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Intervention de Frédéric Dupuch

Réunion du 13 avril 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Frédéric Dupuch, directeur de l'Institut national de police scientifique :

Mesdames et messieurs les parlementaires, M. Fabrice Besacier et moi-même sommes heureux de pouvoir vous parler aujourd'hui du travail qu'accomplissent les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique qui luttent contre les stupéfiants, en particulier celui de Lyon qui est à la pointe de ce combat depuis plus de vingt-cinq ans.

L'institut est un établissement public de l'État, qui regroupe l'ensemble des laboratoires de culture « policière » : les deux de Paris, dont l'un, le laboratoire de toxicologie, s'occupe de stupéfiants ; celui de Toulouse ; celui de Lille ; celui de Marseille et celui de Lyon, le plus investi et le plus réputé en matière de stupéfiants.

Nous intervenons en tant qu'experts judiciaires, l'institut, en tant que personne morale, étant inscrit sur la liste des experts agréés par la Cour de cassation. Outre ce « label » judiciaire, l'institut bénéficie d'un label qualitatif, nombre de ses activités, dont celles de M. Fabrice Besacier, étant accréditées par le Comité français d'accréditation. L'année dernière, tous laboratoires confondus, les sept cents membres du personnel ont traité à peu près 188 500 dossiers. Le rythme de travail est donc sans commune mesure avec celui des laboratoires de police scientifique qui apparaissent dans certaines séries télévisées, où dix individus travaillent sur le même dossier pendant quinze jours !

L'essentiel de notre activité, soit 90 %, passe aujourd'hui par la biologie génétique. Mais certaines branches très régaliennes nécessitent une observation, un suivi et un investissement complets – je pense en particulier à la balistique et aux stupéfiants, sources de nuisances pour la santé, mais aussi de déstabilisation et donc d'insécurité.

Cinq laboratoires sont concernés par les stupéfiants.

Ce sont trente-quatre personnes qui participent à la lutte contre le trafic de stupéfiants, seize d'entre elles étant habilitées à intervenir en justice au nom de l'institut. Et, à côté de cette lutte contre les trafics, qui passe par l'analyse de stupéfiants et l'aide aux services d'investigation, il y a la lutte contre l'usage de stupéfiants, qui concerne les consommateurs : c'est la partie « toxicologie » de notre activité.

Initialement, il y a cent ans, les analyses toxicologiques étaient réalisées post mortem : on procédait à une analyse des viscères et du sang lors des autopsies. Elles se sont transformées progressivement avec les exigences de la sécurité routière. Aujourd'hui, les sections « toxicologie » de nos laboratoires analysent majoritairement le sang prélevé sur des automobilistes pour la recherche d'alcool, et maintenant, surtout, de stupéfiants.

Contre le trafic de stupéfiants, l'an dernier, mille sept cents dossiers ont été traités, pour cinq mille scellés, ce qui représente une quantité énorme. Un scellé peut contenir un sachet de 50 grammes de substance illicite, mais c'est rare. Par exemple, l'an dernier, le laboratoire de Paris a travaillé sur une affaire concernant 70 kilogrammes de cocaïne, en pains de 500 grammes, et analysé cent quarante scellés ; ses travaux ont porté aussi bien sur les stupéfiants que sur les empreintes papillaires ou les traces génétiques.

Que font les laboratoires en matière de drogue ? Ils répondent aux premières questions qualitatives et quantitatives, pour savoir quel est le produit concerné. Les tests de réactifs réalisés dans les services opérationnels n'ont pas une valeur totalement probante. Il faut donc confirmer la nature exacte du produit qu'ont saisi les forces de l'ordre, puis déterminer la teneur du principe actif présent dans ce produit. Il est très important pour les enquêteurs ou les magistrats de savoir si la personne qu'ils ont en face d'eux possédait de la cocaïne avec un dosage de rue à 34 %, ou un dosage plus proche de celui que l'on trouve dans les aéroports, à 65 % : cela marque le « niveau » du trafic. Il faut enfin savoir si la prise que nous avons entre les mains s'intègre dans une enquête plus large, en faisant des rapprochements entre différentes saisies de drogues. Pour y parvenir, plusieurs outils ont été développés : un outil qui est présent dans les cinq laboratoires, et un outil qui est spécialement développé à Lyon.

