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Intervention de Anouar Kbibech

Réunion du 4 mai 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Anouar Kbibech :

- Messieurs les Présidents, Madame et Monsieur les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à cette audition dont l'objectif est, je le suppose, de recueillir le point de vue du Rassemblement des Musulmans de France et, au-delà, de l'Islam, ainsi que l'analyse d'une fédération musulmane par rapport à la problématique posée. L'ensemble des composantes de l'Islam de France partagent la même vision à ce sujet.

Je vous prie toutefois de bien vouloir n'y voir aucune entorse à la laïcité ou à la loi républicaine, que nous partageons tous et auxquelles nous sommes profondément attachés.

Quelle est la position de l'Islam vis-à-vis de la drogue, fléau et centre de la démarche de toxicomanie ? Je tiens à rappeler ici une position générale : la religion musulmane interdit catégoriquement tout ce qui nuit à la santé. C'est fondamental. Parmi les grandes finalités religieuses de la jurisprudence musulmane, il en existe cinq que l'on essaie de préserver, l'intégrité physique -le corps humain- l'intellect ou la conscience, la continuité de l'espèce humaine à travers la progéniture, la propriété personnelle et enfin l'honneur et la dignité de la personne humaine.

Or, on constate que ce fléau de la toxicomanie détruit l'ensemble de ces cinq grandes finalités. Il s'attaque à la santé, à l'agent, à l'honneur et à la dignité de la personne humaine ; c'est à ce titre que la drogue est totalement proscrite dans la religion musulmane. C'est une position de fond qu'il faut rappeler.

Effectivement, ce mal frappe trop souvent nos jeunes alors que selon la position théologique de l'Islam, on ne devrait pas avoir de toxicomanes de religion ou de culture musulmane. Malheureusement, on retrouve dans un certain nombre de lieux, notamment carcéraux, beaucoup de jeunes tombés dans cette déviance, qui sont même poursuivis pénalement.

Tout ceci nous incite à essayer d'organiser des campagnes de sensibilisation et d'information afin de susciter un certain nombre de comportements responsables et préventifs en connaissance de cause. A ce titre, des campagnes ont été réalisées par le Rassemblement des Musulmans de France à travers l'ensemble de nos imams et de nos aumôniers, afin de réaliser ce travail d'éducation et d'information auprès des jeunes et des moins jeunes, les parents étant également directement concernés par cette déviance.

Ces campagnes permettent de sensibiliser les personnes qui ne sont pas encore atteintes ; pour celles qui le sont déjà, il s'agit de leur donner la volonté, les moyens et les ressources psychologiques et spirituelles pour y arriver.

Tous ceux qui représentent la religion musulmane devraient opérer leur révolution intellectuelle : le religieux ne peut se limiter à s'ériger uniquement en censeur des moeurs. A ce titre, la toxicomanie peut être perçue par la religion avec une certaine sagesse et un certain esprit de soutien vis-à-vis de ceux qui sont frappés par ce fléau. On ne souhaite donc pas que le personnel religieux s'érige en juge mais se situe dans une démarche de soignant, plus médecin que juge. C'est ce que l'on demande aux différents cadres religieux rattachés au Rassemblent des Musulmans de France.

L'attitude purement moraliste, voire moralisatrice, ne peut plus se défendre d'un point de vue strictement religieux, l'Islam, comme toutes les autres religions révélées, considère qu'il appartient à Dieu seul de juger les hommes et non aux hommes de jeter l'anathème sur leurs semblables. C'est fondamental en termes de posture pour pouvoir traiter ceux qui son malheureusement atteints par ce fléau.

Ainsi cette religion éclairée peut-elle contribuer à une meilleure adaptation des comportements des religieux, de nos imans et de nos aumôniers dans l'assistance mais aussi dans la prévention de la toxicomanie.

Aujourd'hui, l'aumônerie musulmane, à travers le Conseil français du culte musulman, essaye de se structurer aussi bien dans l'environnement carcéral que dans les hôpitaux, où on peut rencontrer un certain nombre de jeunes traités pour toxicomanie mais également dans le monde éducatif -lycées, collèges. Le rôle de l'aumônerie musulmane peut être précieux à ce titre.

Malheureusement, les politiques menées depuis un certain nombre de décennies ne donnent pas à l'aumônerie musulmane les mêmes moyens qu'à d'autres. Il existe donc dans ce domaine un vrai déficit qu'il faut essayer de rattraper pour se donner les moyens de cet accompagnement et afin de pouvoir accomplir ce rôle.

Il existe une spécificité dans la diversité culturelle et la représentation qu'on peut avoir du toxicomane dans la religion musulmane. Elle peut parfois représenter un obstacle dans cet accompagnement. On peut en effet percevoir, dans une vision purement religieuse, que le toxicomane est dans le péché du fait de son comportement déviant. Toutes les aumôneries, quelle que soit la religion, vous diront la même chose : leur rôle n'est pas de juger ceux qui sont en face mais plutôt de les aider à s'en sortir !

Cette représentation du toxicomane que l'on peut avoir dans la religion peut parfois constituer un obstacle à l'information, voire à la discussion. Elle peut donc nuire à la prévention de ce type de situation.

La religion en général peut jouer un rôle dès l'enseignement scolaire. Le fait d'admettre dans un certain nombre de programmes le rôle que peut jouer l'histoire des religions ou l'instruction civique, afin de rappeler les bases éthiques de la morale quotidienne que chacun doit respecter, comme le propose l'ensemble des religions monothéistes, peut contribuer à la prévention à laquelle nous aspirons tous.

L'Islam ne s'érige pas uniquement comme un simple système d'interdits et de permissions mais recèle dans son message tous les éléments d'une réflexion en vue de construire une existence responsable, saine et équilibrée. C'est ce message qu'il faut mettre en valeur et développer. Les populations issues de l'immigration ou les plus jeunes qui se reconnaissent dans la religion ou dans la culture musulmane peuvent peut-être être plus sensibles que d'autres à ce message.

Face à ce défi planétaire qu'est la toxicomanie, l'apport du religieux pour la reconstruction de la pensée spirituelle de l'humanité et le recentrage des bases éthiques de la vie morale dans les comportements quotidiens devraient inciter à changer, voire faire changer les comportements des uns et des autres.

La religion pourrait alors avoir un rôle complémentaire par rapport à la science et à la société. En conjuguant tous nos efforts, nous pourrons arriver à bout de la toxicomanie.

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