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Intervention de Antoine Flahault

Réunion du 27 avril 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Antoine Flahault, directeur de l'école des hautes études en santé publique :

Du tout début du mois de mai 2009. Dès le 18 mai, nous avons pu envoyer les résultats de nos premiers travaux, réalisés avec une équipe comprenant des chercheurs de l'INSERM et de l'INRA. L'étude, parue le 12 août 2009 dans une revue en libre accès publiée en ligne, BMC infectious diseases, élaborait différents scénarios pour les dix-huit mois à venir.

Je rappelle que la modélisation mathématique n'est pas en soi prédictive : elle sert seulement de « planche à dessin » pour les politiques de santé publique, notamment lorsqu'il s'agit d'envisager des interventions telles que la vaccination d'une part donnée de la population. Toutefois, le scénario que nous avions jugé le plus probable s'est finalement à peu près réalisé. Écartant l'hypothèse d'une très forte couverture vaccinale à partir de septembre – il était en effet assez facile de prévoir qu'aucun vaccin ne serait disponible à cette date –, nous avions suggéré qu'une demi-vague épidémique se produirait dans l'hémisphère Sud à partir de la fin du mois de juillet et s'arrêterait assez brutalement au tout début du mois d'octobre. C'est ce qui s'est produit, à ceci près que l'on ne sait pas encore s'il s'agissait vraiment d'une demi-vague. Si c'est le cas, nous pensons que l'autre moitié surviendra entre mai et septembre 2010.

L'article paru dans BMC prévoyait également qu'une vague unique se produirait dans l'hémisphère Nord, démarrant à partir de septembre-octobre 2009 et se terminant au début de l'année 2010, sans résurgence au printemps et en été. Nous n'avions pas poussé plus loin nos simulations, en ébauchant par exemple un scénario pour l'hiver prochain.

Répondant à la presse, notamment dans des articles du Monde et de Libération, nous avions évoqué au tout début du mois de mai 2009 trois modèles possibles pour l'épidémie. Le premier était celui d'une pandémie de type SRAS, qui disparaîtrait spontanément sans réapparaître au cours de l'hiver 2009-2010. Nous n'y croyions pas vraiment, car le SRAS est une maladie très bruyante. Cette pneumopathie atypique conduit très souvent à l'hospitalisation, parfois en réanimation, et aucun cas asymptomatique n'a été identifié à ce jour. Il fut donc relativement facile à l'époque de stopper les malades sur le tarmac des aéroports et d'empêcher l'éclosion de foyers secondaires – avec quelques exceptions, comme à Toronto. Il n'y a donc pas eu de pandémie avec le SRAS, au contraire du scénario qui s'est produit avec la grippe H1N1.

Le deuxième modèle, celui d'une pandémie incontrôlée, a été très souvent évoqué. C'est celui d'une pandémie prenant une allure catastrophique, comparable à celle de 1918 – le virus H1N1 a en effet une parenté avec celui de la grippe espagnole. Nous n'y croyions pas vraiment non plus, car nous ne sommes plus en 1918 : nous disposons aujourd'hui de traitements antiviraux, mais aussi d'antibiotiques contre les complications de la grippe, de systèmes de réanimation, etc. En outre, en 1918, la notion de virologie était absente des connaissances scientifiques. Nous ne pensions donc pas que le monde développé pourrait connaître ce type de scénario.

Nous évoquions finalement un troisième modèle, celui d'une « pandémie des temps modernes », qui s'apparenterait davantage à celles de 1957 et 1968, les deux dernières pandémies de l'époque moderne.

À la fin du mois d'août 2009, une question demeurait pendante dans la communauté scientifique, probablement la plus difficile à résoudre quand une épidémie survient, celle de la virulence : quelle mortalité attribuer à cette maladie ? Une telle question est très complexe s'agissant de la grippe. Ainsi, en ce qui concerne la grippe saisonnière, on évoque 6 000 décès en France chaque année, et 36 000 aux États-Unis. Or, cette mortalité en excès n'est pas vue par les médecins, dont les certificats de mortalité ne font connaître que 600 décès par an pour cette maladie, soit le dixième du chiffre estimé par les épidémiologistes. On observe le même phénomène en Grande-Bretagne, en Australie, aux États-Unis : une mortalité en excès très importante – de l'ordre de 1 cas pour 1 000 affections dues à la grippe saisonnière –, mais que les médecins ne voient pas.

Par ailleurs, la mortalité peut prendre trois aspects. Elle peut d'abord être directe, ce qui est rarissime dans le cas de la grippe saisonnière. En France, les bases de données du PMSI – Programme de médicalisation des systèmes d'information – montrent que dans les cinq dernières années, on n'a observé que cinq à six cas par an de syndrome de détresse respiratoire aiguë dû à la grippe saisonnière, et entre un et trois décès par an. Mais à la fin du mois d'août 2009, l'expérience de l'hémisphère Sud n'était pas du tout celle-ci : la mortalité directe y était de l'ordre de 1 pour 10 000, c'est-à-dire cent fois supérieure à celle qui est observée d'habitude avec la grippe saisonnière. C'est ce qui nous a fait écrire dans PLoS Currents : Influenza que la virulence vraiment attribuable à la mortalité directe semblait élevée avec cette grippe pandémique. Quant à la mortalité indirecte, il est trop tôt pour se prononcer. En France, au lieu d'avoir un à trois décès par le syndrome de détresse respiratoire aiguë, on a connu environ 300 décès – soit cent fois ce à quoi on se serait attendu avec une grippe saisonnière –, et environ 1 200 hospitalisations pour syndrome de détresse respiratoire aiguë, à comparer aux 5 hospitalisations causées chaque année par la grippe saisonnière. Le visage pris par cette grippe H1N1 pandémique était donc particulier.

