Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Andréanne Sacaze

Réunion du 17 janvier 2012 à 17h15
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Andréanne Sacaze, présidente de la commission "textes" du Conseil national des barreaux :

Mon analyse diffère de celles que peuvent avoir certains des membres du Conseil national des barreaux, comme l'indique une note établie par Me Dominique Attias, présidente de la commission des mineurs du Conseil national des barreaux, que je vous remettrai à la fin de l'audition.

Mon expérience de terrain sur l'enfance délaissée – je suis depuis plus de vingt-cinq ans conseil du service de l'aide sociale à l'enfance du conseil général du Loiret –, me laisse à penser que votre texte va dans le bon sens. Je tiens toutefois à aborder aussitôt les critiques dont il fait l'objet.

Tout d'abord la définition du délaissement donnée par la proposition de loi sera trop proche de celle de l'enfance en danger tendant à l'assistance éducative, ce qui risquerait d'entraîner des difficultés dans le choix des procédures.

Ensuite, la proposition permet au ministère public de saisir d'office le juge d'une demande de déclaration judiciaire d'abandon : j'y suis, comme d'autres de vos interlocuteurs, totalement opposée.

Enfin, le texte ne met pas suffisamment en avant l'intérêt supérieur de l'enfant, tel qu'il est défini par les conventions internationales désormais intégrées au droit français.

S'agissant de la première critique, si je me fonde sur mon expérience, la législation actuelle permet trop facilement d'empêcher le prononcé d'une déclaration d'abandon. Il est donc essentiel à mes yeux que le législateur la cadre plus précisément. Trop souvent, en effet, les demandes de déclaration d'abandon, que j'ai faites au nom du conseil général à la demande de l'aide sociale à l'enfance, n'ont pu aboutir parce qu'un ou les deux parents biologiques se sont manifestés dès qu'ils ont reçu la notification de la procédure et se sont lancés dans une démarche visant à reprendre en charge leur enfant. Dans un tel cas, l'aide sociale à l'enfance prend les mesures qui s'imposent pour recréer des liens entre l'enfant et ses parents biologiques jusqu'à ce que, de nouveau, ces derniers ne donnent plus aucun signe de vie ou presque – parfois une simple carte postale à Noël, et encore ! Cette nouvelle carence donne lieu à une nouvelle demande de déclaration d'abandon dans l'intérêt supérieur de l'enfant, avec le risque que les parents ne se manifestent de nouveau provisoirement pour empêcher que leur enfant ne devienne adoptable. Il faut savoir que notre culture nous porte à privilégier les liens biologiques, même si les parents ne se manifestent que de manière infime.

Du fait de ce mode de fonctionnement, les enfants subissent une nouvelle forme de maltraitance – j'emploie volontairement un terme très fort – puisqu'ils se trouvent, en quelque sorte, abandonnés. Les services de l'aide sociale à l'enfance sont loin d'être irresponsables : ils accompagnent au contraire de manière remarquable les mesures qu'ils prennent, y compris postérieurement à l'adoption. Je suis très fière de l'action menée par le conseil général du Loiret. Toutefois, lorsque l'enfant arrive à l'adolescence, après être passé de famille d'accueil en famille d'accueil ou de foyer en foyer, il lui est plus difficile d'être adopté. C'est pourquoi, j'estime très utile que la proposition de loi précise la carence parentale. Des appréciations judiciaires seront nécessaires, c'est évident. Peut-être faudrait-il simplement évoquer, non pas la responsabilité parentale, mais les devoirs et obligations qui relèvent de l'autorité parentale car cette notion est bien perçue, même par les personnes les moins averties. Telle est ma seule réserve ; je dois néanmoins vous dire que Me Dominique Attias, responsable de la commission du droit des mineurs du Conseil national des barreaux, craint, quant à elle, une confusion entre la définition donnée à l'article 375 du code civil des conditions déclenchant l'assistance éducative et la nouvelle rédaction que vous envisagez de donner, à l'article 350, des conditions autorisant une déclaration d'abandon.

S'agissant du ministère public, je suis opposé à son intervention parce qu'il n'appartient pas à l'État d'interférer dans des situations que les services de l'aide sociale à l'enfance connaissent bien mieux, et où ils peuvent faire, in situ, de la casuistique pour chaque mineur. J'ai bien compris que le législateur souhaiterait que le ministère public puisse intervenir en cas de carence du suivi d'un enfant en état de délaissement. À mes yeux, les précautions que vous prévoyez rendent cette intervention inutile, je pense notamment à la mesure selon laquelle chaque mineur placé à l'aide sociale à l'enfance fera désormais l'objet d'un rapport annuel. En dressant un bilan exhaustif de l'action menée par les différents services qui se sont occupés de lui, ce dossier permettra au service de l'aide sociale à l'enfance, à la fois de découvrir d'éventuelles carences dans son suivi, de réexaminer la situation de l'enfant dont il a la charge et de mettre en regard son dossier et ceux d'adoptants éventuels.

Les magistrats, qui apprécieront en dernier ressort la notion de délaissement parental, devraient à mon sens participer à la définition du référentiel, sous l'égide de la chancellerie.

Les parents adoptants doivent également être accompagnés le plus longtemps possible, y compris après l'adoption, qui n'est pas seulement un acte juridique : apprendre à s'aimer l'un l'autre implique une approche psychologique, travaillée en amont, certes, mais qui doit être poursuivie en aval. Il faut permettre aux adoptants, comme à l'adopté, d'être accompagnés par les services psychologiques et psychiatriques qui gravitent autour de l'aide sociale à l'enfance. Ils doivent avoir des interlocuteurs auxquels poser leurs questions. C'est sur le tas qu'on apprend à être parents biologiques. Parce que l'adoption repose sur un artifice, apprendre à être parents adoptifs est encore plus délicat et difficile.

Il faudrait enfin que le législateur prévoie des critères objectifs d'agrément. Lorsque j'ai dû, devant le tribunal administratif, débattre de contestations de refus d'agrément, je me suis souvent trouvée démunie pour justifier la décision du conseil général, car ces critères sont trop subjectifs. Une de mes collaboratrices a fait, dans le cadre de ses études, un rapport circonstancié sur les commissions d'agréments. Elle s'est rendu compte que des parents peuvent ne pas recevoir l'agrément pour des motifs religieux ou parce qu'ils sont, l'un et l'autre, très impliqués sur le plan professionnel, ce qui ne les empêcherait pourtant pas d'être de bons parents ! Il en est de même de la liberté de l'esprit ou de culte : exception faite, sans doute, de l'appartenance à une secte, le fait d'adhérer à une religion n'interdit en rien d'être de bons parents. Une ligne de conduite – sinon des critères objectifs – s'impose, au moins pour permettre à l'avocat que je suis d'expliquer, en cas de contestation, les raisons d'un refus d'agrément.

Je vous donne simplement l'avis de la femme de terrain que je suis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion