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Intervention de Lia Cavalcanti

Réunion du 2 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Lia Cavalcanti, directrice générale d'Espoir Goutte d'Or :

Brésilienne d'origine mais Française d'adoption, je dirige l'association Espoir Goutte d'Or qui travaille depuis vingt-quatre ans dans le quartier populaire de la Goutte d'Or, situé au nord de Paris, où je vis moi-même depuis trente ans. L'originalité de l'association est d'être née de la volonté des habitants de ce quartier particulièrement défavorisé, investi par les consommateurs et les trafiquants de drogues. Au début des années 1980, alors que débutait l'épidémie de SIDA, toutes les familles de la Goutte d'Or étaient, de près ou de loin, touchées, et se sentaient impuissantes.

L'un de nos objectifs était précisément de lutter contre ce sentiment d'impuissance en apportant des réponses originales. Espoir Goutte d'Or a ainsi été la première association accueillant des usagers de drogues à s'implanter au coeur du lieu des trafics. Je suis en effet convaincue que l'offre de soins doit être proposée là même où l'est la drogue. C'est corps à corps, pour ainsi dire, qu'il faut contrer les trafiquants en offrant une alternative à la consommation – sans jamais juger ceux que nous recevons.

L'association se compose aujourd'hui de deux établissements, un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, et un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie. En 2009, le premier a reçu 5 032 personnes et le second 397, en majorité des consommateurs de crack. Je n'insiste pas sur l'extrême difficulté de recevoir plus de 5 000 personnes par an dans des locaux exigus, où les salles de consultation ne font pas plus de trois à quatre mètres carrés. Les conditions de travail sont éprouvantes pour les personnels – médecins généralistes, psychiatres, assistantes sociales… –, mais ceux-ci sont extrêmement motivés.

Parmi le public accueilli, on compte 84 % d'hommes et 16 % de femmes. Leur moyenne d'âge, qui va augmentant, s'est établie en 2010 à 39 ans. C'est là une conséquence, heureuse, de la politique de réduction des risques : dans les premières années, elle n'était que de 26 ans !

Parmi les usagers de drogues reçus au centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, 89 % sont sans travail, et ce taux a augmenté ces dernières années. En 2009, 68 % d'entre eux avaient déjà été en prison, contre 60 % l'année précédente. En outre, 27 % n'ont aucun logement, 30 % vivent dans un logement précaire et 8 % vivent dans des « squats », dont le nombre se multiplie.

La problématique est quelque peu différente au centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie où les personnes accueillies s'inscrivent dans une démarche de soins et acceptent les contraintes des protocoles thérapeutiques, qui exigent par exemple de passer tous les jours à l'association. Nous nous battons contre l'hépatite C, mais comment faire quand le protocole de soins des hépatites exige que le patient dispose d'un hébergement ? 46,7 % de ceux que nous recevons n'ont pas de domicile fixe. Vous imaginez sans mal l'extrême difficulté de soigner des personnes dont seulement 28,3 % ont un logement stable. Seules 9,1 % disposent de revenus du travail. Sans ressources, beaucoup n'ont pas la moindre couverture sociale, ce qui complique encore la situation. En effet, il nous est impossible, car il est alors déclaré irrecevable, d'ouvrir un dossier aux personnes sans revenus d'aucune sorte. Elles sont pourtant 40,9 % dans ce cas au centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie – contre 31 % au centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues.

La situation dramatique de cette population totalement démunie invite, je le crois, à une réflexion politique plus large. Ces personnes sans travail n'ont jamais travaillé, n'ont aucune formation et, pour beaucoup, présentent de graves pathologies, somatiques et psychiques. Comment permettre qu'elles cohabitent harmonieusement avec les familles du quartier dont nous défendons aussi la qualité de vie et le droit à vivre dans la tranquillité ? D'où la question qui se pose aux pouvoirs publics d'autoriser ou non des salles de consommation de drogues. Ce sont ces personnes qui n'ont pas de domicile pour consommer qui les fréquenteraient. Nous avons une lourde responsabilité à prendre en la matière, vous, politiques, et nous, acteurs de terrain.

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