de l'intérieur, le fonctionnement des centres de vaccination et l'indemnisation des personnels administratifs. S'agissant de la lutte contre la pandémie, les coûts concernent les antiviraux, les masques chirurgicaux et respirateurs, le fonctionnement des plateformes logistiques départementales, la communication et les dépenses de l'Institut de veille sanitaire. L'ensemble représentait, en mars, 699 millions d'euros. La Cour des comptes nous a posé de nouvelles questions en mai, sans différence significative de périmètre.

Pour ce qui vous intéresse, à savoir la campagne de vaccination, la ministre a effectivement fait état il y a quelques jours de chiffres moins élevés qu'annoncé. La première raison tient à la déduction du don fait par la France à l'Organisation mondiale de la santé – 73 millions d'euros –, qui n'a pas à figurer dans le coût global de la campagne de vaccination. La deuxième est que les dépenses d'indemnisation des professionnels de santé – pour ce qui est du ministère de la santé, pas de l'intérieur – semblent avoir été surévaluées. Elles se montent aujourd'hui à une vingtaine de millions d'euros et pourraient ne s'accroître que de huit ou dix millions. Elles n'atteindront donc pas les cent millions qui avaient été initialement prévus. Au total, l'estimation des dépenses de la campagne est donc de l'ordre de 500 millions d'euros. Reste la question de la résiliation des vaccins : on évalue l'indemnisation globale à 48 millions d'euros mais, si les accords sont conclus avec Novartis, à hauteur de 16 % de la commande, et avec Sanofi, rien n'est fait encore avec GSK. Il y a donc toujours une incertitude sur ce montant de 48 millions d'euros.

Vous avez évoqué le rôle des professionnels de santé. Il est évidemment crucial. Les professionnels hospitaliers ont été tout de suite mobilisés dans la prise en charge des malades en milieu hospitalier. À partir du 20 juillet 2009, Mme la ministre de la santé et des sports ayant demandé que la prise en charge se fasse plutôt en ville, le secteur ambulatoire s'est trouvé en première ligne. Beaucoup de professionnels ont ensuite participé au fonctionnement des centres de vaccination. Dans le système français, les soins de premier recours sont assez dispersés, les professionnels assez isolés. Ils ne sont pas, contrairement à certains pays, rassemblés dans des organisations. Cela a tout de suite constitué une contrainte majeure du fait du mode de présentation des vaccins.

Compte tenu du contexte – la discussion du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, qui soulevait des réactions très vives de la part de certains syndicats – le sentiment que l'organisation mise en place visait à écarter les médecins s'est développé. Ce n'était absolument pas le cas : la situation nécessitait une organisation collective de la vaccination. D'ailleurs beaucoup y ont participé, y compris des généralistes.

Notre organisation des soins primaires constitue indéniablement une difficulté pour s'adresser aux médecins. Des relais existent, à commencer par l'Ordre des médecins, puis les unions régionales des professionnels de santé, qui ont participé à de nombreuses réunions, et les syndicats. D'autres dispositifs ont été mis en place, comme les messages DGS-urgent, auxquels tous les médecins ne sont néanmoins pas abonnés. Mais la question de l'organisation des soins primaires en France et surtout de la meilleure façon pour les pouvoirs publics de s'adresser aux médecins dans une situation critique est un sujet de réflexion pour l'avenir.

S'agissant du fonctionnement de l'Organisation mondiale de la santé, la ministre de la santé et des sports était présente lors de la dernière assemblée, à Genève. La première journée de travail, sur cinq, a été consacrée à la pandémie grippale. Il y a eu consensus autour de l'importance du rôle de l'organisation, de sa réactivité, de sa capacité à fournir une information rapide, les États étant ensuite libres d'agir comme ils l'entendaient. Bref, la pandémie ne fait pas partie des sujets à problème, contrairement au dossier de la propriété intellectuelle des médicaments, l'atmosphère étant tendue entre les pays développés, émergents et moins avancés. L'Organisation mondiale de la santé a engagé de toute façon une évaluation de son action, menée par M. Harvey Fineberg – un excellent choix puisqu'il était déjà l'auteur, pour l'Institute of Medicine, du rapport sur la gestion de la grippe porcine de 1976 par les autorités américaines, rapport qui a d'ailleurs constitué pour nous une base de réflexion très utile.

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