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Intervention de Alain Meyère

Réunion du 17 janvier 2012 à 9h00
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Alain Meyère, directeur du département « Mobilité et Transport » de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France :

L'IAU occupe une place à part dans l'expertise relative aux transports en Île-de-France. Vous l'avez dit, monsieur le président, nous sommes une fondation. En outre, à la différence des autres agences d'urbanisme, rattachées à une commune ou à une intercommunalité, nous sommes placés auprès de la région, qui ne dispose pas des mêmes compétences et prérogatives en matière d'aménagement. L'institut emploie environ deux cents personnes ; le département « Mobilité et transports » en compte une quinzaine, dont trois seulement se consacrent aux transports publics puisque nous étudions également les déplacements à pied, en vélo et en voiture. Notre ambition n'est pas de concurrencer ceux qui ont plus de moyens, mais de réaliser quelques études sur la mobilité, notamment à partir de comparaisons internationales, afin de nourrir la réflexion des décideurs et de faire bénéficier ceux qui appliqueront leurs décisions de l'expérience et des bonnes pratiques que nous recueillons.

En principe, la régularité n'est pas notre premier objet d'étude. Toutefois, depuis quelques années, nous nous intéressons systématiquement, sur chacun des sujets qui nous occupent, à la situation des trois grandes métropoles européennes comparables à Paris : Londres, Berlin et Madrid. Nous l'avons fait à propos de la place des bus, ou encore de l'organisation des taxis au moment où le CESR d'Île-de-France a envisagé de confier celle-ci au STIF. À cette fin, nous nous sommes dotés de correspondants permanents sur place.

Si Londres se rapproche de Paris par la taille de l'agglomération, le grand Londres n'est pas comparable à l'Île-de-France. Dans les deux cas, l'agglomération compte 11 à 12 millions d'habitants. Mais alors que l'autorité organisatrice des transports franciliens gouverne le territoire de la région – soit douze mille kilomètres carrés –, donc la totalité de l'agglomération, son homologue londonienne, Transport for London, agence de la Greater London Authority, n'englobe que mille six cents kilomètres carrés et 7,5 à 8 millions d'habitants.

L'Île-de-France est dotée d'un coeur d'agglomération : Paris et ses 2 millions d'habitants, concentrés sur 100 kilomètres carrés seulement. Londres ne connaît pas cette distinction : les boroughs font partie de la ville, qu'ils soient centraux ou non, qu'ils soient situés dans Inner London ou dans Outer London. Ainsi la mairie de Londres avait-elle lancé il y a quelques années une campagne de communication sur le thème « We are Londoners » : « Nous sommes tous des Londoniens ».

À Berlin comme à Madrid, le ressort de l'autorité organisatrice représente environ 6 millions d'habitants. À Berlin, le territoire de l'autorité organisatrice s'étend sur trente mille kilomètres carrés, car il réunit deux Länder dont l'un enchâsse l'autre : le Land de Berlin – Berlin étant une ville-Land, un peu comme Paris qui est à la fois une commune et un département – et, tout autour, le Land de Brandebourg. Le seul Land de Berlin couvre neuf cents kilomètres carrés et réunit environ 3,5 millions d'habitants. Quant à la commune de Madrid, elle compte 3 millions d'habitants et s'étend sur six cents kilomètres carrés, mais le territoire de l'autorité organisatrice régionale couvre huit mille kilomètres carrés, pour 6 millions d'habitants.

Il faut avoir ces données à l'esprit lorsque l'on s'efforce de comparer la présence des transports publics et la mobilité dans ces différentes métropoles. Ainsi, il est difficile de comparer un territoire londonien totalement urbanisé et un territoire francilien qui ne l'est que partiellement.

La répartition des responsabilités en matière de transport constitue une autre différence. Jusqu'à une date récente, l'Île-de-France était la seule agglomération où tous les transports collectifs – métro, bus, RER et chemins de fer de banlieue – relevaient d'une autorité organisatrice unique. À Madrid comme à Londres, les chemins de fer de banlieue relèvent de l'État alors que les autres modes de transport collectif dépendent des pouvoirs locaux. En outre, Transport for London est responsable du péage urbain, ce qui ne pourrait être le cas du STIF.

