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Intervention de Jean Marimbert

Réunion du 5 mai 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de sant :

Je rappellerai tout d'abord brièvement les principales activités de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans le chantier de la pandémie grippale avant d'évoquer l'organisation de ses processus d'intervention. Je terminerai par quelques commentaires de portée plus générale.

Nous avions commencé de travailler bien avant le début de la pandémie de grippe A(H1N1), nous préparant plutôt à une pandémie H5N1. Dans cette perspective, nous avions notamment contrôlé les stocks stratégiques de produits de santé détenus par l'État, établi, à la demande du ministère de la santé, une liste de médicaments et de dispositifs médicaux indispensables en cas de pandémie, et autorisé l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en tant qu'établissement pharmaceutique.

L'apparition du virus A(H1N1) et le passage à une pandémie ont démultiplié les activités de l'agence que l'on peut classer en deux catégories.

La première englobe celles liées à l'exercice des missions propres de l'agence, débouchant sur des décisions prises par son directeur général au nom de l'État en vertu de la loi. Pour les vaccins, il s'est agi notamment des autorisations accordées durant l'été 2009 pour des essais cliniques ou des études de suivi concernant le virus A(H1N1), d'autorisations d'importations et de certificats de libération de lots, sachant que tout lot de vaccins doit faire l'objet avant sa mise sur le marché d'un certificat émanant d'un organisme public de contrôle habilité – en France, ce sont les laboratoires de l'agence qui libèrent environ 40 % des lots commercialisés en Europe et environ la moitié de ceux commercialisés en France. L'agence a par ailleurs évalué le vaccin non adjuvanté Panenza ainsi que l'oseltamivir PG, développé par la pharmacie centrale des armées sous forme de comprimés sécables et que nous avons autorisé dans le courant de l'automne. Elle s'est occupée également du suivi des effets de la vaccination mis en place pour la circonstance, combinant un dispositif renforcé de pharmacovigilance, ouvert pour la première fois à grande échelle à la déclaration par les patients eux-mêmes, et une série d'études de suivi centrées sur certaines populations comme les femmes enceintes ou certains risques comme le syndrome de Guillain-Barré. En dehors des vaccins, l'agence a également procédé à des évaluations d'antiviraux et de solutions hydro-alcooliques.

L'agence a également fourni au ministère de la santé des éléments d'expertise et des avis pour l'éclairer dans les décisions qui lui incombaient – je pourrai revenir plus en détail sur ce point si vous le souhaitez. Enfin, l'agence a participé à la production et à la diffusion d'informations concernant les produits de santé utilisés en période pandémique. Elle a ainsi ouvert une rubrique sur son site internet, organisé deux conférences de presse dans ses locaux et participé à de très nombreux points de presse organisés au ministère de la santé à partir du début de la campagne de vaccination.

Quelques mots maintenant de l'organisation des processus d'intervention de l'agence. La plupart d'entre eux sont assurés intégralement en régie, par des agents de l'agence, en particulier pour tout ce qui concerne le contrôle en laboratoire et l'inspection des sites.

Pour ce qui concerne la pharmacovigilance, le travail a reposé essentiellement sur la collaboration entre les équipes internes du service concerné de l'agence et le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance qui recevaient les signalements des professionnels de santé et des patients, avec le concours, comme c'est la règle, des services de pharmacovigilance des laboratoires, destinataires eux aussi de signalements.

La mise au point des études de suivi a donné lieu à des échanges entre les équipes de l'agence et certains centres académiques, notamment des services de neurologie pour assurer un suivi spécifique du syndrome de Guillain-Barré.

S'agissant de l'évaluation des vaccins, il faut distinguer, d'une part, la participation de l'agence aux processus d'évaluation par le Comité des spécialités pharmaceutiques à usage humain (CHMP, Committee for medicinal products for human use), comité scientifique européen où elle est représentée et, d'autre part, les travaux menés en dehors de ce cadre centralisé. L'agence a été amenée, la France étant le pays rapporteur, à évaluer le vaccin non adjuvanté Panenza avec les agences des quatre autres pays parties à la procédure de reconnaissance mutuelle qui a débouché sur une décision d'autorisation juridiquement nationale. Cela s'est fait essentiellement avec des évaluateurs internes, dont le travail a servi de base à une consultation du groupe de travail de la commission d'autorisation de mise sur le marché chargée des médicaments anti-infectieux, puis de la commission d'autorisation de mise sur le marché en formation plénière. Il en a été de même pour l'évaluation de l'oseltamivir PG, dont il fallait vérifier la bioéquivalence avant de pouvoir lui accorder une autorisation de mise sur le marché.

Les évaluations ont été conduites dans le respect des principes de collégialité et de pluridisciplinarité, auxquels j'attache personnellement la plus grande importance ; de déclaration des intérêts pris en compte pour écarter les experts se trouvant dans une situation de conflit d'intérêts avérée pour le produit concerné ; de transparence du processus, laquelle s'est traduite par la mise en ligne non seulement des documents de synthèse et des rapports publics d'évaluation mais aussi des comptes rendus des séances des commissions, depuis 2006 pour la commission nationale de pharmacovigilance et depuis 2007 pour la commission de contrôle de la publicité et la commission d'autorisation de mise sur le marché. La loi de 2007 a d'ailleurs rendu cela obligatoire pour toutes les commissions liées aux médicaments.

Je terminerai par les quelques brefs commentaires généraux que m'ont inspirés ma participation et celle des équipes de l'agence à ce vaste chantier de lutte contre la pandémie.

