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Intervention de Jeannette Bougrab

Réunion du 15 juin 2011 à 17h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat chargée de la jeunesse et de la vie associative :

- Merci.

Messieurs les Présidents, Madame et Monsieur les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les membres de la mission d'information sur les toxicomanies, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'auditionner sur ce sujet difficile que vous abordez avec courage, sérénité et liberté. Je salue l'immense travail que vous avez accompli jusqu'ici, avec déjà quatre-vingts personnes auditionnées.

En tant que secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, je suis en effet particulièrement sensible à la question de la consommation des substances psychoactives, qu'elles soient licites ou illicites. Mon propos n'est pas de dire que ces substances sont exclusivement consommées par les jeunes ou que les jeunes en sont tous consommateurs - ce propos serait inexact et stigmatisant pour la jeunesse - mais je crois qu'il est de notre devoir d'être particulièrement à l'écoute sur ce thème.

En effet, on constate que plus le démarrage des consommations est précoce, plus les risques ultérieurs de dépendance sont importants. Or, on observe un rajeunissement alarmant de l'âge moyen d'initiation aux différentes substances psychoactives.

D'autre part, la jeunesse est une période d'expérimentations, de découvertes, de développement de sa sensibilité propre au monde ; elle est une période exaltante mais également transgressive, semée de pièges et d'embûches. C'est aussi une période de souffrance. Je rappelle que le suicide est en France la deuxième cause de mortalité des moins de 25 ans.

C'est pour cette raison que j'ai demandé au psychiatre Boris Cyrulnik de me remettre un rapport sur le suicide des jeunes. Dans le rapport d'étape, qu'il m'a d'ores et déjà remis et qui sera publié à la rentrée, il développe une corrélation entre carences affectives et suicides.

A mes yeux, la consommation de substances psychoactives licites ou illicites constitue un appel au secours, un signal de détresse, qu'il s'agisse de la consommation de drogues en tous genres, d'alcool en quantité excessive ou encore d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs.

La France a été pendant longtemps le premier pays en Europe en matière de consommation d'antidépresseurs. Nous sommes aujourd'hui au troisième rang mais cela concerne encore 6 millions de personnes. 13 % des jeunes de moins de 16 ans auraient déjà eu recours à des tranquillisants ou à des somnifères.

Selon l'OFDT, 30,4% des jeunes disent avoir expérimenté un produit phytothérapique ou homéopathique, 18,4% des tranquillisants, 14,6% et 7,2% respectivement des somnifères et des antidépresseurs, 2 % des thymorégulateurs, 1,4% des neuroleptiques et 1 % de Ritaline - produit surtout administré aux jeunes garçons hyperactifs.

J'interprète ces chiffres comme des indicateurs du mal-être d'une partie de la jeunesse française. Selon l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, la consommation d'alcool et de drogue est considérée comme un signe de détresse et un facteur de risque de basculement vers des comportements suicidaires.

Il convient donc d'agir, notamment par la prévention, pour protéger les jeunes de leurs propres excès. Il me semble essentiel d'associer les jeunes à cette action de prévention, de les y impliquer. C'est le choix constant du gouvernement. Je pense ainsi au concours « Talents versus Drogues » organisé par la MILDT et le ministère de la jeunesse en janvier 2011, qui proposait à des jeunes de créer une musique, un clip et une pochette de disque, rappelant qu'au-delà des dangers sanitaires, les drogues ont des répercussions multiples : problèmes scolaires, accidents de la route, accidents du travail, déstabilisation de quartiers voire de sociétés entières, répercussions négatives sur l'environnement, etc.

Cette campagne, via des canaux de diffusion très accessibles et très ciblés - sites gratuits en ligne de musique et de vidéos, radios jeunes - a permis à des jeunes de faire de la prévention auprès des jeunes.

Je crois que ce genre d'initiatives doit être soutenu et encouragé ; l'information par les pairs est pour moi le canal de communication le plus efficace. C'est pourquoi nous nous sommes associés à cette campagne de la MILDT.

J'ai été particulièrement sensible au travail porté par le ministère de la jeunesse, accompli par Sabrina Boudouni, jeune en service civique, auprès de la brigade de prévention de la délinquance juvénile du Gard.

Le service civique, créé par la loi du 10 mars 2010, suite à la proposition du sénateur Yvon Collin, offre à tout volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet collectif, d'une mission d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel ou concourant à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention.

C'est à ce titre que Sabrina a participé à l'animation de modules de prévention auprès des jeunes, sous le tutorat d'un gendarme de l'unité ; elle rencontre des adolescents au comportement déviant et a participé activement à la préparation et à l'animation des journées de prévention.

Je tenais à lui rendre hommage car elle participe également aux auditions de jeunes enfants victimes de violences sexuelles.

Le groupement de gendarmerie du Gard a été la première unité de la gendarmerie à bénéficier d'un agrément pour l'accueil d'un volontaire du Service civique. Cette pratique a été identifiée comme exemplaire et sera désormais soutenue par une circulaire du ministre de l'intérieur Claude Guéant datée du 8 juin 2011, selon laquelle « les volontaires pourront s'inscrire dans l'action de prévention des brigades de délinquance juvénile de la gendarmerie qui mènent au quotidien des actions de sensibilisation à destination d'un public de jeunes mineurs ».

