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Intervention de Jean-Pierre Couteron

Réunion du 2 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Jean-Pierre Couteron, président de Fédération addiction :

Psychologue clinicien et président de Fédération addiction, qui rassemble depuis peu une association consacrée à l'alcool et une autre consacrée à la toxicomanie, je consulte depuis vingt-cinq ans dans le quartier du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. J'y recevais ce matin encore de jeunes consommateurs de cannabis – j'ai d'ailleurs été parmi les premiers à en recevoir en 1999, alors qu'ils ne relevaient pas encore des missions des centres de consultation.

Le risque psychiatrique n'est que l'un des enjeux liés à la consommation de cannabis. Les risques de cette consommation sont réels sur la route ; mais on constate que les benzodiazépines sont de plus en plus souvent en cause dans les accidents. Alors qu'en 1999, les problèmes que l'on me soumettait durant les repas de famille concernaient essentiellement l'usage de cannabis, il y est aujourd'hui beaucoup plus souvent question de poker – qui mobilise des sommes considérables. Il est regrettable que nous ne puissions aujourd'hui que survoler les problèmes et j'espère que vous donnerez un jour les moyens d'une expertise plus apaisée et plus construite.

L'association que je représente regroupe cinq cents structures réparties sur l'ensemble du territoire national. Il importe de ne pas appréhender de manière uniforme des questions qui se révèlent très différentes selon les personnes et les situations. Les usagers que je reçois à Saint-Germain n'ont pas la même vie que ceux que je reçois dans le quartier du Val-Fourré et ne doivent donc pas être pris en charge de la même façon, même si c'est là une chose terrible à dire pour un républicain. Ainsi, la plupart des usagers que je rencontre à Mantes-la-Jolie n'ayant ni permis de conduire, ni assurance – et n'en ayant souvent que faire –, certaines des sanctions proposées semblent d'une naïveté déconcertante. Il nous faut déployer des réponses diverses, selon un axe transversal répondant à la diversité des publics et un axe temporel répondant à leurs évolutions.

Le « standard unique », fondé sur le sevrage et l'abstinence, a eu des effets négatifs car il ne tenait pas compte de ces évolutions, mais il n'est pas question d'y renoncer pour autant : on peut fort bien continuer à recourir au sevrage et à l'abstinence tout en proposant aussi une politique de réduction des risques. Je vous engage à consulter à ce propos les travaux de MM. Sobell et Klingemann sur la sortie des addictions en population générale et ceux de MM. Prochaska et De Leon, fondateurs de communautés thérapeutiques, sur l'importance de la motivation.

L'association que je représente développe des programmes d'éducation préventive, car il n'y a aucune honte pour des parents à souhaiter que leurs enfants ne deviennent pas usagers. Il n'en est pas moins indispensable d'intervenir en milieu festif, sous peine de ne plus jamais avoir accès aux enfants qui fréquentent ce milieu. Sans la réduction des risques, la jeune fille de quinze ans que je recevais ce matin, qui a fréquenté des rave parties et a connu des moments difficiles, n'aurait pu arriver jusqu'à mon bureau et travailler sur l'abstinence comme elle le fait aujourd'hui.

Notre association a bataillé avec M. Xavier Bertrand, dans ses précédentes fonctions de ministre chargé de la santé, pour imposer les communautés thérapeutiques qui se voyaient alors reprocher d'être trop coûteuses, de venir de l'étranger et de n'être pas scientifiquement validées.

Les salles de consommation à moindres risques ne sont pas pour nous l'outil essentiel mais nous en avons besoin pour un public particulier dans des endroits précis. Nous recevons aussi des personnes ayant fait l'objet d'une injonction thérapeutique – de fait, quand on conduit sous l'emprise de substances, il est normal d'être sanctionné. Il convient, je le répète, de mettre en oeuvre l'ensemble des réponses nécessaires.

Enfin, l'un des savoir-faire des professionnels consiste à proposer le bon outil aux personnes qu'ils prennent en charge, afin de leur faire faire un pas en avant. Aucun professionnel ne s'impose et n'est confronté à tant de difficultés d'exercice dans le but de faciliter l'usage de drogues, et c'est nous faire un mauvais procès d'intention que de nous soupçonner de créer certains outils de réduction des risques en vue de banaliser l'usage de ces substances. La notion d'« éthique du moindre mal » proposée par l'Espace éthique de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris exprime bien l'idée qu'il faut mettre la marche à la hauteur que la personne concernée peut atteindre. Celles pour lesquelles nous souhaitons la création de salles de consommation sont déjà allées plusieurs fois à l'hôpital, ont subi plusieurs sevrages et encombrent les services d'urgence, ce qui coûte très cher et ne sert à rien. Un outil adapté est donc nécessaire.

Ainsi, nous avons conclu à la nécessité des salles de consommation après avoir examiné diverses solutions et expérimenté les maraudes, qui n'ont pas donné de grands résultats – je ne me réjouis pas moins d'apprendre que des maraudes renforcées sont organisées avec des psychiatres, car nous avons du mal à obtenir la présence de ces derniers dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie et autres structures de soins. La création de ces salles devrait s'accompagner de celle d'autres outils, dans les domaines notamment du logement et de la socialisation.

Les parlementaires ont la responsabilité d'adapter les réponses à un univers qui n'est plus celui des années 1970 – et encore moins celui de mai 1968, qui ne signifie plus rien pour les jeunes du Val-Fourré ; ils n'ont en effet aucun idéal de solidarité et sont pris dans une course frénétique à l'argent et à la surconsommation, dans une société d'hyperviolence. Nous vous demandons des outils permettant de répondre à ces jeunes et non pas à une jeunesse idéale dont nous rêverions et que nous nous donnons de moins en moins les moyens de construire.

Je n'ai, pour conclure, aucun doute sur les conclusions de cette mission, que je sais tranchées d'avance, mais j'aurai au moins eu le plaisir de dire ce que je pense, au nom des professionnels que je représente.

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