L'outil présent dans les cinq laboratoires est un logiciel dénommé STUPS (Système de traitement uniformisé des produits stupéfiants), dont la version informatique a été renouvelée cette année. Il est alimenté par les cinq laboratoires de l'Institut national de police scientifique, ainsi que par l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Il est consultable par l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et par la brigade des stupéfiants de Paris. Il permet de décrire tout ce qui est d'ordre procédurier : référence du service enquêteur et du magistrat chargé de l'affaire, éléments de procédure, lieu où la marchandise a été saisie, etc. Il donne des compositions chimiques de base : de quel produit s'agit-il ? Quelle est sa teneur en principe actif ? Quels sont les produits de coupage ? Il donne aussi des descriptifs visuels, en particulier pour les pains de cannabis ou les cachets de drogue de synthèse. Ce dernier élément permet d'établir des liens. En effet, le toxicomane est un « client » fidèle : quand il a trouvé un produit qui lui plaît, il a tendance à rechercher le même, et sous la même présentation.

Ce logiciel est alimenté à partir des produits que nous recevons nous-mêmes pour des analyses complètes ou, lorsqu'il y a des prises importantes, à partir des échantillons supplémentaires qui sont envoyés à nos laboratoires, même dans les cas où les analyses initiales ne nous ont pas été confiées. Nos laboratoires publics ne sont pas implantés sur tout le territoire. Les officiers de police judiciaire sont tentés de faire appel à nous, car nos prestations sont gratuites, contrairement aux laboratoires du secteur privé. Mais il se peut que des enquêteurs, dans des endroits où nous n'avons pas d'implantation proche, par exemple le grand Ouest ou le grand Est, s'adressent à un laboratoire privé qui leur fournira une réponse plus rapide. Ensuite, ils nous envoient leurs échantillons pour alimenter le logiciel STUPS.

Un travail encore plus fin est accompli par le laboratoire de police scientifique de Lyon qui est, depuis très longtemps, la « flèche » en matière d'analyse de stupéfiants. Le premier texte faisant référence à une spécialisation du laboratoire de police scientifique de Lyon remonte à 1986. Il portait sur la création d'un fichier national des drogues saisies. Ce fut la première version du fichier STUPS ; nous en sommes maintenant à la seconde version. Le laboratoire de Lyon est en outre réputé sur le plan international pour son savoir-faire dans le domaine du « profilage » des drogues, à partir d'une méthode développée par M. Fabrice Besacier que je suis très fier de compter parmi mes collaborateurs.

Cette méthode est partie du triste point de vue qu'une drogue n'est jamais un produit sain ou naturel. On peut peut-être encore trouver dans les montagnes des Andes ou en Afrique des herbes pures à mâcher, mais dès lors que la drogue arrive sous nos latitudes, elle a été transformée, notamment par l'adjonction de diluants, pour aboutir au produit à commercialiser. Or ces multiples composantes laissent des traces, mêmes infimes, et la juxtaposition de ces traces infimes permet de dresser, à partir d'un calcul mathématique, le « code génétique » initial d'un lot de drogue. Ce code ne changera pas même si la drogue, par la suite, est à nouveau coupée.

Une telle méthode est très intéressante. En effet, pour des services d'enquête dont la finalité est de démanteler des structures, elle permet de faire des liens entre une prise de drogue à un bout de la France, et la même drogue retrouvée à l'autre bout. On peut ainsi prouver que ces prises proviennent du même lot. Cette méthode a été développée pour la cocaïne. Elle est maintenant développée pour l'héroïne, et l'on projette de l'étendre aux drogues de synthèse. On fait même des recherches sur des molécules de cannabis. Cette méthode est surtout utile aux enquêteurs ayant un large champ d'investigation.

