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Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 15 juin 2010 à 9h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. Soyez assurés que je partage votre préoccupation de rendre plus opérationnels, plus efficaces et plus réalistes nos futurs plans de vaccination contre les pandémies, en tirant tous les enseignements de la manière dont a été gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1). De cette gestion, il nous appartient de préserver les aspects positifs, voire de les améliorer encore. Je souhaite aussi que votre travail puisse enrichir celui de mon ministère, en vue des campagnes de demain. Nous en sommes tous convaincus : nous avons non seulement une marge de progression en la matière, mais aussi l'impérieuse nécessité de favoriser les démarches de prévention.

Une des questions centrales qui ont commandé mon action dès l'émergence de l'alerte et tout au long de la pandémie est celle de l'évaluation du risque.

Nous avons su très tôt que le virus A(H1N1) n'était pas le virus A(H5N1) et que sa virulence était beaucoup plus modérée. Néanmoins, nous avons dû supporter, tout au long de la pandémie, l'incertitude quant à sa possible mutation et à l'acquisition de facteurs de virulence, voire de résistance ou de contagiosité. Comme vous l'a dit le professeur Claude Hannoun, les virus sont « facétieux » ; ils n'évoluent jamais comme on le croit.

Lors de l'émergence de l'alerte, j'ai donc ouvert le champ des possibles. Je n'ai retenu ni l'option d'une disparition pure et simple du virus, ni celle d'un scénario noir de type grippe aviaire. Conduire une politique, ce n'est pas suivre une croyance, ni faire un pari. J'ai retenu un scénario fondé sur des hypothèses plausibles qui s'est révélé plus pessimiste que ce qui est advenu dans la réalité. En l'occurrence, nous avons su, j'en suis convaincue, prendre des mesures adaptées face à cette pandémie qui a pu être qualifiée de « grippette » par certains d'entre vous.

Je voudrais donc vous rappeler, d'une part, les événements favorables qui ont lissé le risque et, d'autre part, les éléments positifs de la gestion de l'alerte. En effet, je souhaiterais que l'évaluation de la politique de prévention que j'ai engagée soit réalisée à l'aune du risque tel qu'il a été évalué puis réévalué tout au long de la préparation à la vague pandémique, et non pas tel qu'il s'est réalisé à la fin de l'année 2009. Quand vous assurez votre voiture en début d'année, vous ne regrettez pas, en décembre, de n'avoir pas eu d'accident : il n'y a besoin d'aucun accident pour justifier a posteriori le coût de votre prime d'assurance !

Tout d'abord, en tant que responsable politique, et même s'ils ne doivent rien à l'action que j'ai menée depuis le 24 avril 2009, je me félicite sincèrement des événements favorables qui ont rendu acceptable la menace que nous avons eu à affronter.

Certains ne tiennent pas au hasard. Nous avons su nous préparer. La menace de grippe aviaire a amené la France à se doter d'un plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale régulièrement actualisé. Pour autant, lorsqu'elle se concrétise, la menace ne prend jamais tout à fait le visage que l'on avait imaginé, et le plan a été la première victime du virus A(H1N1) – il faudra nous en souvenir pour l'avenir. Il n'a cependant pas été inutile, puisque nous en avons extrait les outils adaptés à la situation rencontrée – à aucun moment, je n'ai renversé la « boîte à outils » sur la table !

De la même façon, l'Organisation mondiale de la santé avait actualisé son mode de gestion et de coordination de l'alerte sanitaire ; et le règlement sanitaire international, adopté tout récemment, a permis le partage du signal d'alerte, puis celui de son analyse, entre tous les États parties à cette organisation.

D'autres événements tiennent davantage au caractère « facétieux » de ce virus A(H1N1). Il a émergé dans un pays où le système de surveillance a permis une détection précoce. Il s'est révélé étonnamment stable. Il n'a pas muté vers une forme plus dangereuse ; en tout cas, les mutations inquiétantes qui sont apparues, comme la mutation dite « norvégienne », n'ont pas acquis la capacité de se transmettre. En outre, il est resté sensible aux antiviraux et aux vaccins.

A compté, enfin, le moment auquel a surgi l'alerte. Son émergence au printemps a laissé le temps de produire des vaccins et d'obtenir leurs autorisations de mise sur le marché. C'était sinon inespéré, du moins imprévu.

Ce nouveau virus a par ailleurs évincé les virus saisonniers. Nous n'avons pas eu de grippe saisonnière, ce qui a permis d'éviter un cortège de complications chez les personnes âgées et un nombre important de décès.

En outre, une seule dose de vaccin a suffi pour protéger la majeure partie d'entre nous, et certains – les plus âgés – avaient, ce que nous ne savions pas au départ, gardé une immunité naturelle. Ces deux éléments ont réduit la circulation du virus.

Au-delà de ces événements favorables, je veux que nous puissions capitaliser sur les points positifs de la gestion de cette pandémie, car ils ont été nombreux et je souhaite en souligner aujourd'hui quelques-uns plus particulièrement.

Le premier, c'est la réactivité à l'alerte et l'adéquation des mesures proposées face à un virus inconnu.

Dans la toute première phase de l'alerte, dès le 24 avril et jusqu'au 23 juillet 2009, les établissements de santé se sont consacrés à la prise en charge systématique de tous les cas. Les centres 15 ont effectué la régulation de cette prise en charge et ont signalé les cas à l'Institut de veille sanitaire ; les services d'urgence et de maladies infectieuses ont isolé et mis sous traitement les patients, et les laboratoires hospitaliers ont réalisé le diagnostic biologique.

Cette phase avait pour objectif de ralentir la pénétration du virus sur notre territoire. Je ne peux, certes, assurer de l'efficacité de ces seules mesures. Mais je peux constater, avec vous, qu'un mois s'est écoulé entre l'apparition des premiers cas importés du Mexique – dès le 26 avril – et l'apparition de cas secondaires signant une transmission virale autochtone. Je constate également la différence d'évolution avec le Royaume-Uni qui n'a pas pris de mesures aussi drastiques et qui a été touché assez sévèrement dès le mois de juillet 2009.

Cette phase, dite « de contingentement », nous a permis de parfaire notre préparation et de mieux connaître les caractéristiques du virus.

Deuxième point positif : l'acceptation par nos concitoyens des mesures – essentielles – d'hygiène, dites « mesures barrières ».

Selon les enquêtes d'opinion, 40 % d'entre eux ont modifié leur comportement. Ce résultat, je dois le dire, m'impressionne. S'il est difficile de mesurer l'impact qu'ont eu ces mesures sur la pandémie, je constate avec l'ensemble des professionnels de santé que la gastroentérite et la bronchiolite, habituellement sources d'encombrement des salles d'attente et des urgences en hiver, ont reculé. J'envisage donc de poursuivre cet automne une campagne de sensibilisation qui nous a permis de ne pas revivre le cauchemar de janvier 2009, quand les établissements de santé étaient débordés.

Troisième point positif : la capacité qu'a démontrée notre système de soins à faire face à une épidémie nouvelle.

Les établissements de santé comme les médecins traitants ont su s'adapter aux particularités de la prise en charge des malades atteints du virus. La précocité de la prise en charge des cas de grippe par la médecine de ville, la précocité de la délivrance des antiviraux par les pharmaciens et la qualité des soins de réanimation pour des formes graves inusitées en sont trois exemples significatifs. Je veux le dire avec reconnaissance et respect : les professionnels de santé ont été au rendez-vous, et je les en remercie.

Le quatrième point positif a trait aux vaccins.

Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Ce que je veux retenir, c'est d'abord la rapidité avec laquelle la souche a été mise à la disposition des laboratoires de référence par l'Organisation mondiale de la santé. C'est ensuite le temps précieux que nous a fait gagner la procédure maquette, dite « mock-up », mise en oeuvre par l'Agence européenne du médicament – c'est la première fois que nous disposons d'un vaccin avant une pandémie ! C'est encore la qualité de la pharmacovigilance mise en place par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dans le cadre du plan de gestion des risques de l'agence européenne. Ce sont, enfin, les résultats de cette surveillance, qui ont confirmé le bon rapport bénéficesrisques des vaccins utilisés, avec ou sans adjuvant.

