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Intervention de Antoine Flahault

Réunion du 27 avril 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Antoine Flahault, directeur de l'école des hautes études en santé publique :

M. Gérard Bapt a posé la question de l'efficacité individuelle du vaccin. C'est sans doute le domaine dans lequel existe le plus d'études. Lorsque j'évoquais un manque d'évaluations, en effet, il s'agissait de son efficacité collective. Du point de vue individuel, le vaccin contre la grippe est connu pour ne pas être très efficace, et il l'est d'autant moins que l'on est âgé. Il n'est donc pas possible d'affirmer qu'une personne vaccinée sera protégée à 100 %, ni qu'elle ne risque pas d'héberger le virus ou de contaminer d'autres personnes. Mais, à titre individuel, la vaccination réduit significativement ces risques, ainsi que le risque de développer des complications.

Je ne partage pas l'idée selon laquelle le débat n'a pas eu lieu autour des questions liées à la grippe. Il est exact que dans certaines sphères scientifiques, les opinions contredisant l'idée dominante peuvent avoir du mal à s'exprimer, mais cela n'a pas été le cas en l'espèce. J'ai trouvé au contraire remarquable que tout le monde ait eu la possibilité de s'exprimer sur ce sujet de société : les politiques sont intervenus, le débat n'a pas été capturé par les experts, et même parmi ces derniers, des opinions antagonistes ont pu être émises. C'était sain, car la culture du débat et de la contradiction, naturelle pour des députés, est parfois insuffisante dans le domaine scientifique. C'est pourquoi on a eu tort, selon moi, de vilipender à ce point la cacophonie régnant autour de la question de la grippe, car le débat a eu lieu de façon démocratique.

Vous me reprochez d'avoir annoncé 30 000 décès dès le mois de mai, mais j'ai seulement dit que cela pourrait arriver. C'était l'un des scénarios possibles, celui de 1968. Mais j'ai surtout dit cela par rapport au rapprochement fait à cette époque avec la grippe de 1918, qui a fait 20 millions de morts. Des ouvrages sont ainsi parus en France qui annonçaient 500 000 décès dans le pays. J'ai justement dit que de telles affirmations n'étaient pas raisonnables, que cela n'arriverait pas.

Je reconnais volontiers que je me suis trompé : il n'y a pas eu 30 000 morts. Mais je le répète, le décompte effectué aux États-Unis du nombre d'années de vie perdues en raison de la grippe – nous ne disposons pas encore de telles données pour la France – montre que nous avons connu un scénario peu éloigné de celui de 1968. L'affirmation selon laquelle on pourrait connaître une pandémie des temps modernes n'était donc ni catastrophiste, ni absurde. Dès lors, pourquoi ne pas le dire ? Un tel exercice n'a-t-il aucun intérêt ? Vous êtes libre d'en juger ainsi. Mais nous nous devons d'essayer d'envisager les scénarios possibles. L'Institut de veille sanitaire (InVS) a déclaré qu'il pourrait y avoir entre 6 000 et 96 000 décès : ne fallait-il retenir que l'estimation haute ? C'est une tendance générale, et pas seulement chez les journalistes. On peut d'ailleurs comprendre que les politiques en charge de la gestion du risque aient tendance à ne retenir que le haut de la fourchette. Cela ne me choque pas particulièrement.

J'en viens à cette forme de communication faisant alterner « douches chaudes » et « douches froides », et qui a été très étudiée par les spécialistes de la gestion du risque. On l'appelle en anglais reassurance arousal paradox, que l'on pourrait traduire par : « je rassure et je mobilise ». Cela revient, par exemple, à affirmer que le nuage de Tchernobyl ne passera pas au-dessus de la France – « je rassure » –, mais qu'il convient de se munir d'iode pour le cas où cela apparaîtrait nécessaire – « je mobilise ». Ce paradoxe est consubstantiel à la gestion d'une crise. Quel que soit le bord politique où vous vous situez, lorsque vous êtes aux manettes, vous devez tenir un discours destiné à éviter toute panique tout en maintenant l'attention et la vigilance. Cette dualité se retrouve à tous les stades de la communication.

Jean-Marie Le Guen juge que l'on m'a peu entendu. En tant que directeur d'une École de santé publique, j'ai le sens de mes propres responsabilités. Lorsque le débat était posé, c'est-à-dire avant que le ministère prenne la décision de vacciner telle ou telle catégorie de la population, je me suis senti autorisé à présenter mes arguments et à diffuser le plus possible les résultats de nos travaux. Une fois les décisions prises, il n'était pas dans mon tempérament de m'y opposer. Une telle attitude « militante » aurait ajouté à la confusion, ce que je ne souhaitais pas.

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