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Intervention de Martine Lacoste

Réunion du 16 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Martine Lacoste, secrétaire générale du Centre d'information régional sur les drogues et les dépendances de Midi-Pyrénées :

Je représente l'association Graphiti, fondée à Toulouse, avec un hôpital, en 1989 – soit à l'époque où le SIDA sévissait. Elle gère un centre d'information régional sur les drogues et les dépendances et une cellule d'appui. Je dirige par ailleurs depuis vingt-trois ans une association, après avoir travaillé sept ans auprès du professeur Claude Olivenstein à l'hôpital de Marmottan.

Nous nous occupons de personnes en situation d'usage ou d'usage nocif de produits psychoactifs, ou de grands dépendants. Pour développer la formule du professeur Claude Olivenstein, on pourrait définir la toxicomanie comme la rencontre entre un produit, ou des produits, et une personnalité, ou des personnalités, à un moment social et culturel donné – ou, mieux, au cours d'une évolution sociale et culturelle. Or, pour les jeunes en situation d'usage nocif et de dépendance que nous rencontrons, l'usage de drogues, avant d'être un problème, est une solution : c'est le fait de leur demander d'arrêter qui devient un problème.

Le tissu d'offre de soins mis en place en France a permis de construire des réponses graduées et diversifiées qui vont de la prévention aux soins et à la réinsertion sociale, en passant par l'accompagnement dans des groupes d'autosupport et la réduction des risques. Il nous faut maintenant consolider ce tissu.

En matière de prévention, il nous faudrait comprendre comment les personnes dont nous nous occupons en sont arrivées là et ce qui, dans la prévention, a échoué. Peut-être nous apercevrions-nous que notre prévention ne s'adresse pas forcément à ceux qui sont les plus concernés, comme les jeunes déscolarisés ou très marginalisés qui n'ont plus de points de repère. La prévention à destination du grand public est certainement une bonne chose, mais la prévention ciblée est quasiment inexistante.

Par ailleurs, la prévention est aujourd'hui organisée par produit, ce qui la rend inadaptée, car les jeunes peuvent précisément changer de produits au gré de nos campagnes de prévention. Il conviendrait donc plutôt de s'intéresser aux comportements, notamment à risque. On voit en effet l'usage dangereux que font aujourd'hui les jeunes de l'alcool, modifiant pratiquement la place de celui-ci en France.

Manquent également un repérage précoce des signaux d'alerte émis par de nombreux jeunes en situation difficile et les moyens nécessaires à ce repérage. S'il existe bien des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie, la prévention qui en relève n'est pas financée.

Enfin, trente années de travail sur ce sujet m'invitent à plaider pour un repérage précoce des enfants et des adolescents en situation de maltraitance. En effet, 90 % à 95 % des jeunes femmes reçues dans le centre que je dirige ont vécu des situations « incestuelles » ou incestueuses – et ce cas n'est pas rare non plus pour les jeunes gens.

En matière de soins, il faut déplorer le manque cruel de services consacrés aux jeunes mineurs en situation d'addiction – on n'en compte que deux en France.

J'en viens aux stratégies de réduction des risques que j'ai soutenues car, dans les années 1990, nous laissions dans la plus grande solitude un grand nombre de personnes que nous recevions et qui ne voulaient ou ne pouvaient pas arrêter la drogue. La réduction des risques, c'est le pari d'aller vers ces personnes en leur proposant le plus tôt possible un contact, un lien ou un accompagnement – c'est-à-dire un respect et une dignité retrouvés, l'envie de s'occuper d'eux et de sortir de la dépression qui les enfonce dans la rue, dans la marginalité et dans la dépendance. Aujourd'hui, cette politique magnifique piétine par manque d'équipes mobiles capables d'aller trouver ces gens là où ils sont. Nous manquons aussi d'hébergements pour les personnes en situation de grande dépendance qui souffrent aussi d'une comorbidité psychiatrique. Nous manquons également de points d'échange de seringues en prison, malgré les évaluations internationales qui en prouvent l'intérêt. Nous nous trouvons donc en quelque sorte hors la loi face à l'exigence d'égalité de prévention et de soins. Nous manquons de programmes d'administration de méthadone à seuil bas d'exigence pour les plus exclus, et de prescription d'héroïne, qui ont fait leurs preuves dans bon nombre de pays, comme le montrent notamment les évaluations suisses.

Plus tôt nous allons vers les personnes dépendantes, plus précoce est leur demande de soins. Dans une politique du « step by step », il nous manque l'étape qui consiste à expérimenter des salles de consommation. Le premier dispositif de soins que j'ai ouvert était un réseau de familles d'accueil – des gens comme vous, accueillant des personnes qui ont envie d'arrêter la drogue. Ces familles nous invitaient à intervenir le plus tôt possible.

Notre politique repose déjà sur un socle très pertinent et nous devons la consolider dans le sens d'une adaptation. Je reprends à mon compte l'idée, déjà exposée à plusieurs reprises, qu'il n'y a pas « un » toxicomane, au singulier, mais des publics divers et que nos réponses doivent être de la haute couture et non pas du prêt-à-porter.