En cinquième lieu, l'Institut Pasteur mérite un coup de chapeau pour avoir su, dès le 5 mai, mettre au point un test de diagnostic fiable, diffusé ensuite au réseau de laboratoires et qui a permis d'affirmer le diagnostic d'infection liée au virus pandémique.

Enfin, concernant l'organisation de la campagne de vaccination elle-même, la réponse à la pandémie a montré la capacité de mobilisation de l'appareil d'État. Hier, en ouvrant la journée d'auditions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai eu l'occasion de féliciter toutes celles et tous ceux qui ont été mobilisés dès le début de l'alerte. Je veux y revenir aujourd'hui et remercier encore celles et ceux qui ont été présents, sur le terrain, dans les centres, tout au long des dix semaines de la campagne de vaccination. Ma gratitude va aux professionnels de santé : étudiants, internes, médecins, infirmières. Elle s'adresse également aux personnels administratifs, au premier rang desquels les chefs de centre. Je n'oublie pas non plus les bénévoles, tout particulièrement ceux de Croix Rouge, qui sont venus améliorer les conditions d'accueil.

Aujourd'hui, je me réjouis de ne pas avoir eu à affronter une grippe d'une virulence extrême et je veux rappeler qu'il y a eu, dans de nombreux domaines, une gestion adaptée. Pour la première fois, face à une menace sanitaire majeure, nous nous sommes donnés les moyens de la prévention.

Cependant, nous avons été confrontés à deux paradoxes. En premier lieu, l'ensemble des acteurs – et les parlementaires ne sont pas les derniers – s'accorde pour dire qu'il faut privilégier les politiques de prévention plutôt que celles de soin. C'est ce que j'ai fait face au virus A(H1N1). Pourtant, l'acceptabilité n'a pas été au rendez-vous. En second lieu, alors que nos concitoyens appréhendent une approche strictement comptable de la santé et une limitation de l'accès aux soins, nous avons vu une vaccination universelle et gratuite faire l'objet, contre toute attente, de critiques, voire de suspicion…

Comme vous le savez, le coût de cette pandémie – environ 500 millions d'euros – a été bien moindre que celui que nous avions anticipé en juillet 2009, ce qui montre que nous avons su adapter nos mesures. Je ne sous-estime pas ce coût, surtout en ces temps de difficultés économiques, mais que représente-t-il par rapport aux sommes importantes consacrées chaque année aux soins et que vous serez bientôt amenés à examiner dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

La menace pandémique exigeait, selon moi, de permettre un accès universel à la prévention. J'ai défendu, auprès du Gouvernement, le principe d'un vaccin gratuit pour tous, et je suis fière d'avoir porté ce principe éthique.

Nos acquisitions de vaccins ont par ailleurs permis au Président de la République de faire jouer à fond la solidarité avec des pays moins favorisés. Nous avons ainsi mis à la disposition de l'Organisation mondiale de la santé 11 millions de doses au total et je me félicite de cette solidarité.

Pour autant, je le dis avec simplicité, restent ce que j'appelle des points noirs, que vous avez pu identifier tout au long de vos auditions et sur lesquels nous avons encore beaucoup à travailler.

Ces points noirs ont cristallisé les réactions et les passions, au risque, parfois, de masquer tout le reste. Ils sont cependant réels et recouvrent des difficultés qui vont bien au-delà de la pandémie pour interroger toute notre organisation de santé publique. Au fond, la pandémie a été le révélateur d'un certain nombre d'insuffisances de notre système de santé et peut-être de notre système administratif.

Ces points noirs me préoccupent.

Le premier est le fait que l'expertise soit mise à mal, critiquée, décrédibilisée. Je le redis avec force : cette expertise est irremplaçable et je crains aujourd'hui qu'elle ne nous fasse défaut demain. Nous devons trouver les moyens de réconcilier expertise et opinion publique ! Nous n'avons nul besoin de boucs émissaires. Il est de notre responsabilité de gouvernants et d'élus de préparer l'avenir. L'expertise restera indispensable à la décision. Elle doit être du plus haut niveau possible. Je continuerai d'y veiller.

