Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Philippe Weil

Réunion du 11 mai 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Philippe Weil, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques :

J'analyserai la compétitivité sous l'angle macroéconomique puis microéconomique, avant de répondre à la question de savoir si une réforme de la protection sociale pourrait améliorer la compétitivité française.

La crise n'est pas terminée. À l'aune du produit national brut (PNB) par habitant, la France est dans une position moyenne. Tous les pays ont été frappés, mais seule l'Allemagne a repris un sentier de croissance qui devrait lui permettre de retrouver son niveau d'avant la crise. Pour les autres pays de la zone euro, la perte sera durable et les taux de croissance ne suffiront pas à compenser la chute causée par la crise. L'Allemagne, d'un côté, l'Italie et l'Espagne, de l'autre, affichent des performances extrêmes, la France se situant dans la moyenne supérieure de la classe européenne.

Sans croissance, il sera quasiment impossible de ramener le ratio dette publiquePNB autour de 60 %, conformément aux engagements du pacte de stabilité. Les taux d'intérêt ne peuvent guère baisser, sauf le taux d'intérêt réel si une inflation massive se manifestait, mais les marchés n'y croient pas, tout au moins pour l'instant. Même en cas de stabilité des taux, l'effort fiscal qui serait requis exigerait, pour résorber l'endettement, au moins vingt ans de surplus primaire considérable, ce qui semble politiquement peu probable. La croissance est donc vitale.

L'amélioration de notre compétitivité et une réforme de la protection sociale sont-elles à même de fournir le surplus de croissance dont nous avons besoin ?

Les pertes et gains de compétitivité relative entre pays de l'OCDE, mesurés par les variations de la part à l'exportation de chaque pays en fonction de celles du coût unitaire du travail, révèlent que la France est un élève moyen supérieur. Comme beaucoup d'autres pays, elle a perdu des marchés à l'exportation mais cela tient en grande partie au fait que le développement du commerce international s'est surtout réalisé hors de la zone euro. L'Allemagne caracole en tête avec l'Autriche, leur compétitivité salariale s'étant considérablement accrue, mais la situation française n'a rien de catastrophique par rapport à celle des autres pays de la zone.

Cette dégradation relative de la compétitivité est-elle préoccupante ?

La corrélation entre compétitivité relative du coût unitaire du travail et taux de croissance n'est pas évidente sur la période 1999-2007. L'Allemagne affiche une compétitivité supérieure mais un taux de croissance légèrement inférieur à celui de la France. À partir de 2005 et jusqu'à la crise, la croissance a été plus forte en Allemagne qu'en France ; toutefois, ce résultat a été obtenu au prix d'une stagnation macroéconomique de 2000 à 2005. L'avantage de compétitivité de l'Allemagne tient à l'effondrement de la part salariale dans la valeur ajoutée à partir de 2000.

L'Allemagne est-elle un modèle pour l'Europe ? Peut-on imposer aux autres pays des réformes Hartz ? L'effet serait sans doute catastrophique. Une réduction brutale des salaires et de leur part dans la valeur ajoutée provoquerait une déflation dans l'ensemble de la zone, une appréciation de l'euro et une baisse des parts de marché vis-à-vis du reste du monde, mais une baisse des parts de marché de l'Allemagne par rapport à ses partenaires. De telles politiques d'appauvrissement ne sont ni souhaitables ni soutenables en Europe. Imiter l'Allemagne ne saurait tenir lieu de politique de sortie de crise en zone euro.

Sur un plan microéconomique, il est incontestable que la France souffre d'un déficit de compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne qui tient en partie à nos coûts salariaux, mais aussi à notre retard pris dans l'internationalisation de nos activités et dans la recherche-développement. L'avantage comparatif de l'Allemagne est en grande partie lié à l'organisation de son industrie et à son ouverture aux marchés étrangers. La baisse récente du coût unitaire du travail en Allemagne n'a fait que renforcer cet avantage mais il n'en constitue pas l'essentiel. La compétitivité à moyen et long termes dépend plus de la productivité, c'est-à-dire de l'investissement et de l'innovation que des coûts salariaux.

Le handicap de la France vient de ce que ses entreprises exportatrices, comparées aux entreprises allemandes, exportent des parts beaucoup plus faibles de leur chiffre d'affaires. Il n'est pas rare en Allemagne qu'une entreprise exporte 80 % ou 85 % de son chiffre d'affaires. En France, cela reste exceptionnel.

L'essentiel de la recherche-développement (R&D) se fait en Allemagne dans le secteur manufacturier. La désindustrialisation française – très sensible si l'on se réfère au nombre d'emplois – est dommageable à cet égard.

Les objectifs de notre politique industrielle sont donc clairement identifiables et font consensus. Il faut favoriser l'innovation et l'exportation, soutenir la réindustrialisation et l'industrie manufacturière, ne pas rater le virage écologique et veiller certes à la concurrence mais en même temps à la coopération entre les entreprises car la R & D exige de mobiliser des moyens importants. Il faut surtout ne pas sélectionner a priori des activités dont on croit qu'elles seront gagnantes, et davantage encourager l'innovation dans toutes ses dimensions. Les aides à la R&D devraient ainsi être subordonnées à l'exportation et à des engagements de coopération interentreprises. Cela passe par le développement de clusters, de consortiums technologiques, sans oublier l'évaluation des politiques publiques.

Quel rôle peut jouer le financement de la protection sociale dans un tel programme d'amélioration de notre compétitivité à long terme ? Pour ce qui est de la part des cotisations sociales dans le produit intérieur brut (PIB), la France est incontestablement en tête. Cependant, l'étude du lien entre ce pourcentage et le taux de croissance ne permet guère de tirer de conclusions car les données concernant la protection sociale reflètent des différences dans l'architecture du système, propre à chaque pays. Dans certains pays, l'assurance étant obligatoire, elle apparaît dans les prélèvements ; dans d'autres, elle ne l'est pas. Ainsi, le pays qui présente en 2007 à la fois le taux de croissance et le taux de cotisations sociales en pourcentage du PIB le plus bas est le Danemark – avec respectivement 1,5 % et 0,3 % – tandis qu'à l'opposé, on trouve la Suède qui affiche un taux de croissance supérieur à 3 % et une part des cotisations sociales dans le PIB très élevée : 12 %. Ce sont deux pays scandinaves qui financent différemment la protection sociale. Le lien entre protection sociale, prélèvements obligatoires et taux de croissance ne peut pas être interprété.

Une réforme du mode de financement de notre protection sociale permettrait-elle d'améliorer notre compétitivité sans nuire au pouvoir d'achat ? Une « TVA sociale » aurait des effets comparables à une dévaluation : elle attiserait les tensions inflationnistes et ses effets positifs seraient faibles et de courte durée si les salaires et les retraites n'étaient pas bloqués. La « TVA sociale » n'aurait donc que sociale son nom si les salaires et les retraites étaient bloqués. Remplacer les cotisations sociales des entreprises par la contribution sociale généralisée aurait l'avantage de permettre de choisir la victime : les salariés, les retraités ou les rentiers. Mais quel serait l'engagement auquel les entreprises souscriraient en contrepartie et comment être certain de l'obtenir ?

En conclusion, d'une part, les leviers de la compétitivité sont à chercher non dans une politique macroéconomique magique mais dans une politique industrielle de long terme tendant à accroître la productivité. D'autre part, si le financement de la protection sociale peut être amélioré, il n'y a pas non plus de miracle à en attendre sur la compétitivité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion