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Intervention de Marc Dolez

Réunion du 9 novembre 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Comme Jean-Claude Sandrier vous l'a déjà indiqué par écrit, monsieur le président, notre groupe regrette vivement qu'après plusieurs mois de travail et l'audition de plusieurs dizaines de personnalités, cette mission d'information ne donne finalement pas lieu, comme c'est l'habitude, à la rédaction d'un rapport.

Dans la mesure où il n'est pas possible de présenter de contribution écrite, je souhaite présenter les conclusions que notre groupe tire de cette série de travaux.

La mission d'évaluation s'était donné pour objectif d'analyser l'évolution de la compétitivité de notre économie au regard de la situation de nos principaux partenaires et concurrents.

Mais selon nous, elle visait indirectement à mettre en avant le « modèle » allemand de compétitivité et à souligner que la perte de compétitivité de la France vis-à-vis de son principal partenaire et concurrent tenait à la fois au poids excessif des prélèvements fiscaux et sociaux acquittés par nos entreprises et à l'inadaptation du mode de financement actuel de notre système de protection sociale.

Les auditions organisées dans le cadre de la mission ont mis à mal ces présupposés et apporté un éclairage saisissant sur les limites du « modèle » allemand, le peu de pertinence de la question des coûts salariaux et l'importance cruciale que revêt le développement industriel pour la croissance de notre économie. Cela nous conduit à souligner l'urgence d'une réorientation des politiques industrielles à l'échelle de l'Union européenne.

Le prétendu modèle allemand est parvenu à une impasse. Afin d'accompagner l'entrée de leur pays dans l'Union monétaire avec une monnaie surévaluée, les gouvernements allemands successifs se sont fixés pour tâche, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, de soutenir les grandes entreprises du secteur exportateur dans leur stratégie de restauration de la compétitivité.

Les politiques conduites, en particulier par le gouvernement dirigé par M. Gerhard Schröder dans le cadre de l'« Agenda 2010 », ont ainsi mis l'accent sur la compression des coûts salariaux, la déréglementation du marché du travail et la réduction drastique des dépenses publiques, dont la part dans le PIB a baissé de 10 % entre 1996 et 2007.

Par l'effet combiné d'une faible inflation et du transfert d'une partie des coûts fiscaux des entreprises vers les ménages, avec l'instauration en 2007 d'une TVA sociale, l'Allemagne a acquis en quelques années un énorme avantage compétitif sur l'ensemble des pays de la zone euro. Celui-ci s'est traduit par une explosion des excédents commerciaux. La part des exportations dans le PIB allemand est ainsi passée d'environ 25 % en 1996 à 47,5 % en 2008.

L'Allemagne n'en éprouve pas moins aujourd'hui de graves difficultés. Certaines tiennent à des facteurs historiques ou culturels, comme l'effondrement démographique, mais d'autres nous renseignent utilement sur les impasses où conduisent les politiques économiques fondées exclusivement sur l'offre.

Il importe de rappeler que les « succès » affichés à l'exportation se paient en premier lieu d'une atonie durable de la croissance et de reculs sociaux majeurs : l'Allemagne est le pays qui a créé le moins d'emploi depuis vingt ans. Il est aussi celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d'Europe ces dernières années, si l'on excepte la Bulgarie et la Roumanie : le ratio entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres y a en effet augmenté de 33 % entre 1998 et 2008, contre 2 % en France. C'est également le pays où le salaire moyen hors inflation a stagné, où la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté – il est passé de 80 % à 35 % –, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut ; un pays où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 %, contre 13,5 % en France.

Certes le taux de chômage a baissé en Allemagne, passant de 10 % en 2005 à 7,3 % en 2008, mais cette baisse est avant tout la conséquence de l'augmentation du travail à temps partiel, le plus souvent contraint. Outre-Rhin, un emploi sur trois n'est désormais ni à temps plein ni à durée indéterminée ; et un emploi sur dix est un « job » à moins de 400 euros par mois. Le pourcentage des emplois à bas salaires a augmenté de 6 points et 2,5 millions de personne travaillent, en l'absence de salaire minimum de croissance (SMIC), pour moins de 5 euros de l'heure.

Si l'économie allemande a su en apparence profiter de la reprise du commerce mondial en 2009, et affichait, en 2010, une croissance en rebond de 3,5 %, ses perspectives ne sont guère plus prometteuses et encourageantes que lors des dix dernières années, pendant lesquelles le taux de croissance n'a progressé en moyenne annuelle que de 1,1 %.

En faisant entièrement reposer sa politique économique sur la balance extérieure au détriment de la demande intérieure, l'Allemagne est aujourd'hui dans une impasse. Elle est devenue étroitement dépendante de ses excédents commerciaux et de la demande intérieure de ses voisins européens, avec lesquels elle réalise 75 % de son excédent.

De fait, comme le soulignait l'économiste Jacques Sapir, « si tous les pays de la zone euro avaient une politique similaire, l'excédent commercial allemand serait bien moins fort mais – surtout – nous aurions une crise majeure dans la zone euro en raison de l'addition des politiques récessives sur la demande intérieure. ».

Nous mesurons ici le risque pour la France et pour l'ensemble des pays de l'Union européenne à prendre exemple sur l'Allemagne et à puiser dans son répertoire de recettes néolibérales : entraîner l'Europe entière dans une spirale de récession. C'est pourtant la voie suivie par le « pacte pour l'euro plus » signé en mars dernier, une voie qui encourage les stratégies non-coopératives et la fuite en avant dans la concurrence fiscale et sociale.

