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Intervention de Jean-Claude Volot

Réunion du 15 mars 2011 à 16h00
Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française: production de matériels roulants voyageurs et frets

Jean-Claude Volot, médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance :

Notre industrie se partage entre quelques grandes entreprises et une multitude de sous-traitants, et cette généralisation de la sous-traitance a été organisée par les premières afin de répondre à leurs besoins. Tel n'est pas le cas en Allemagne, où les entreprises de taille intermédiaire en sont à la troisième génération – elles sont nées après la guerre. Ces « Mittelstand » fabriquent des produits ou des services finis vendables sur catalogue et directement exportables. Nos entreprises, elles, ne font pas de recherche et développement parce qu'elles sont trop petites et, comme elles sont trop petites, elles ne peuvent pas exporter !

Les plateformes collaboratives ont été créées pour sortir de ce cercle infernal. René Ricol et moi-même nous sommes beaucoup battus avec M. Estrosi pour que l'argent du Grand emprunt destiné à l'industrie ne fonde pas ! D'ailleurs, je me demande si les moyens qu'on a mis dans l'industrie en affirmant qu'elle est au coeur des préoccupations sont suffisants. La somme de 69 millions d'euros, que j'ai évoquée, doit aider les PME à se fédérer sur des projets communs.

Quant à concilier collaboration et indépendance, les plateformes collaboratives ne visent pas à atteindre à un maximum, mais à un optimum. Lorsque, dans le cadre des pôles de compétitivité, on agglomère des PME autour du projet d'un grand leader, les capacités de R&D, de financement ou d'autofinancement et d'endettement de ces PME sont orientées vers le projet global défini par ce leader, ce qui, évidemment, hypothèque lourdement leur indépendance stratégique. Au contraire, dans le cas d'un pôle où, en l'absence de grand leader, la répartition entre PME et ETI est assez équilibrée. L'indépendance stratégique est ainsi mieux assurée. À mes yeux, pour une PME, cette indépendance stratégique est garantie si elle ne réalise pas plus de 15 % de son chiffre d'affaires avec le même client. Les drames que nous rencontrons, notamment dans le secteur ferroviaire, concernent des entreprises dont le taux de dépendance est considérable. La délocalisation de la sous-traitance par la « mère nourricière » les met en très grave difficulté.

Ce problème ne peut être résolu que sur le long terme, soit sur une durée plus longue que le temps politique. La Fédération nationale des industries mécaniques et le Centre technique des industries mécaniques (CETIM) ont constitué un groupement d'intérêt économique (GIE) pour réaliser le projet ACAMAS d'analyse stratégique au service des PME, un projet qui produit ses premiers résultats au bout de huit ans : sur les 650 entreprises bénéficiaires, la moitié se sont mises à la R&D et à l'exportation ! Mais, je le répète, il aura fallu huit ans pour obtenir ce résultat. La mutation en cours, qui sera longue, s'opérera à partir des plateformes collaboratives. Dans le Tarn, sur vingt entreprises ayant répondu, en 1989 et 1990, également dans le cadre d'un GIE, à des appels d'offres d'Airbus, il n'en reste que treize aujourd'hui, parce que plusieurs ont fusionné, mais leur effectif global a augmenté de 40 %. Autrement dit, elles ont grossi mais on ne le mesure que vingt ans après.

Le départ des grands permet l'émergence de nouvelles industries : dans dix ans, des ETI et des PME performantes vendront et exporteront des produits et des services finis. La multitude des projets dans le cadre du Grand emprunt révèle la grande créativité de la France, que vérifie, par ailleurs, l'inventaire national des sujets d'étude que ce même Grand emprunt a permis, pour la première fois, de dresser. Il nous faut, en attendant, traverser une période difficile, durant laquelle les industries traditionnelles sont en perte relative de vitesse. Toutefois, selon les travaux de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), il est faux de parler de la désindustrialisation de la France : il faudrait plutôt évoquer une mutation industrielle. La production industrielle globale de notre pays n'a jamais cessé d'augmenter, grâce à un accroissement de la productivité de 30 % en dix ans, par le biais d'une automatisation de la production qui a, évidemment, conduit à une baisse équivalente des effectifs. Les secteurs qui voient leurs parts de marché augmenter sont le ferroviaire, l'aéronautique et le spatial, la pharmacie, les machines d'usage général, les machines agricoles et le matériel médico-chirurgical. Les secteurs qui chutent sont le mobilier, les métaux non ferreux, l'automobile, les produits textiles, les ordinateurs de bureau, l'habillement et le cuir. La courbe en euros constants n'est pas moins ascendante.

Il faut accompagner le plus intelligemment possible cette mutation industrielle afin de garantir le meilleur équilibre social et territorial. Les implantations des industries du futur n'obéissent plus aux règles du passé, quand un élu influent pouvait encore attirer un industriel dans sa circonscription, notamment par le jeu de ses relations. Ce temps est désormais fini et les élus, notamment ruraux, sont confrontés à la fermeture de leurs usines. Les industries s'implantent aujourd'hui le long des grands axes structurants – autoroutes, TGV, lignes aériennes –, le plus souvent dans des zones urbaines bénéficiant, de surcroît, de l'Internet à haut débit. Les élus qui n'ont pas anticipé cette évolution ne peuvent que difficilement convaincre des entreprises de rester chez eux.

