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Intervention de Anne Guichard

Réunion du 16 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Anne Guichard, chargée de mission au département « évaluation et expérimentation » de la direction des affaires scientifiques de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la sant :

L'institut a choisi depuis peu de s'intéresser à l'entrée dans l'injection, une étape particulière de la trajectoire des usagers de drogues par voie intraveineuse.

Il nous a semblé urgent de développer de nouvelles approches compte tenu de la prévalence très élevée de l'hépatite C parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse – 60 % d'entre eux sont contaminés – et du constat que les outils de réduction des risques, efficaces contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), ne permettent pas de lutter contre celui de l'hépatite C (VHC) qui est beaucoup plus contagieux et implique d'autres temps de la préparation du produit injecté.

Les données de la littérature épidémiologique indiquent que les contaminations surviennent tôt dans les trajectoires des usagers de drogues par voie intraveineuse, probablement dès les premières injections. De nombreuses études attestent de taux de séroconversion VIH et VHC plus élevés parmi les jeunes et les nouveaux consommateurs que parmi les usagers de drogues anciens et expérimentés. L'enquête Coquelicot, menée par l'Institut de veille sanitaire, confirme cette tendance en montrant que 30 % des usagers de moins de trente ans sont infectés.

Pourquoi, en termes d'âge, cette période est-elle qualifiée de période à haut risque ? La première injection est souvent un acte non programmé, opportuniste, avec le prêt par un tiers, potentiellement contaminé, de son matériel d'injection. L'initié n'est alors pas conscient des risques : il vit une « lune de miel » avec le produit, qui n'apporte à ses yeux que des bénéfices ; âgé en moyenne de dix-sept ans, il éprouve un sentiment d'invulnérabilité. Les jeunes consommateurs constituent un public difficile à atteindre, dans la mesure où ils ne se trouvent pas encore en contact avec les structures existantes et que les stratégies de prévention et de réduction des risques n'en ont pas toujours fait une priorité.

Les données relatives à l'évolution des pratiques de consommation semblent indiquer un renouvellement de la problématique de l'injection. Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l'âge moyen lors de la première injection tourne autour de dix-sept à dix-huit ans. Le recours à l'injection de psychostimulants, comme la cocaïne et les amphétamines, est en augmentation. Par ailleurs, un nouveau profil d'usagers injecteurs d'héroïne apparaît : il s'agit de jeunes, bien intégrés, qui consomment dans un cadre festif. D'un point de vue épidémiologique, ces injections occasionnelles sont tout aussi catastrophiques que les autres, mais il nous est difficile de cerner ces usagers, noyés dans la masse de la population.

Dans ce contexte et en raison de notre mission de prévention, la stratégie d'action visant à réduire la fréquence d'injection et à prévenir ou à différer son initiation nous est vite apparue comme un levier d'action important pour tenter d'infléchir l'épidémie d'hépatite C.

Impliqués dans l'expertise collective menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), nous avons conduit une revue de la littérature sur les facteurs de risque de passage à l'injection et les interventions permettant de prévenir efficacement l'entrée dans ce mode d'administration.

Ce travail nous a permis de repérer un programme britannique prometteur pour prévenir l'initiation à l'injection : Break the cycle (« Rompre le cycle »), initié au Royaume-Uni, a été adapté en tout ou partie au Canada, en Australie, en Europe de l'Est et en Asie centrale. Il s'adresse aux usagers potentiellement initiateurs pour les encourager à dissuader les non-injecteurs de franchir le pas.

Les évaluations conduites sur trois mois montrent que ce type de programme permet de réduire le nombre d'initiations, de réduire la fréquence d'injection et de diminuer les pratiques à risque, notamment liées à la préparation du matériel.

L'intérêt de ce programme est aujourd'hui largement établi parmi le milieu associatif, les intervenants en toxicomanie et la communauté scientifique. Nous débutons une étude de faisabilité qui s'appuiera sur des expériences internationales et sur l'expérience des acteurs français pour mieux définir le contexte et les conditions de la mise en place d'un tel type de programme en France.

De façon plus générale, il nous faut développer une stratégie de prévention de l'injection. En l'absence de données sur le sujet en France, l'institut a mis en place une première enquête nationale sur les contextes et les conditions de la première injection de drogues : Priminject. Il s'agit d'une enquête innovante, conduite sur internet – même si la promotion de l'enquête est essentiellement relayée par les réseaux spécialisés –, qui devrait nous permettre de mieux appréhender les différents modes d'entrée dans l'injection, notamment chez des publics méconnus. Le recrutement s'achève et les premiers résultats seront disponibles cet été.

Notre approche est complémentaire d'autres approches de promotion des pratiques d'injection à risque réduit telles que les salles d'injection supervisées ou les programmes de type ERLI (éducation aux risques liés à l'injection) développés par le milieu associatif.

Plutôt que de considérer séparément consommateurs et non-consommateurs, nous concevons nos interventions comme un continuum : prévention de la consommation auprès des non-usagers, prévention du passage à des produits ou à des voies d'administration plus risqués auprès des usagers et réduction des risques auprès des usagers pratiquant un mode de consommation à risque.

L'articulation de ces différents niveaux d'intervention a fait l'objet en mars dernier d'un séminaire, rassemblant associations, intervenants et chercheurs en addictions.

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