De son côté, la France connaît une crise du développement et de l'emploi industriels. Après avoir culminé en 1974 à plus de 5,3 millions d'emplois, notre industrie a perdu, depuis, plus de 40 % de ses effectifs, pour passer en 2008 sous la barre des 3 millions de salariés. La dégradation s'est accélérée dans la dernière décennie : entre 2000 et 2008, l'industrie a perdu 500 000 emplois, et 269 000 emplois supplémentaires, soit près de 8 % des effectifs, ont été détruits avec la crise, entre le début de l'année 2008 et la fin de l'année 2009.

Si le phénomène touche l'ensemble des pays de l'Union, notre pays a été plus gravement affecté que d'autres. En dix ans, la part de l'emploi industriel dans l'emploi général a reculé de 14,3 % au sein de l'Union européenne, et de 19,3 % en France, contre 14,2 % en Allemagne et 11,8 % en Italie. Notre pays est désormais, avec l'Espagne et la Grèce, un des pays les plus désindustrialisés de la zone euro. Le constat est d'autant plus alarmant que l'industrie reste au coeur de notre développement économique en raison de l'évidente asymétrie de taille entre ce secteur et celui des services.

Parmi les facteurs structurels du déclin de l'industrie française figure en premier lieu le faible nombre des entreprises exportatrices – 90 000, alors que l'Allemagne en compte 250 000 – et la petite taille de nos PME, qui pèse sur leur capacité à investir dans la recherche et le développement, sur leur capacité à exporter et sur leur capacité d'autofinancement : cette dernière n'est que de 60 %, soit le taux le plus bas d'Europe après le Portugal. L'autre facteur principal est assurément la trop forte concentration de l'appareil industriel français, qui repose sur un coeur productif très dense, au détriment du reste du tissu industriel.

Outre le manque de petites et moyennes entreprises industrielles, indépendantes et diversifiées, l'un des facteurs économiques du déclin de l'industrie hexagonale est l'essoufflement de la compétitivité de notre appareil productif, qui a notamment eu pour conséquence la dégradation spectaculaire de la balance commerciale : alors que le solde des échanges commerciaux de produits industriels était encore positif en 2002, à hauteur de 20 milliards d'euros, il est devenu négatif pour la première fois en 2007, pour avoisiner les 51 milliards d'euros de déficit en 2010. Principales responsables, les importations croissantes de biens de consommation et de biens intermédiaires en provenance des pays émergents, avec lesquels il est difficile de rivaliser en termes de prix, mais aussi les stratégies des multinationales françaises, qui entretiennent un lien de plus en plus lâche avec leur territoire d'origine et n'hésitent pas à délocaliser leur production ou à faire leurs achats à l'étranger.

La sauvegarde de l'industrie et la préservation de l'emploi industriel exigent, pensons-nous, de rompre avec la logique de fuite en avant préconisée par le patronat, qui ne jure que par la baisse des charges et qui, après avoir obtenu récemment la suppression de la taxe professionnelle, cherche désormais, comme nous l'avons vu avec la réforme des retraites, à réduire toujours davantage le financement des régimes sociaux. C'est dans cette perspective que Gouvernement et majorité envisagent à présent la mise en oeuvre d'une TVA sociale, laquelle aurait à leurs yeux pour principal avantage de transférer vers les ménages une partie des charges qui pèsent sur les entreprises, fût-ce, comme en Allemagne, au détriment du pouvoir d'achat des classes moyennes et des moins favorisés.

À rebours de ces orientations, nous considérons que la première des priorités doit consister à conforter les atouts de notre pays : son modèle social, la qualité des services publics, la qualité de ses infrastructures, son tissu de petites et moyennes entreprises, le niveau de qualification de ses salariés – et donc la qualité du système d'enseignement et de formation –, la qualité et l'indépendance de la recherche publique… Ce sont là des facteurs majeurs de l'attractivité de la France et des atouts fondamentaux pour sa prospérité économique. Bien qu'elle ne saurait à elle seule tenir lieu de stratégie industrielle, la création de nouvelles activités dans les secteurs qualifiés d'« avenir », comme l'environnement, représente une seconde piste.

L'urgence est surtout de développer de nouveaux outils d'intervention, telle la création de fonds publics régionaux et d'un pôle financier public national prenant en charge tout ou partie des intérêts des crédits contractés par les entreprises pour financer leurs investissements, à proportion de leur efficacité sociale. Un pôle financier serait constitué autour de la Caisse des dépôts et consignations, avec les caisses d'épargne, les réseaux mutualistes, Oséo et la Banque postale. Nous jugeons également indispensable une remise à plat de la fiscalité des entreprises, de façon à décourager la spéculation par des dispositifs de modulation de l'imposition des entreprises et des cotisations patronales en fonction de l'orientation des bénéfices réalisés, selon que l'entreprise privilégie le versement de dividendes ou bien l'emploi stable, les salaires, l'investissement et la formation.

Autres objectifs prioritaires : séparer, au sein des banques, les activités de dépôt et les activités d'affaires, de façon à replacer les établissements de crédit dans leur coeur de métier – le financement de l'économie – et à les mettre à l'abri des turbulences et des caprices des marchés financiers ; rétablir les moyens de contrôle de l'utilisation des fonds publics ; définir des instruments permettant de s'assurer que la prise de participation de l'État au capital de grandes entreprises industrielles s'accompagne de la transmission de réels pouvoirs décisionnaires.

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