Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Martial Brun

Réunion du 12 janvier 2012 à 9h30
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Martial Brun, directeur du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise :

Vos questions renvoient à la façon dont se structure la politique de santé au travail dans notre pays. Il s'agit d'un phénomène nouveau : longtemps, les services de santé au travail, dont l'exercice était encadré par le code du travail, n'ont pas fait l'objet d'une politique publique, ni d'orientations particulières. C'est seulement en 2004 que des priorités leur ont vraiment été assignées, sous l'impulsion du gouvernement de l'époque et dans le cadre du premier plan Santé au travail. Ainsi, le Conseil d'orientation sur les conditions de travail, qui réunit les partenaires sociaux et des représentants de la société civile, formule des attentes en termes de prévention des risques professionnels. De même, des objectifs sont fixés par le plan Santé au travail, lequel est décliné au niveau régional.

La mise en place de ces outils de coordination se heurte toutefois à des difficultés. Les objectifs fixés au plan national doivent être déclinés par les comités régionaux de prévention des risques professionnels chargés d'élaborer des plans régionaux de santé au travail. De son côté, l'État passe avec l'assurance maladie une convention d'objectifs et de gestion qui se décline, au niveau régional, dans les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail. La coordination est plus ou moins réalisée sur le terrain. On peut espérer que l'élaboration du plan régional Santé au travail soit l'occasion d'une synthèse entre ces orientations, afin que la volonté des différents acteurs – partenaires sociaux, société civile, administration, Gouvernement – se traduise par des objectifs sur lesquels les services de santé au travail devront contractualiser.

Comme l'a noté monsieur Bernard Salengro, la santé au travail est certes un secteur particulier, mais qui ne doit pas être séparé du reste de la santé publique. On peut donc envisager des réflexions communes, notamment sur des sujets comme celui du cancer. Cela étant, prenons garde à ne pas détourner les moyens de la santé au travail en faveur de la santé publique, car les besoins restent très importants en matière de prévention des risques professionnels. C'est un choix politique : faut-il avoir recours aux médecins du travail – pourtant de moins en moins nombreux – pour réaliser des tests de dépistage, ou doivent-ils se consacrer exclusivement à la prévention des risques professionnels ?

Quoi qu'il en soit, les outils existent, même s'ils n'ont pas toujours fonctionné. N'oublions pas que pour l'instant, un seul plan Santé au travail est parvenu à son terme. Nous sommes passés d'une visite annuelle systématique, principe en vigueur depuis octobre 1946, à une politique affichée et coordonnée au niveau régional : cela demande du temps et un apprentissage.

La loi a par ailleurs introduit la notion de projet de service. Les services de santé au travail doivent élaborer un projet collectif et définir des priorités d'action. Cela implique de faire des choix plutôt que d'agir de façon systématique. En effet, la pratique adoptée depuis octobre 1946, consistant à proposer la même chose à tous les salariés tous les ans, n'a guère fait la preuve de son efficacité, tant elle incite à la dispersion, comme dans l'exemple des 100 indicateurs de santé publique de la loi de santé publique d'août 2004. Il convient donc d'identifier les domaines d'action prioritaires, les métiers, les branches professionnelles, les situations sur lesquelles la médecine du travail doit se concentrer.

Dans ce but, les médecins du travail doivent rejoindre un projet collectif, le projet de service, objet d'une contractualisation avec l'État et les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, et qui doit permettre une action coordonnée. Le dispositif paraît pertinent ; il faut seulement contrôler sa mise en oeuvre. Après avoir demandé, en 2004, aux médecins du travail de donner la priorité à l'action sur le milieu de travail et de concentrer leurs efforts sur certains risques, rien ne serait plus dommageable que de changer d'orientation et de les inciter à revenir au cabinet médical et aux visites systématiques.

Je me réjouis, en tout cas, que votre mission ait décidé de se pencher sur ce sujet : alors que le débat sur la médecine du travail s'est souvent limité à la question de la gouvernance ou à celle de l'indépendance des médecins spécialisés, on se préoccupe enfin de la prévention, c'est-à-dire des actions à mener pour obtenir des résultats en santé. La veille sanitaire fait partie de ces actions.

Pour parvenir à un accord sur les objectifs et les priorités à adopter, il est nécessaire de poser des diagnostics partagés sur les besoins de la population salariée. Parmi les sources d'information disponibles, on peut avoir recours aux chiffres des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, mais ces indicateurs de réparation, s'ils sont utiles, ne doivent pas être considérés isolément. En effet, l'assurance maladie indemnise pour des événements qui remontent parfois à dix, vingt, voire trente ans auparavant. Ainsi, un cancer dont les origines sont professionnelles peut se déclarer au bout de trente ans : quand il donne lieu à réparation, la situation de travail n'est parfois plus la même. Il en est de même pour les troubles musculo-squelettiques, qui peuvent se déclarer après dix ans d'exposition. Il convient donc de développer d'autres indicateurs, plus pertinents. Telle est la démarche de l'observatoire EVREST (Évolution et relations en santé au travail) qui recherche les signes avant-coureurs de dégradation de la santé. C'est ce genre de diagnostic qui doit être posé par les comités régionaux de prévention des risques professionnels, dans le but de mobiliser les acteurs de terrain et les institutions et de faire face aux problèmes identifiés. Cela demande beaucoup d'organisation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion