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Intervention de Edmond Kassapian

Réunion du 30 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Edmond Kassapian, président-directeur général de Geneviève Lethu :

J'ai la chance de représenter Geneviève Lethu, une petite et moyenne entreprise créée en 1972 à La Rochelle et dont le concept de départ était simple : il s'agissait de vendre dans un même magasin l'ensemble des articles concernant l'art de la table ainsi que des produits à l'unité, pour la première fois dans ce secteur. L'entreprise s'est développée avec un marché de moyenne et haute gamme, notamment à travers ses franchisés – là encore, Geneviève Lethu a eu un rôle de précurseur – tant en France qu'à l'étranger puisque, avec 110 magasins, nous sommes présents dans une trentaine de pays.

Nous exerçons essentiellement trois métiers : la création de collections et l'anticipation des modes de vie ; l'administration d'un réseau à l'échelle mondiale, bien que nous soyons une petite et moyenne entreprise d'une centaine de personnes ; enfin, la maîtrise des flux physiques se rapportant à l'ensemble des échanges.

En 2003, nous avons commencé à relocaliser notre production en France pour trois raisons principales : le non-respect des normes d'alimentarité et, donc, de qualité – notamment par les fabricants chinois ; l'augmentation de la contrefaçon, des coûts en Chine, du prix du pétrole et des importations ; la nécessité, pour développer notre concept d'art de vivre à la française qui plaît tant à l'étranger, de produire en France. Voilà pourquoi nous avons, en 2003-2004, recherché des industries nationales susceptibles de fabriquer nos produits.

Au cours de cette démarche de relocalisation, nous avons identifié trois problèmes.

Le premier porte sur les fonds propres des petites et moyennes entreprises. La relocalisation nous a conduits à collaborer avec des producteurs, qui ne peuvent être compétitifs que s'ils ont la capacité d'investir dans un outil de production. Or, les petites et moyennes entreprises rencontrent de réelles difficultés car le secteur bancaire traditionnel se montre rétif à leur égard et qu'elles n'intéressent pas, en général, les investisseurs en capital risque, qui réclament des rendements élevés. Celles qui le peuvent choisissent plutôt de s'endetter au lieu d'ouvrir leur capital par peur de l'inconnu. Cependant, si la relocalisation n'implique donc pas forcément des créations d'emplois, elle préserve de manière importante le savoir-faire français.

Le deuxième problème concerne la formation des chefs d'entreprises ainsi que l'incitation au groupement et à la fusion des petites et moyennes entreprises. Sur ce point précis, une barrière culturelle subsiste, pouvant d'ailleurs entraîner, à terme, une perte des savoir-faire car si nous faisons aujourd'hui fabriquer notre linge dans les Vosges et nos couteaux à Thiers, le jour où cette production cessera, nous serons contraints de nous fournir en Chine. Le niveau de connaissance économique global des patrons de petites et moyennes entreprises gagnerait quant à lui à être amélioré tant il est parfois difficile de faire comprendre à ces derniers ce que nous voulons en tant que marque mondiale et ce que cela implique en termes d'investissements pour eux. Il est donc dommage que les petits patrons ne puissent pas accéder à la formation – en l'occurrence, dans les domaines du management, du marketing et des finances – avec autant de facilité que les salariés.

Le troisième problème, enfin, a trait au travail et à son organisation. Nous devons faire preuve de créativité et d'adaptabilité dans un contexte socialement insécurisé. Chez Geneviève Lethu, les personnes qui s'en sortent, que ce soit dans les magasins que nous possédons en propre ou ceux qui sont franchisés, sont celles qui travaillent le plus – entre 50 et 70 heures par semaine. Tout développement, s'il n'en va pas ainsi, semble exclu. À cela s'ajoute la complexité du code du travail, laquelle effraie les entrepreneurs car mal rédiger une clause de non concurrence, par exemple, comporte le risque de poursuites judiciaires. Cette complexité est d'ailleurs accrue par une jurisprudence et des décisions prud'homales absolument illisibles : si, par malheur, l'une de nos employées emprunte, par inadvertance, de l'argent dans la caisse du magasin, c'est moi qui serai condamné faute d'avoir installé un système de sécurité assez fiable ! J'ajoute, et c'est une preuve supplémentaire de la nécessité de simplifier les procédures, que la rupture conventionnelle des contrats est plébiscitée autant par les patrons que par les salariés.

Je m'étonne, également, que de nombreux pays comme la Turquie, la Corée, l'Australie ou les États-Unis, érigent des barrières douanières et complexifient notre tâche lorsque nous voulons exporter chez eux. En Algérie, nos produits doivent passer des tests supplémentaires, alors que nos magasins respectent les normes européennes et américaines. Vendre des couteaux dans nos trois magasins marocains implique de s'acquitter d'une taxe douanière de 30 % en raison de l'existence d'une industrie coutelière dans ce pays. À l'inverse, n'importe qui peut vendre en France des produits fabriqués en Chine et qui ne sont pas aux normes, sans rencontrer de difficultés particulières. S'il convient de baisser le coût de la production dans notre pays, grâce, par exemple, à l'instauration d'une taxe à la valeur ajoutée (TVA) sociale, nous gagnerions aussi à taxer en douane des produits qui ne sont pas forcément de très bonne qualité, comme le font par exemple les États-Unis sans que personne n'y trouve à redire.

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