Le réseau londonien est le plus ancien et le plus vétuste. À Berlin, du fait des reconstructions puis de la réunification, le réseau comporte des sections relativement récentes. Le S-Bahn, le « RER berlinois », a la particularité de circuler sur des voies entièrement dédiées, qu'il ne partage pas avec les trains régionaux en provenance du Brandebourg, par exemple. Cela pourrait laisser penser qu'il est moins irrégulier qu'à Londres où l'exploitation des voies est mixte, un peu comme en Île-de-France où des trains grandes lignes, des Transilien, voire des trains de fret se partagent les mêmes voies. Mais nous y reviendrons.

Si l'on met à part les dépenses d'exploitation, les dépenses de maintenance et de remise à niveau consenties par les autorités organisatrices de transport sont d'autant plus élevées que le réseau est ancien. Ainsi, Madrid a beaucoup étendu son réseau, faisant construire plusieurs dizaines de kilomètres à chaque plan quadriennal, mais consacre bien moins d'argent à la maintenance et à la remise à niveau que l'Île-de-France ou Londres n'ont prévu de le faire. La vétusté des infrastructures, qui datent de plus d'un siècle, est un problème que l'Île-de-France partage avec de nombreuses métropoles anciennes. En outre, les sociétés de la vieille Europe et d'Amérique du Nord considèrent désormais que l'on ne peut plus faire abstraction des déplacements des personnes à mobilité réduite et cette nouvelle représentation collective s'est traduite dans la loi, ce qui implique de nouvelles dépenses. En effet, le réseau ancien est peu accessible aux personnes en fauteuil roulant et difficile à aménager à leur intention.

Je l'ai dit, la régularité n'est pas notre principal objet d'étude. Nous travaillons sur Londres depuis longtemps : notre première étude comparative, réalisée par Danièle Navarre il y a une dizaine d'années, portait sur Londres, Paris, New York et Tokyo. Par la suite, nous avons systématisé l'approche comparative. Nous avons ensuite rédigé un rapport intitulé « Les performances des transports en commun à Londres et à Paris », à la demande du président du Conseil régional, qui souhaitait savoir si l'infériorité de notre réseau de transports était responsable de l'échec de la candidature parisienne à l'organisation des jeux Olympiques. Nous y étudions l'importance respective des transports collectifs dans les différentes zones de l'Île-de-France et de l'agglomération londonienne, en ne comparant à celle-ci que la partie de l'Île-de-France qui est comparable à ses mille six cents kilomètres carrés. Nous avons également publié, à la fin de l'année 2011, trois notes de veille sur Londres, Berlin et Madrid qui résument les événements importants survenus au cours de l'année.

J'ai rappelé la vétusté du réseau londonien et tous ont en mémoire les accidents qui ont fait la « une » des journaux. L'un d'entre eux, survenu en octobre 2001 en raison de fissures dans les rails, a conduit à limiter la vitesse des trains, à vérifier tous les rails des voies arrivant à Londres, et a décidé le ministère britannique des transports à lancer un programme de rénovation des infrastructures ferroviaires à Londres et dans sa région.

La comparaison entre indicateurs de régularité – nombre de trains en retard, durée des retards – donne l'avantage à l'Île-de-France, où plus de 90 % des trains subissent un retard de moins de cinq minutes ou arrivent à l'heure. À Londres, la proportion est inférieure et a chuté à moins de 77 % vers 2001, avant le programme de rénovation. Cela étant, les données sur lesquelles se fonde notre rapport, publié en avril 2009, ne vont pas au-delà de 2008. Or, dès cette époque, la comparaison avait tendance à s'inverser : le chiffre était stable voire en légère baisse en Île-de-France, sans doute en raison de la hausse de fréquentation, mais en augmentation à Londres. Il faudrait actualiser nos données pour confirmer cette tendance.

En Île-de-France, selon la SNCF, les causes des dysfonctionnements sont à 40 ou 50 % externes – intempéries, comportement des voyageurs, obstacles, etc. –, contre 30 % à Londres. En revanche, au moment où nous avons recueilli les données, les défaillances du matériel roulant étaient beaucoup plus déterminantes à Londres qu'ici.