Le deuxième point noir tient aux difficultés rencontrées dans l'organisation d'une vaccination de grande ampleur.

Aujourd'hui, quel est le constat ? Les centres de vaccination n'ont pas atteint leur objectif : ils ont permis, au meilleur de leur fonctionnement, de vacciner 250 000 à 300 000 personnes par jour, alors que nous attendions le double.

La médecine de ville et les établissements de santé, pour lesquels le soin reste la priorité, n'auraient pas suffi non plus. Il n'y a donc pas de solution unique, pas de solution miracle. Il y a sans doute un réseau d'acteurs à mobiliser et peut-être des pistes nouvelles à explorer.

Troisième point noir : la communication avec la médecine de proximité s'est heurtée à de nombreuses difficultés, malgré des efforts non négligeables, l'exploration de multiples pistes et un investissement personnel de ma part. Il me semble que cette communication a été vécue par les praticiens comme une intrusion et une atteinte à leur indépendance. Cette perception a été relayée et, sinon instrumentalisée, du moins amplifiée par des organisations syndicales, dans le contexte électoral que vous connaissez.

Comme dans d'autres domaines, je constate une forme d'antagonisme entre l'individualité de la médecine libérale et la compétence régalienne de l'État face à une menace sanitaire, entre une démarche individuelle et une démarche populationnelle. Je serai très intéressée de pouvoir débattre de ce sujet avec vous tout à l'heure, ou de lire plus tard les préconisations de votre rapport à cet égard. Il y a là un élément clé pour l'avenir, et pas seulement dans le contexte de l'alerte sanitaire. Le problème de la diffusion de l'actualisation des connaissances scientifiques, lorsque celles-ci évoluent en quelques semaines comme cela a été le cas lors de cette pandémie, nous est posé.

Le quatrième point noir, peut-être le plus grave, se rapporte au principe même de la vaccination.

Comme l'indiquent les sondages, nos concitoyens ont d'abord massivement voulu se faire vacciner, puis ne l'ont plus voulu. Pourquoi ? D'après les sondages, ils ont pris peur, car beaucoup de choses – trop sans doute – ont été dites, par tous et n'importe qui, sur les adjuvants, sur le thiomersal ou sur la rapidité de leur préparation. On a même parlé d'« expérimentation en grandeur nature » ! Puis-je parler à mon tour de sabotage ? Il suffit de regarder aujourd'hui nos résultats de pharmacovigilance pour appréhender le degré de la désinformation qui a été conduite. Les responsables en sont remarquablement divers : occultes et dissimulés derrière la « toile » d'internet, ou bien notables en quête d'une éphémère célébrité médiatique.

Nos politiques de prévention doivent, pour l'avenir, se doter de la solidité nécessaire pour leur résister.

Nous devons apprendre pour demain, car demain – n'en doutons pas – une autre menace émergera et sans doute plus vite que nous ne le souhaitons. La mondialisation rend inévitable la multiplication des alertes sanitaires ou des alertes à conséquence sanitaire. Cela ne sera peut-être pas la grippe, peut-être même pas une pandémie. Cela pourra être un accident industriel ou une catastrophe environnementale, un risque nucléaire ou chimique. Nous vivons dans un monde d'incertitude.

La préparation à la menace de demain, j'en porte la responsabilité avec le Gouvernement et je l'assume devant l'ensemble des institutions qui, aujourd'hui, se penchent sur la question : votre commission d'enquête, celle du Sénat, la mission de la Cour des comptes, etc. Demain, nous devrons encore solliciter les experts, mobiliser les médecins généralistes, proposer à nos concitoyens des moyens de protection et engager des fonds dans des actions de prévention face à une menace nouvelle et par définition incertaine. Dans tous ces domaines, nous devons travailler et, pour ce faire, il nous faut d'abord rétablir la confiance. Je souhaite que nos échanges y contribuent.

Je vous remercie de votre attention et suis prête à répondre à vos questions.

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