Ces travaux sont réalisés dans la section dirigée par M. Fabrice Besacier. Lorsque nous recevons des saisies de cocaïne ou d'héroïne, que nous les analysons et que nous trouvons des liens entre elles, il arrive régulièrement que même les enquêteurs n'aient pas soupçonné l'existence de tels liens. Notre travail consiste à les retrouver et, lorsque les procédures ne sont pas closes, à fournir aux enquêteurs des éléments leur permettant d'ouvrir le champ de leur investigation et, ainsi, d'approfondir la connaissance du réseau à démanteler.

Pour ce travail, M. Fabrice Besacier a conçu le logiciel OTARIES (Outil de traitement automatisé pour le rapprochement inter-échantillons de stupéfiants). Ce logiciel dispose d'une finalité et d'une finesse dans les approches chimiques dont ne disposait pas le logiciel STUPS. Il ne peut pas intéresser tous les services d'enquête. C'est pour cela que l'on n'envisage pas d'étendre OTARIES à tous les laboratoires, mais seulement au laboratoire de Paris qui pourra ainsi travailler en réseau avec celui de Lyon. Reste que c'est un outil primordial pour la traçabilité de la drogue, la connaissance des réseaux et l'établissement de liens entre les lots saisis.

OTARIES a permis jusqu'à présent d'identifier trois cents lots « initiaux » de cocaïne et cent lots d'héroïne, qui avaient fait l'objet de plusieurs démultiplications dans le pays. C'est à cela que correspond le graphique du dossier que je vous ai remis et qui a pu vous apparaître quelque peu abscons. Il retrace les liens établis entre des prises de drogue en région Rhône-Alpes, lesquels ont permis de découvrir que le travail réalisé d'un côté par des policiers et de l'autre par des gendarmes concernait les mêmes lots de cocaïne, ce que les enquêteurs eux-mêmes ne soupçonnaient pas.

Le deuxième angle sous lequel travaillent les laboratoires de l'institut est celui de la toxicologie appliquée à la sécurité routière et à la recherche de stupéfiants. En l'occurrence, nous accompagnons la montée en puissance de la politique de sécurité routière. Nous sommes passés de la recherche d'alcool, où il y a néanmoins encore de la demande, à la recherche de stupéfiants. L'an dernier, 5 500 dossiers de nature criminalistique ont été traités par les sections de toxicologie ; plus de 3 000 concernaient des détections de stupéfiants. La recherche de stupéfiants chez les automobilistes est donc devenue l'activité majoritaire, au sein de l'activité toxicologique, à côté de la recherche d'alcool et des analyses post mortem.

Dans 68 % des cas dont nous avons été saisis, nous avons effectivement trouvé de la drogue, lorsqu'il y avait suspicion à partir des tests initiaux ou des comportements. Dans 90 % des cas, il s'agissait de cannabis.

Lorsque nous sommes saisis, nous avons une vision claire de ce qui se passe. Mais nous ne faisons pas les prises de sang. Nos laboratoires s'inscrivent non pas dans une démarche médicale, mais dans une démarche criminalistique. En cas de suspicion de consommation de stupéfiants, l'automobiliste est conduit dans un hôpital qui procède à la prise de sang et effectue l'analyse pour établir le dosage. Certes, l'hôpital fait payer ses prestations, alors que nos prestations sur réquisition sont gratuites. Mais il est plus simple de s'adresser à l'hôpital. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas une vision exhaustive du phénomène. Quoi qu'il en soit, nous constatons, lorsque nous sommes saisis, que le cannabis est la drogue la plus souvent consommée par les automobilistes qui font l'objet de contrôles et de détections positives.

Telle est, globalement brossée, l'activité des laboratoires de l'institut s'agissant de la drogue.

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