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Intervention de François Pillet

Réunion du 23 mars 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

François Pillet, coprésident pour le Sénat :

- Monsieur le Professeur, nous attendons que vous nous livriez votre point de vue sur les addictions à partir de votre vision clinique.

Professeur Daniel Bailly - Beaucoup de malentendus, lorsqu'on parle d'alcool et de drogues, proviennent du fait que l'on confond les modes de consommation. Tant qu'on n'aura pas saisi qu'il existe une différence fondamentale entre la consommation occasionnelle et l'abus et la dépendance, on ne pourra pas mettre en place de politique cohérente de prévention et de soins en matière de toxicomanie.

Il est par ailleurs aberrant de continuer à séparer l'alcool et les drogues. Ce n'est pas le cannabis qui est la porte d'entrée dans la toxicomanie, mais l'alcool chez les garçons, l'alcool et le tabac chez les filles. Plus la consommation est précoce, plus le risque de voir un abus ou une dépendance à la fin de l'adolescence est important.

L'abus et la dépendance ne surviennent pas par hasard. Ce n'est pas l'alcool qui fait l'alcoolique, ni la drogue qui fait le toxicomane. C'est parce que, à un moment donné, un individu rencontre ces produits et que ceux-ci lui apportent un gain, qu'il continue à rechercher cet état.

On connaît beaucoup de facteurs de risque en matière d'abus et de dépendance. On sait que la consommation précoce est le facteur le plus prédictif de la survenue d'une dépendance à la fin de l'adolescence. 75 % des adolescents consommateurs abusifs ou dépendants ont au moins un trouble mental associé ; dans les deux-tiers des cas, ce trouble a débuté avant l'abus ou la dépendance, qui apparaissent donc comme les complications d'un trouble ayant existé bien avant et évoluant depuis l'enfance.

Le cas le plus fréquent est le trouble des conduites. On a pu estimer qu'il convenait de supprimer la drogue pour réduire la violence à l'école ; c'est faux ! Toutes les études montrent que les conduites antisociales précèdent ou accompagnent le début de l'abus et de la dépendance. Prévenons au contraire la violence et les conduites agressives à l'école pour prévenir l'abus et la dépendance !

Il existe d'autres troubles -troubles anxieux, hyperactivité- facteurs de risque. Des facteurs génétiques interviennent également pour 30 à 60 % dans le déterminisme de la dépendance, vraisemblablement suivant des voies différentes. Certains facteurs génétiques interviennent dans le métabolisme dès la première prise. Nous ne sommes pas tous égaux devant les produits.

D'autres facteurs génétiques agissent sur notre vulnérabilité à développer une dépendance ou favorisent la survenue de troubles mentaux ou de facteurs de tempérament qui, secondairement, vont entraîner un abus ou une dépendance.

On sait que le climat affectif parental joue, tout comme la qualité des interactions entre parents et enfants. La position des parents vis-à-vis des produits et, chez l'enfant, des facteurs de tempérament interviennent aussi.

Il n'y a donc pas qu'un seul facteur à l'origine de la dépendance mais une rencontre entre de multiples facteurs. On sait que cela se détermine très précocement. Faire de la prévention à l'adolescence n'a aucun sens : c'est trop tard ! Le déterminisme de la vulnérabilité à l'abus et à la dépendance démarre dès l'enfance et les programmes de prévention qui se sont avérés efficaces en ce domaine démarrent au plus tard à l'école primaire.

Contrairement à ce qu'on a pu dire, les comportements d'abus et de dépendance ne sont pas des conduites suicidaires mais des conduites d'adaptation utilisées par un individu à un moment donné, après qu'il ait rencontré un produit qui lui a apporté un gain. Si on veut être efficace en matière de prévention, il faut aider les enfants à faire face aux difficultés qu'ils éprouvent.

Il convient de distinguer deux domaines de prévention : diminuer la consommation de produits chez les adolescents, ou prévenir l'abus et la dépendance sont deux choses totalement différentes. Ce n'est pas parce que l'on diminue la consommation moyenne de la population adolescente que l'on va réduire l'incidence de l'abus et de la dépendance. Autant les programmes de prévention généralisée centrés sur l'amélioration des compétences psychosociales et de l'estime de soi sont efficaces en termes de consommation, autant agir sur l'abus et la dépendance nécessite de repérer très tôt les enfants à risque pour les aider à faire face à ce risque.

Les deux types de prévention peuvent fort bien être mis en place en milieu scolaire mais ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs, ne recourent pas aux mêmes méthodes de travail et ne concernent pas les mêmes populations.

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