Après ma nomination, je souhaitais me rendre dans les deux régions françaises les plus industrielles en dehors de l'Île-de-France : le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes. Ma première visite m'a conduit chez vous, monsieur le président : dans le Nord-Pas-de-Calais. Les sous-traitants du ferroviaire m'ont fait part d'un déficit de communication, qu'il s'agisse du court terme – ils reçoivent des commandes à trois semaines –, du moyen terme – ils ignorent les programmes de trains à deux ans, voire à cinq ans, alors que ceux-ci sont établis à dix ans –, ou du long terme – ils ne reçoivent aucune indication sur les trains du futur, qu'il s'agisse des matériaux, des modes de propulsion ou des programmes électroniques. J'ai été surpris parce que cela fait longtemps que l'ensemble du secteur aéronautique se réunit régulièrement – quatre fois par an – pour échanger des informations sur ce qui va se produire comme évolutions à court, moyen et long termes.

La Médiation a demandé à la Fédération des industries ferroviaires (FIF) les raisons d'une telle inorganisation, d'autant que l'incertitude, qui naît du manque de visibilité, nuit aux investissements. Le premier contact a été plutôt rugueux. J'ai rencontré son président, le sénateur Louis Nègre, très actif dans la filière : celle-ci, depuis, a commencé à s'organiser à une vitesse incroyable.

De fait, la filière, qui était pensée à partir d'Alstom, a été fragilisée non seulement par la crise, mais aussi, et plus profondément, par la politique non pas du « tout TGV » mais du « trop TGV », qui a conduit à l'abandon des autres formes de transport. Or le vrai patron d'une filière industrielle est celui qui est en contact avec l'usager ou le client : en l'espèce, la SNCF, la RATP, Veolia, la Régie des transports de Marseille et les autres transporteurs. Ce sont eux, en effet, qui savent ce que seront les transports du futur. Il ne saurait donc être question de les exclure de l'organisation de la filière !

Celle-ci a perdu des pans entiers de son activité du seul fait qu'elle était mal organisée. La SNCF, notamment, n'a jamais pu occuper la place qui aurait dû être la sienne parce qu'elle a toujours suscité des réactions irrationnelles. Nous avons expliqué à la FIF que le territoire français devait devenir le territoire d'expérimentation de tous les modes de transport, sur rail ou sur pneus. Tout ne se réduit pas au TGV ! Trop souvent la France fait des choix exclusifs en faveur d'un produit de haut niveau – je pense notamment à l'EPR dans le nucléaire civil –, ce qui la conduit à négliger des marchés plus traditionnels dont s'empare la concurrence étrangère.

Nous avons également dû expliquer à la FIF qu'elle devait faire toute leur place à des acteurs étrangers, comme Bombardier ou Siemens, qui conçoivent et produisent en France. Si, par exemple, c'est Siemens qui remporte le marché des transports publics du Grand Paris, il ne travaillera qu'avec des équipementiers et des sous-traitants français – il l'a écrit noir sur blanc. Une filière doit avoir l'intelligence – ou la malice – de laisser entrer des équipementiers étrangers – je pense à Bosch – qui travaillent déjà sur le territoire national.

Par ailleurs, certains sont lancés dans des projets sans doute trop grands pour eux : je pense en particulier à Lohr, une magnifique société mais très atteinte par la crise, que j'ai expertisée il y a un an et demi à la demande de René Ricol et d'Henri Lachmann. Sur les quatre axes d'activité de l'entreprise, deux sont de trop, compte tenu de sa taille. Lohr, en dépit de la réduction de ses perspectives de commandes, n'a pas reçu le soutien des entreprises nationales de transport. Alstom aurait pu intervenir. Si l'entreprise doit rester dans le « giron alsacien », les solutions ne peuvent toutefois plus être uniquement françaises puisque celles-ci ont jusqu'à présent fait défaut. Quant à Arbel Fauvet Rail (AFR) et aux Ateliers bretons de réalisations ferroviaires (ABRF), ces entreprises sont en situation difficile du fait qu'elles sont trop liées aux constructeurs français ; elles n'ont pas misé suffisamment sur l'exportation.

Pour résumer, j'insisterai sur le fait que ce sont les acteurs du rail au contact de l'usager et avec le client qui déterminent ce que seront les trains du futur. Quant à l'idée d'intégrer dans la filière française des constructeurs et équipementiers d'origine étrangère, elle commence à faire son chemin. Le revirement en matière d'organisation est spectaculaire. Nous aiderons la filière à poursuivre dans cette voie et je pense que le FSI saura l'aider en cas de besoin. Il est particulièrement remarquable que l'ensemble du secteur ait signé la charte régissant les relations entre donneurs d'ordre et PME, ce qui montre que tous ont compris la nécessité de s'agglomérer. Le préambule de cette charte est révélateur de l'état d'esprit dans lequel se trouve aujourd'hui la filière ferroviaire. C'est un motif d'espoir.

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