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Intervention de Michel Godet

Réunion du 11 mai 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d'analyse économique :

Je ne partage tout à fait l'analyse qui vient d'être faite.

Si l'on considère l'évolution du PIB par tête, la France était à l'indice 100 en 1980 et la zone euro à l'indice 92. Aujourd'hui, elle est dans la moyenne. La France a donc reculé par rapport à l'ensemble. Le Royaume-Uni nous a dépassés alors qu'il était en retard de 10 points, pour ne rien dire de l'Allemagne. Nous reculons parce que, en partant de l'hypothèse que les productivités et les qualifications sont comparables entre les pays, la création de richesse dépend de la quantité de travail. Or un Français travaille 88 jours par an, soit trois semaines de moins qu'un Anglais et deux de moins que la moyenne européenne.

Le solde du commerce extérieur est excédentaire en Allemagne et déficitaire chez nous. Sans la zone euro, nous aurions dû dévaluer, ce qui aurait été à double tranchant. Au moins aurions-nous été obligés d'engager des réformes car nous vivons au-dessus de nos moyens : notre croissance a été financée par du déficit. Ainsi, l'année dernière, 1,5 point de croissance de PIB a été obtenu au prix de 7 points de déficit public. Autant arroser le désert avec 7 litres d'eau pour ne récupérer que 1,5 litre. Autrement dit, on finance la consommation des Français en prenant dans la poche de leurs enfants en créant toujours plus de dette.

La France se réjouit à juste titre de sa démographie vigoureuse par rapport à l'Allemagne, mais elle oublie que 25 % des naissances ont lieu dans des familles d'origine immigrée – dont 40 % en Île-de-France – et que ces populations ont peu accès à l'éducation, condition de l'intégration à la société. Or, le rapport du Conseil d'analyse économique dont j'ai été en charge La Famille : une affaire publique montre que le coût de l'échec scolaire est exorbitant pour la société. Un enfant placé dans une structure d'accueil coûte 30 000 euros par an à la collectivité, 180 000 euros dans un centre éducatif fermé. Si on régresse, c'est qu'on ne veut pas voir qu'on a concentré les handicaps dans certains quartiers. La compétitivité n'est pas toujours là où on l'attend, c'est-à-dire dans les indicateurs macroéconomiques, comme l'indiquent les rapports produits par le Conseil d'analyse économique sur la famille et sur les territoires.

Pour l'avenir, je suis plutôt optimiste, mais à condition d'entreprendre les réformes qui demandent du courage et de s'inscrire dans le temps. Les hommes politiques sont en contrats à durée déterminée : ils n'ont pas le temps de mener de telles réformes.

En faisant le tour de France à la recherche des initiatives locales, on se rend compte qu'il y a des territoires dynamiques. La Mayenne ou le bocage Bressuirais affichent des taux de chômage deux fois plus faibles que la moyenne nationale. Ils sont là pour prouver que ce ne sont pas les infrastructures qui font le développement mais les hommes dans une société de confiance. Cette confiance n'existe pas au niveau national à cause, entre autres, de l'instabilité fiscale. On a supprimé le bouclier fiscal – à raison – mais sans un regard pour la moitié des bénéficiaires qui n'étaient pas assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune. Ils ont été sacrifiés sur l'autel de la politique.

En 2002, à propos du bilan des 35 heures, j'avais proposé, sous les sarcasmes, d'en sortir par le haut avec des heures supplémentaires non imposables. Malheureusement, on a rajouté l'exonération de charges que je ne réclamais pas. Ou comment d'une bonne idée faire une mauvaise !

Les différences de dynamiques entre croissance démographique et économique sont éloquentes. Les régions au sud de la Loire ont une croissance beaucoup plus forte que celles situées au nord, à l'exception de la Bretagne. L'indice de fécondité est plus fort au nord, mais les territoires les plus attractifs sont au sud d'une ligne Avranches-Genève. Ils attirent les retraités qui fuient sans mot dire les zones urbaines sensibles. L'insécurité des biens et des personnes est un indicateur essentiel de la qualité de vie et les gens votent avec leurs pieds : ils quittent l'Île-de-France pour des raisons d'insécurité, de non-qualité de vie, de coût de la vie et du logement. Au moment où l'on s'apprête à faire le Grand Paris, la question de savoir si l'argent ne serait pas mieux employé à dynamiser le reste de la France mérite d'être posée. Le Grand Berlin, après tout, ne fait que 3 millions d'habitants.

