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Intervention de Richard Maillet

Réunion du 2 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Richard Maillet, président de la Fédération nationale des associations de prévention de la toxicomanie :

La fédération que je préside regroupe plusieurs associations ayant pour principal objet la prévention de la toxicomanie en milieu scolaire.

La population qui nous importe et nous tient à coeur, dont on ne parle jamais, est celle qui ne consomme pas de drogue ou encore peu. Si certains jeunes se droguent parce qu'ils ont des problèmes, d'autres y viennent par simple curiosité, pour faire comme les autres, pour « frimer » ou rechercher des sensations nouvelles. Trois grandes raisons nous paraissent expliquer les évolutions observées.

Tout d'abord, les jeunes n'ont plus peur des stupéfiants. Pourquoi ? C'est un fait que depuis 1998, on a plus ou moins délaissé la prévention au profit d'une politique de maîtrise de la consommation, qui s'est traduite sur le terrain par une incitation à consommer. L'ouvrage Drogues : savoir plus, risquer moins, édité et réédité par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, a été vu par les jeunes comme un moyen d'en savoir plus pour consommer plus, tout en pensant risquer moins. Y est opérée une distinction entre « drogues douces » et « drogues dures », ainsi qu'entre usage simple et usage nocif, qui laisse croire qu'il est sans danger de consommer occasionnellement certaines drogues, notamment du cannabis. L'ouvrage contient également un mode d'emploi de toutes les substances et vante les effets thérapeutiques du cannabis, à l'époque pourtant rejetés aussi bien par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et l'Académie nationale de médecine en France que par la Cour suprême aux États-Unis. Il avance enfin que la drogue constituerait une fatalité dans notre société. Ce discours a conforté l'attitude des consommateurs réguliers, encouragé la récidive des expérimentateurs et placé les non-consommateurs dans une situation intenable. Certains d'entre eux ont commencé à se droguer par peur de passer pour des arriérés ou des poltrons. Les « flyers », tracts dits préventifs édités par diverses associations et distribués dans les centres de jeunesse ont eux aussi contribué à l'explosion à la fois du nombre de consommateurs et de la consommation, en même temps qu'ils facilitaient le passage d'une drogue à une autre, conduisant à la polyconsommation aujourd'hui observée. En tolérant la consommation occasionnelle, non seulement on ne dissuade pas les jeunes de se droguer mais on incite même certains à croire qu'ils pourront « gérer » leur consommation de cannabis ou de cocaïne, comme ils pensent le faire de l'alcool et du tabac. D'ailleurs, leur phrase fétiche n'est-elle pas « T'inquiète, je gère » ?

En 1996, les chefs d'établissement nous demandaient d'intervenir en seconde et en troisième ; en 1999, en quatrième et en cinquième, et en 2002, en CM2 ! Non seulement la consommation a explosé mais l'âge des premières consommations s'est abaissé à 9 ou 10 ans.

Une autre raison pour laquelle les jeunes prennent de la drogue est que c'est « branché ». Sur ce point, j'appelle votre attention sur l'influence néfaste des médias. Combien de fois n'ai-je entendu le soir, rentrant de réunions de prévention avec des parents et des professeurs, des vedettes du spectacle, du monde musical ou des présentateurs de télévision tenir des propos banalisant, voire valorisant l'usage des drogues ? Où est la cohérence ?

Les jeunes se droguent aussi parce qu'aucune sanction n'est jamais prononcée à l'encontre ni des simples usagers ni des petits « dealers ». À Lille, le proviseur d'un lycée où nous avions mené des actions de prévention nous a demandé si nous pouvions agir pour que cessent les petits trafics à la sortie de son établissement. Nous avons saisi la brigade des stupéfiants qui, en dépit de ses promesses, n'est jamais intervenue. Et le préfet lui-même, auquel nous nous sommes finalement adressés, nous a avoué n'être pas certain de pouvoir faire quelque chose. Le petit trafic de stupéfiants continue donc, alors même que la loi le réprime plus sévèrement, et c'est heureux, à la sortie des établissements scolaires.

La circulaire dite « Guigou » du 17 juin 1999 relative aux réponses judiciaires aux toxicomanies, toujours en vigueur, qui enjoint aux parquets de ne plus poursuivre les usagers, rend impossible toute application de la loi du 31 décembre 1970. Certaines stations de radio – vous savez comme moi lesquelles – n'hésitent pas à diffuser des messages banalisant l'usage des drogues. Certains groupes français de rap ou de reggae leur emboîtent le pas, incitant dans leurs chansons à la consommation. Certaines émissions de télévision et certains films vont dans le même sens. Je pense à Lol, film dans lequel les policiers eux-mêmes consomment du cannabis. Pis : dans Le petit lieutenant, une affiche en demandant la légalisation trône dans le bureau d'un policier qui en fume ! Il y a enfin les supports écrits, comme les ouvrages des Éditions du Lézard, de L'Esprit Frappeur ou encore des Éditions Georg qui, liés au lobby des drogues, incitent à la consommation et n'en sont pas moins vendus en toute impunité. Si on ne peut guère contrer internet pour l'instant, peut-être pourrait-on empêcher la circulation de ces ouvrages en librairie.

Que proposons-nous ? Tout d'abord, de revoir la circulaire dite « Guigou » de 1999. Ensuite, de renforcer les dispositions de l'article L. 3421-4 du code de la santé publique qui répriment toute incitation, directe ou indirecte, à la prise de drogues – et qu'on ne nous dise pas que cela porterait atteinte à la liberté d'expression ! Enfin, ne surtout pas autoriser l'ouverture de centres de consommation supervisés. Cela adresserait un signal désastreux, fatal à la prévention, déjà très difficile pour les raisons que j'ai indiquées. On nous dit que de telles salles se justifieraient dans un souci de réduction des risques. Mais le premier des risques, c'est le développement de la toxicomanie par la banalisation de l'usage des drogues qui en résulterait. Les jeunes ont encore peur de l'héroïne, drogue chère, qui n'est pas à la mode et demeure assez difficile à se procurer. Les « salles de shoot », banalisant sa consommation, modifieraient cette représentation, amenant certains à se dire « si c'est permis par l'État, pourquoi pas nous ? ». Nos arguments, qui ont pourtant fait leurs preuves, seraient balayés par l'État qui, organisant lui-même une consommation encadrée de substances interdites, signifierait qu'il renonce à la lutte contre la drogue. L'Académie nationale de médecine vient de se prononcer contre l'ouverture de telles salles et, dans son rapport de 2009, l'Organe international de contrôle des stupéfiants recommandait aux États qui en avaient ouvert de les fermer.

C'est de ceux qui ne consomment pas ou encore peu que j'ai voulu ici prendre la défense. Autant dire que si des « salles de shoot » devaient ouvrir dans notre pays, nous n'aurions plus qu'à arrêter tout travail de prévention.

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