À Londres, je l'ai dit, le chemin de fer de banlieue relève de l'État, qui attribue à des entreprises privées, après mise en concurrence, des licences d'exploitation valables sept à huit ans. Le gestionnaire d'infrastructures est aujourd'hui Network Rail, qui a succédé à Railtrack, dissous à la suite de ses déboires financiers. En ce qui concerne le métro, Transport for London est à la fois l'autorité organisatrice, qui attribue à ce titre l'exploitation des bus à des compagnies privées, et l'exploitant du métro – un peu comme si le STIF incluait le département métro de la RATP.

Pour remettre à niveau le réseau du métro, lui aussi vétuste, Londres a choisi de faire appel à des partenariats public privé (ppp) En la matière, deux types de contrats sont possibles. Le premier, que nous connaissons bien puisque c'est en France qu'il a été inventé, est le contrat de concession. Un concessionnaire privé – un consortium réunissant des entités issues du monde financier, du monde industriel, des constructeurs, etc. – se charge de réunir les fonds qui permettront de construire une nouvelle infrastructure de transport. En contrepartie, il pourra l'exploiter et, grâce aux recettes d'exploitation, payer les frais de fonctionnement, rembourser ses emprunts et rémunérer ses actionnaires. On lui transfère ainsi le risque « trafic », qui rejaillit directement sur les recettes tarifaires. La seconde forme de partenariat, choisie par Londres, a consisté à confier pour trente ans à un partenaire privé une mission de maintenance d'une partie du réseau – trois partenariats ayant été conclus au total – et de remise à niveau de l'infrastructure. La rémunération perçue en contrepartie résulte non des recettes de trafic, mais d'une sorte de loyer, auquel s'ajoute une rémunération qui varie en fonction d'indicateurs de régularité.

Finalement, les trois partenariats londoniens ont fait faillite. L'activité a été reprise par Transport for London. L'un de ces partenariats, avec Metronet Rail, était le plus important partenariat public privé au monde en matière de transports : il représentait 17 milliards de livres sur trente ans. Cet échec montre combien il est difficile d'estimer le coût des travaux dont étaient chargés les partenaires, par opposition aux coûts d'exploitation du réseau ou de construction d'une nouvelle ligne de tramway, par exemple. Les partenaires ont sous-estimé ce coût dans la perspective de la clause de revoyure incluse dans le contrat et ils ont demandé beaucoup plus au moment où celle-ci a été appliquée. C'est alors que Transport for London a mis fin aux contrats. Du point de vue méthodologique, l'exemple est éclairant.

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, Berlin a lui aussi été confronté à des problèmes, qui touchaient non l'infrastructure mais le matériel roulant. Le dysfonctionnement du réseau S-Bahn a été si grave que, courant 2009, les deux tiers du parc de matériel roulant ont dû être retirés du service, des pannes à répétition ayant conduit l'autorité ferroviaire fédérale à ordonner la révision du matériel. Selon le VBB (Verkehrsverbund Berlin Brandenburg), l'autorité organisatrice, cette catastrophe résulte de la manière dont la Deutsche Bahn, désireuse de présenter un bilan comptable des plus avantageux à l'approche de son entrée en Bourse, a fait pression sur sa filiale S-Bahn Berlin, chargée de l'exploitation du S-Bahn berlinois, pour que celle-ci accroisse ses profits. De fait, ces derniers ont été multipliés par six entre 2004 et 2008, et l'analyse des déboires du RER berlinois confirme que les économies ont été réalisées sur les dépenses de maintenance et d'entretien : des ateliers ont été fermés, les visites espacées, les préconisations du constructeur concernant le renouvellement des pièces n'ont pas été respectées. En conséquence, par un avenant au contrat qui le lie à S-Bahn Berlin jusqu'en 2017, le VBB a alourdi les pénalités encourues en cas de manquement à la qualité de service, et il prépare un appel d'offres afin de confier par la suite une partie du réseau à un autre exploitant.

On voit que les irrégularités existent aussi à l'étranger et s'expliquent soit par le grand âge des infrastructures, soit, comme ici, par la recherche inconsidérée d'économies par l'exploitant.

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