L'innovation est déterminante. Mais l'innovation est à 80 % non technique. Elle est avant tout sociale, organisationnelle, financière et commerciale. Notre retard avec l'Allemagne s'explique en grande partie en raison d'un service de mauvaise qualité. Si on continue à mettre l'accent sur l'innovation technologique, nous persévérerons dans ce qui a fait notre réputation : des succès techniques qui sont autant d'échecs commerciaux. Le fondement du succès est la synthèse créative. Tout le monde sait que dans l'Iphone, aucune idée ne vient de chez Apple. L'important n'est pas tant la R&D high-tech que la valeur ajoutée. Le rapport du Conseil d'analyse économique met en évidence que les trois quarts des innovations viennent des clients ou des fournisseurs. Un crédit d'impôt recherche innovation aurait mieux valu qu'un crédit d'impôt recherche qui ignore les petites entreprises. Celles-ci représentent 96 % des entreprises et 40 % de l'emploi marchand. Nous sommes trop obnubilés par les entreprises du CAC 40, lesquelles n'ont pas besoin de l'aide des pouvoirs publics pour faire des bénéfices ailleurs qu'en France.

Pour innover, il faut cesser d'imposer les réformes d'en haut, annoncées à grand renfort de présentation sur les chaînes de télévision, du type revenu social d'activité (RSA) ou 35 heures. Elles ne marchent que sur le papier. Pour réformer, il faut au contraire mutualiser les bonnes pratiques en s'inspirant de ce qui fonctionne sur le terrain et en organisant la contagion des initiatives. Par ailleurs, le succès est souvent une affaire de temps, y compris dans l'administration. La caisse primaire d'assurance-maladie de la Sarthe est dirigée par un directeur qui est en place depuis vingt ans. Il a eu le temps de faire un formidable travail de sensibilisation auprès de la population sur la médecine active et préventive, permettant ainsi de diviser par trois les arrêts maladie. La mesure de la pauvreté aussi n'est pas forcément très significative : la Mayenne est l'un des départements les plus pauvres de France mais les habitants ne sont pas malheureux parce qu'ils gagnent tous autour de 1,3 SMIC. Ce sont les inégalités trop fortes qui rendent les gens malheureux. Nous avons surtout un grand besoin de cohésion sociale et d'harmonie.

Quant aux propositions concrètes, je suggère, en bon libéral interventionniste que je suis, une politique destinée aux jeunes en difficulté dans ce domaine. L'État ne peut pas laisser faire le marché qui ignore le long terme et l'intérêt général. Il faut faire pour les enfants défavorisés des cités ce que l'on a fait pour les enfants d'agriculteurs à partir des années 1920 en leur attribuant des bourses systématiques et même en les scolarisant en internat. Agir en amont coûte moins cher qu'en aval. Le laisser-faire du marché dans ce domaine est catastrophique, d'autant que nous avons des retards en matière éducative. Il faudrait par exemple généraliser la pratique des professeurs associés dans les collèges et les lycées pour enseigner le droit ou l'économie.

J'en terminerai par le régime de retraite qui doit être non seulement à points mais à horloge, de façon à contourner l'écueil des 35 heures. On mettrait la barre à 70 000 heures de travail à répartir à son gré au cours de la vie active. Les Pays-Bas ont un taux de chômage beaucoup plus faible parce que le temps partiel y est très répandu alors qu'il est honni en France. Il faut lever ce tabou ainsi que celui des inégalités, non de revenu mais de statut. Au nom de l'égalité des citoyens, il faut généraliser un seul contrat à durée indéterminée pour tous, et les contrats d'apprentissage pour pouvoir, tout au long de la vie, changer de carrière. L'ascenseur social est peut-être en panne, mais il y a toujours moyen, en travaillant, de construire des échelles et des escaliers. Dans ces conditions, le meilleur outil d'insertion reste de mettre les chômeurs en situation d'apprentissage.

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