Cette différence entre mortalité directe et indirecte nous a semblé particulièrement difficile à faire passer dans les médias. Nous avons donc publié un livre chez Plon, avec Jean-Yves Nau, et ouvert un blog – qui est d'ailleurs toujours en activité –, afin de tenter d'expliquer au public ces concepts compliqués.

Autre concept important à comprendre, celui de létalité, qui désigne la proportion des malades qui décèdent à l'hôpital. Une étude importante parue le 4 novembre 2009 dans le Journal of the american medical association nous apprend que les enfants, s'ils sont souvent atteints par le virus H1N1, en meurent beaucoup moins que les jeunes adultes et les adultes âgés. Les adultes ont le même taux de létalité dans une tranche d'âge allant de 18 à plus de 70 ans, alors que ce taux est dix à cent fois inférieur chez les enfants et les tout petits enfants.

À partir de l'automne 2009, les résultats de recherche commencent à affluer, nous donnant d'autres éléments de connaissance. On se rend ainsi compte que la distribution d'âges des cas de H1N1 pandémique est superposable à celle des cas saisonniers de H1N1, mais assez différente de la distribution d'âges des cas saisonniers de grippe H3N2 – c'est-à-dire la grippe de Hongkong, alors que la grippe saisonnière H1N1 est une résurgence de la grippe de 1918. La grippe pandémique se comporte donc comme une grippe H1N1 normale. Mais on observe aussi que très peu de gens âgés de plus de 60 ans contractent le virus H1N1 saisonnier : c'est ce qui relève de l'expérience vécue dans l'hémisphère Sud, confirmée depuis dans l'hémisphère Nord. Ce fait est important parce qu'il signifie que la mortalité indirecte sera probablement beaucoup moins importante que celle de la grippe saisonnière, laquelle est, depuis 1968, essentiellement due au virus H3N2.

À ma connaissance, les seuls à avoir mis en évidence cette mortalité indirecte sont les CDC, centers for disease control and prevention, qui assurent la surveillance en temps réel de 122 villes nord-américaines et publient chaque semaine un bulletin à ce sujet. Dès le mois de septembre, la mortalité indirecte y avait atteint la valeur attendue pour la saison. L'excès de mortalité est assez aisé à calculer : il suffit, à un moment donné, de comparer le taux de mortalité à celui que l'on observait les années précédentes, en l'absence d'un virus H1N1 pandémique. Cette comparaison est d'autant plus facile qu'aux États-Unis il n'y a pas eu de grippe au mois de septembre depuis plus de vingt ans.

Je terminerai par un article important paru le 22 avril dans la revue Nature, et qui dresse le portrait de cette pandémie un an après son apparition. Il met en lumière des travaux effectués par Mme Viboud au National institute of health – équivalent américain de l'INSERM – et parus dans PLoS Currents : Influenza. Ils montrent qu'au États-Unis, le nombre de certificats de décès confirmés a été faible par rapport à la mortalité habituellement enregistrée au cours des saisons et des pandémies passées – même si une enquête des CDC montre une sous-estimation de la mortalité rapportée à l'Organisation mondiale de la santé. Les estimations de Mme Viboud conduisent à attribuer 44 000 décès à la grippe H1N1, un chiffre proche des 36 000 décès enregistrés en moyenne lors des épidémies de grippe saisonnière aux États-Unis. Mais plus intéressante est la tentative de Mme Viboud de chiffrer le nombre d'années de vie perdues, car ce sont plutôt des jeunes qui décèdent de la pandémie H1N1, contrairement à ce qui se passe pour la grippe saisonnière. Cet indicateur permet de prendre en compte la différence entre le décès prématuré d'une personne de quatre-vingt-quinze ans, dont l'espérance de vie n'est que de quelques mois, et celui d'une personne plus jeune. Or ce nombre d'années de vie perdues en raison de la pandémie H1N1 aux États-Unis est comparable à celui que l'on a pu calculer lors des deux dernières pandémies : plus important qu'en 1968, mais moins qu'en 1957. C'est ce qui laisse penser que nous avons connu une forme de « pandémie des temps modernes ».

Nous avons ainsi assisté, sur toute la planète, au remplacement de toutes les souches virales en circulation par la souche H1N1 pandémique. Désormais, il n'existe presque plus de virus H3N2 et H1N1 saisonniers, ce qui est une signature pandémique très claire : à chaque pandémie, la nouvelle souche remplace totalement les souches précédentes.

Comme tout le monde le prévoyait, le vaccin est arrivé trop tard pour l'hémisphère Sud. Il a été produit à temps pour l'hémisphère Nord, mais s'est révélé peu attractif, puisque dans pratiquement aucun des pays développés où il était disponible – à l'exception du Canada, de la Hongrie et de la Suède – la couverture vaccinale a été de nature à pouvoir enrayer le phénomène pandémique. Par l'immunisation acquise, les populations de ces trois pays se sont vu appliquer une forme de mesure barrière, et il sera intéressant d'observer si la même souche y circulera à nouveau l'hiver prochain.

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