Là encore, ce dispositif permettra à des jeunes de s'adresser à d'autres jeunes, ce qui constitue le canal de prévention le plus efficace à mes yeux. C'est pourquoi je crois primordial que tous les jeunes qui sont amenés à être en contact avec d'autres jeunes soient formés sur le thème des addictions.

Chaque année, près de 50 000 jeunes obtiennent le BAFA (brevet d'aptitude à la formation d'animateur) dont le ministère de la jeunesse et de la vie associative a la charge. Chaque année, près de 4 millions d'enfants et de jeunes sont encadrés en centres de loisirs.

Le ministère va donc prendre un décret afin de fixer un module de formation et de sensibilisation à la prévention des conduites addictives pour que cette compétence soit inscrite dans les diplômes et les formations qualifiantes des animateurs.

En parallèle, des actions de prévention seront proposées en milieu de loisirs par les acteurs associatifs du champ de la jeunesse et de l'éducation populaire.

La jeunesse ne comprend pas toujours l'incohérence de certains discours publics évoquant l'addiction à l'alcool. L'alcool n'a pas si mauvaise presse, alors qu'il fait partie des produits psychoactifs ; nous sommes un peu trop indulgents, en France, à l'égard d'une consommation excessive.

Je voudrais attirer votre attention sur trois de mes inquiétudes principales à ce sujet…

Premièrement, l'alcool est associé à des moments festifs. Si, en volume, les jeunes boivent moins d'alcool que nous, l'ivresse augmente.

Les accidents de la route demeurent la première cause de mortalité pour les moins de 25 ans. Les accidents avec alcool représentent 35% des tués. Des pans entiers de notre jeunesse sont fauchés par l'alcool.

Les grands événements festifs, en France, sont souvent le théâtre de drames terribles. Je rappelle qu'à Nantes, en 2010, lors d'un « apéro géant », un jeune homme ivre est décédé des suites d'une chute. 57 personnes ont été hospitalisées. Le dernier « apéro géant » de Nantes, en juin, s'est déroulé sans incident, malgré quelques hospitalisations.

Des groupes de travail consacrés à la surconsommation d'alcool chez les jeunes et à l'organisation d'événements festifs par les jeunes, mis en place par le ministère de la jeunesse et le ministère de la santé au printemps 2010, ont ainsi associé des professionnels de santé et de la prévention et des jeunes.

J'ai nommé dans chaque département un médiateur pour les rassemblements festifs organisés par les jeunes. Ces médiateurs départementaux sont coordonnés par un référent national au sein de mon ministère. Une « fiche réflexe » a également été diffusée nationalement pour accompagner la mise en place de rassemblements festifs. Il n'est pas toujours nécessaire, selon moi, de tout interdire et il vaut mieux accompagner pour éviter que des drames se déroulent dans une forme de clandestinité…

Ma deuxième inquiétude concerne la progression inquiétante du « binge drinking », consommation supérieure à cinq verres d'alcool pris à la suite en un temps limité, généralement inférieur à deux heures. Quelle que soit la quantité nécessaire, seule l'ivresse est recherchée par ces jeunes qui ne boivent en général pas quotidiennement et, en volume, moins que leurs aînés.

C'est pourquoi nous allons engager une véritable campagne de prévention à travers un concours avec des réseaux sociaux sur les dangers de l'alcool, en utilisant le canal de l'humour et de la dérision.

Je tiens également à saluer l'initiative de Valérie Pécresse qui, suite à la remise du rapport de Martine Daoust, rectrice de l'Académie de Poitiers, s'est prononcée pour des week-ends d'intégration sûrs et responsables. Elle a demandé la mise en chantier de trois mesures destinées à rendre plus efficace le dispositif juridique actuel.

J'aimerais enfin attirer votre attention sur un point mal connu mais qui constitue également une grande inquiétude pour moi. Il s'agit de l'alcool utilisé comme anxiolytique, l'alcool étant consommé comme une sorte d'automédication par des jeunes particulièrement vulnérables, chez lesquels on peut déceler des symptômes dépressifs, des troubles anxieux, des états pouvant conduire à des tentatives de suicides ou à des comportements violents.

On sous-évalue le suicide en France. Derrière ce mot se cachent les tentatives, les comportements suicidaires et les actes de violence à l'égard de soi-même. Selon moi, consommer des produits psychoactifs, c'est d'abord exercer une violence vis-à-vis de soi-même.

Pardonnez-moi d'avoir été un peu longue sur ce thème spécifique que constitue l'alcool mais, je le répète, il bénéficie d'une trop grande indulgence qui peut avoir des conséquences terribles pour les plus faibles et les plus vulnérables.

Protéger les jeunes de leurs propres excès, tel est l'enjeu de notre lutte contre les pratiques addictives. Pour pouvoir être cohérents, nous devons avoir le courage de prendre position sur un certain nombre de sujets qu'on n'ose pas toujours aborder.

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