Premier constat : au bout du compte, le bilan humain en termes de souffrances et de décès a été beaucoup plus limité qu'on pouvait le redouter il y a un an à la même époque, et même encore à la fin de l'été ou au début de l'automne, dans un contexte d'incertitude majeure et persistante sur plusieurs paramètres essentiels de la pandémie. On ne peut que s'en réjouir, mais cela n'enlève rien à la nécessité de procéder à une évaluation approfondie de la gestion de la pandémie et de justifier les décisions prises. La sévérité moyenne, finalement très modérée de cette grippe, est évidemment le facteur explicatif essentiel, mais il n'est pas interdit de penser que l'action préventive et curative qui a été menée a pu contribuer de manière réelle et significative à cette issue positive. Je pense ainsi à la promotion des mesures barrières, à la vaccination des sujets à risque ou encore à la mobilisation des services d'urgence et de réanimation, dont les moyens avaient été renforcés pour accueillir les patients présentant des formes graves.

Le deuxième constat positif concerne la mobilisation très forte, tel est en tout cas mon sentiment, qui a eu lieu pour ce chantier de santé publique de grande ampleur, voire sans précédent. La réponse à la pandémie a fait appel à de nombreuses personnes qui, au sein des ministères et des agences, comme l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ou l'Institut de veille sanitaire, mais aussi parmi les experts, dans les établissements de santé, dans les centres de vaccination, dans les collectivités locales ou dans les industries de santé, ont su faire preuve de disponibilité et de réactivité autant que de compétence et n'ont mesuré ni leur temps ni leurs efforts. C'est un constat encourageant à prendre en compte dans l'évaluation globale.

Pour autant, et ce sera ma conclusion, certains aspects du bilan ne sont sans doute pas à la hauteur des efforts déployés et laissent un goût d'insatisfaction, en particulier quant à la proportion de personnes vaccinées, certes proche de celle constatée dans d'autres pays européens comparables, mais globalement modeste. Sans me livrer à une analyse exhaustive des causes de ce résultat mitigé, j'insisterai simplement sur deux points qui me sont apparus comme des difficultés sérieuses dans la gestion de la pandémie.

Le premier est le poids, beaucoup plus lourd que pour d'autres phénomènes épidémiques, notamment pour la grippe saisonnière, de l'incertitude sur la portée de la pandémie, qui a pesé très largement jusqu'à l'été. Moment de l'attaque par le virus, taux d'attaque, maintien ou non du même niveau de sévérité moyenne que dans l'hémisphère Sud, mutation rapide ou non du virus, coexistence ou non avec le virus de la grippe saisonnière, rendements de production vaccinale, calendrier des livraisons, date d'autorisation des vaccins : autant de paramètres encore très incertains au début de l'été 2009. Le champ de ces incertitudes s'est certes réduit au fil des mois, à mesure que la pandémie révélait sa nature réelle, mais nombre de celles-ci subsistaient encore fin novembre, alors que la campagne de vaccination était engagée et que l'on approchait du pic : rappelons-nous l'annonce le 20 novembre 2009 en Norvège d'une mutation du virus présentant des signes de résistance au traitement, les interrogations persistantes à l'époque sur la durée de la pandémie au-delà de l'hiver et la possibilité d'une nouvelle vague. Or, un message de santé publique est, toutes choses égales par ailleurs, plus difficile à formuler et à faire passer quand les contours précis de la menace ne sont pas identifiables d'emblée, les autorités sanitaires étant alors conduites à tenir un discours nuancé, faisant la part de ce qui demeure incertain et s'ajustant au fil des mois en fonction de l'évaluation des données disponibles. Cette évolution propre à une pandémie grippale complique l'équation globale de l'information qui est certainement à mes yeux l'un des points essentiels d'interrogation, avec le recul que nous avons maintenant. Les autorités sanitaires ont le devoir de délivrer à nos concitoyens l'information que ceux-ci sont en droit d'attendre afin d'être éclairés dans leur choix, en l'espèce de se faire vacciner ou non ou de faire vacciner ou non leur entourage. Cette information doit être aussi compréhensible que possible, sans être par trop simplificatrice au point de taire les zones d'incertitude ou de déformer la vérité scientifique. On peut souligner l'existence de formes graves touchant parfois des sujets sans antécédents médicaux sans pour autant prétendre en prévoir exactement la proportion ; on peut affirmer sa confiance, et nous l'avons fait, dans le profil général de sécurité des vaccins et défendre l'intérêt de santé publique de la vaccination sans pour autant prétendre, car ce serait affirmer une contre-vérité, que les vaccins ne provoqueront aucun effet indésirable grave et seraient donc totalement dénués de risque.

Dans une société démocratique où les formes et les canaux d'expression sur les enjeux de santé sont multiples, la parole des autorités sanitaires en croise beaucoup d'autres. Elle se télescope même parfois dans l'esprit de nos concitoyens avec des expressions contraires, parfois contradictoires, qui, notamment à la télévision ou sur internet, peuvent être beaucoup plus tranchées. Les autorités sanitaires ont une tout autre responsabilité que des individus, scientifiques ou non, qui expriment leur seule opinion sans contraintes. Si les Français ont pu être inquiets à certains moments, la majorité d'entre eux n'a pas dans l'ensemble perçu de menace grave, et la tonalité des conseils qu'ils recevaient durant l'automne 2009 de la part de leurs médecins n'était pas de nature à lever les appréhensions qu'ils pouvaient avoir face à des vaccins perçus comme nouveaux.

Comment mieux gérer l'information – et la contre-information – sur une menace évolutive, quand foisonnent les messages sur le sujet ? C'est là certainement un champ de réflexion important pour l'avenir.

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