« Jean », président de Narcotiques anonymes de France. Je préside l'association Narcotiques anonymes de France. Nous n'avançons pas masqués et n'avons pas honte de notre parcours, mais nous tenons à conserver notre anonymat devant les médias. Cette règle est par ailleurs garante de l'unité de notre mouvement.

Narcotiques anonymes est régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Elle s'inspire très fortement d'Alcooliques anonymes, mieux connue. Elle réunit des dépendants qui s'entraident : c'est un groupe d'autosupport fondé sur l'échange entre pairs. Nous sommes bénévoles et avons été confrontés à la dépendance et au rétablissement. Ainsi, en vous parlant aujourd'hui, je travaille à mon propre rétablissement.

Narcotiques anonymes est née en 1953 aux États-Unis. À la différence d'Alcooliques anonymes, elle se concentre sur la dépendance au sens large. Nous ne nous intéressons pas à la distinction entre les produits licites et illicites, mais intervenons dès lors qu'une personne est engagée dans une relation de dépendance à un produit, quel qu'il soit, qui modifie le comportement. À cet égard, nous rejoignons les conclusions actuelles de l'addictologie qui constate que le coeur du problème est moins le produit que la relation de dépendance et les comportements obsessionnels ou compulsifs qu'elle entraîne.

Notre association existe en France depuis 1984, et on compte aujourd'hui dans notre pays une centaine de « réunions » hebdomadaires qui réunissent pendant une ou deux heures un groupe de dix à cinquante personnes, toutes dépendantes, qui accueillent les nouveaux venus et échangent dans un dispositif bien organisé, parlant d'elles-mêmes, de leur dépendance et de leur vécu. Il existe à Paris une cinquantaine de tels groupes et les élus parisiens savent que nous utilisons beaucoup les maisons des associations pour nous réunir. Il en existe également dans de grandes villes de province et nous entendons nous développer davantage partout en France. Un millier de personnes profitent des bénéfices de ce programme. Certaines comptent vingt-quatre heures d'abstinence, d'autres dix ou quinze ans.

Nous nous adressons d'abord aux personnes qui veulent arrêter de consommer – des gens qui sont dans la souffrance, qui ont « touché le fond » et sont arrivés au point où ils demandent de l'aide pour changer leur comportement. Il ne s'agit pas d'être sobre ou abstinent, mais d'en avoir le désir. Ces personnes sont accueillies dans nos groupes sans acquitter de droits d'inscription et dans le plus strict anonymat.

La méthode utilisée repose essentiellement sur des groupes de parole. Il ne s'agit donc pas d'une relation thérapeutique dans laquelle des professionnels soigneraient d'autres personnes, mais de groupes d'entraide et de relation entre pairs. Le coeur de notre modèle est l'identification : le fait, pour la personne qui arrive dans une réunion, de rencontrer des gens qui ont la même expérience qu'elle a un effet déclencheur très fort. Il repose également sur l'appartenance à un groupe – non pas sur le plan matériel, car nous n'en avons pas les moyens et il existe pour cela d'autres associations, mais sur un plan psychologique et humain.

Sans être scientifiques ou médecins, nous désignons la dépendance comme une maladie et nous insistons sur l'abstinence. Celle-ci n'est pas un objectif en soi – nous ne sommes pas une ligue de vertu –, mais un moyen que nous engageons ceux qui viennent à nos réunions à pratiquer dès que possible, en relation avec leur médecin traitant s'ils en ont un. L'alcool a sa place parmi les produits concernés et nous sommes bien conscients des phénomènes de substitution – pour nous, changer de produit revient à changer de place sur le Titanic. La vraie question est celle de la propension à la dépendance, dont nous ignorons l'origine, mais à laquelle nous nous efforçons d'apporter une solution, qui passe par le lien aux autres et par un lien renouvelé à soi-même. L'aide qu'un dépendant peut apporter à un autre a une très grande valeur thérapeutique – et le fait même d'aider d'autres gens à se rétablir fait partie du rétablissement.

À la différence des centres de soins qui peuvent utiliser, par exemple dans le cadre du modèle Minnesota, certains des concepts que nous utilisons nous-mêmes, comme l'abstinence ou les douze étapes, nous ne sommes pas des professionnels. Nous sommes en revanche les seuls à proposer une offre accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cette aide s'inscrit en outre dans la durée, car c'est là aussi une caractéristique de la dépendance. Le sevrage n'est que le point de départ et la rechute peut intervenir des semaines ou des mois plus tard, quand la personne pense pourtant avoir retrouvé la maîtrise de sa vie.

Concernant la réduction des risques, la prise en charge sociale des usagers, le rôle de la substitution ou les salles de consommation, nous n'avons pas d'avis et ne souhaitons pas être partie prenante à ce débat. Notre propos est simplement d'apporter une solution aux personnes qui veulent sortir de la dépendance. Cette solution est efficace pour nous et pour beaucoup d'autres dans le monde entier – on compte dans le monde environ 50 000 réunions hebdomadaires de Narcotiques anonymes. En relation avec les médecins, les associations et tous ceux qui sont en contact avec les toxicomanes, nous voulons donner toute sa place à cette solution dans le système de soins afin qu'elle puisse jouer un rôle plus important. Nous invitons les élus à prendre un jour le temps d'assister à l'une de nos réunions afin de se rendre compte de la manière dont cette méthode fonctionne.

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