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Intervention de Bernard Salengro

Réunion du 12 janvier 2012 à 9h30
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bernard Salengro, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres :

Une observation au préalable : en tant qu'administrateur de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, on dit aujourd'hui « conseiller », je suis perplexe devant le rattachement de la branche accidents du travail dans l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM. Dans le cas de l'assurance maladie, cela est justifié puisque les patients et les professionnels de santé doivent gérer une certaine somme correspondant à l'effort consenti par la nation. Mais, si on y inclut les accidents du travail, il convient que les employeurs agissent de telle sorte que moins d'accidents surviennent par rapport à l'année précédente. Il faut donc s'en donner les moyens politiques.

Or, ces moyens font défaut. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, dont le rôle est très important puisqu'elles donnent non seulement l'agrément aux services de santé au travail, mais passent avec eux des contrats d'action, n'ont rien fait depuis 1946. Elles ont témoigné de la soumission, de la complicité : j'assume totalement le choix de ces termes. Elles n'ont effectué aucun travail sérieux sur le sujet, et j'ai bien peur que cela ne continue, quand bien même la loi leur a donné plus de pouvoirs.

Quant à la démographie médicale, la baisse du numerus clausus ces dernières années faisait consensus, les médecins en activité étant désireux de conserver leur clientèle. Depuis, l'expérience a montré que le nombre de malades n'a pas décru. On tente donc de pallier le manque d'effectifs, d'autant plus que les techniques ont évolué ; une opération effectuée autrefois par un seul médecin requiert désormais plusieurs personnes, à savoir un anesthésiste, un chirurgien et deux ou trois infirmières. En outre, le nombre de spécialités a augmenté, et la médecine du travail réclame plus d'effectifs.

Le faible nombre de médecins du travail ne s'explique pas par un manque d'attractivité du poste, mais par les contraintes administratives liées à la formation médicale qui n'encouragent pas les vocations. Tout d'abord, le choix de la spécialité est lié au classement à un concours : ainsi certains qui souhaitent devenir psychiatres finissent médecins du travail, tandis que d'autres optent pour la psychiatrie alors qu'ils visaient la radiologie. Ensuite, l'exercice d'une spécialité est exclusif : si un chirurgien souhaite devenir médecin du travail, il doit refaire l'internat, soit quatre ans d'étude ! Aucune autre profession n'est soumise à des contraintes aussi aberrantes.

Le problème démographique a été exagéré. monsieur Jacques Texier a donné les vrais chiffres, qui tiennent compte du fait que plus de la moitié des médecins du travail exercent à temps partiel, souvent de manière subie. Ce problème est purement administratif et pourrait être résolu en deux ou trois ans si l'université proposait un enseignement adapté à la reconversion des médecins généralistes dans les services de santé au travail.

Quant à l'indépendance des praticiens, elle est d'autant plus forte que la loi les protège. Or, aujourd'hui, seul le médecin du travail est protégé, d'une part à cause du prestige lié à sa formation, d'autre part parce que la loi interdit son licenciement. Aucun autre acteur de la médecine du travail, pas même le directeur du service, ne bénéficie de la même protection, ce qui est justifié par sa latitude à avoir à tout moment accès à l'entreprise, les autres acteurs devant obtenir l'accord de l'employeur.

Avec d'autres, monsieur Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, imaginait qu'il existait une collusion entre les médecins du travail, les employeurs et les compagnies d'assurance, d'où son refus de leur donner accès au dossier médical. Cette décision a choqué les médecins du travail. Si elle a établi définitivement la réputation du ministre aux yeux de ses confrères, elle s'avère surtout préjudiciable aux patients. Les médecins traitants n'ont en effet aucune connaissance du monde de l'entreprise, et ils font preuve, en matière de pathologies professionnelles, d'une profonde ignorance. Cette dernière peut entraîner des dégâts : combien de dépressions d'origine professionnelle, qui sont traitées comme des dépressions réactionnelles au moyen de tranquillisants ou de thymoanaleptiques, ont été ainsi aggravées et rendues chroniques, alors qu'un retour à l'emploi se serait avéré nécessaire ? De nombreux salariés sont ainsi poussés vers une situation d'invalidité alors qu'un aménagement de poste aurait été envisageable. Le médecin du travail, qui connaît l'entreprise et son dirigeant, est à même de négocier pour obtenir un tel aménagement tandis que le médecin traitant ne connaît que les circuits de l'assurance maladie.

Cette impossibilité d'échanger entre médecins du travail et médecins traitants par l'intermédiaire du dossier médical est donc, du point de vue de la coordination médicale, une occasion manquée. Déjà, les médecins du travail déplorent le trop grand nombre de lettres restant sans réponse, parce que les médecins de ville ne veulent pas consacrer de temps à cette activité non rentable.

Le plan Santé au travail, sur lequel vous m'avez interrogé, est perçu par les professionnels comme imposé du sommet, sans grandes répercussions sur le terrain. Les « préventeurs » des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, s'exprimant à propos du plan national d'actions coordonnées de la branche accidents du travail et des plans régionaux, se plaignent d'être devenus des « cocheurs » d'indicateurs, au risque de perdre leur efficacité. Une telle politique est sans doute à même de rassurer les décideurs, mais je suis sceptique quant à ses résultats.

C'est pour ces raisons que je suis favorable à un vrai paritarisme et non à celui institué par la loi, dans lequel l'employeur reste décideur sans possibilité d'alternance. J'en profite pour préciser que la règle selon laquelle un tiers des administrateurs des services de santé au travail sont désignés par les organisations syndicales ne date pas du décret de 2004 : elle a été obtenue par la négociation dès 2000.

En ce qui concerne les relations avec les agences régionales de santé, les directeurs de services de santé au travail, nommés par les employeurs, se sont empressés d'orienter le système selon leurs conceptions. Ils sont efficaces, mais ce ne sont pas des acteurs de terrain. On peut donc craindre que leur influence s'ajoute à celle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour imposer une conception technocratique de la prévention, fondée sur des indicateurs, et dont je serais étonné qu'elle obtienne des résultats.

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