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Intervention de Bernard Salengro

Réunion du 12 janvier 2012 à 9h30
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bernard Salengro, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres :

Je me félicite de l'initiative de votre mission, que j'appelle de mes voeux depuis que j'exerce. La prévention est le parent pauvre de notre système de santé. Une des raisons de mon engagement syndical est la colère à la fois devant l'inaction des pouvoirs publics – essentiellement les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui délivrent sans discernement leur agrément aux services de santé au travail – et face aux insuffisances de ce secteur.

Je suis médecin du travail depuis plus de trente-cinq ans. J'ai choisi cette voie en ayant également une formation de psychiatre. Certaines de mes publications ont trouvé quelque écho. J'ai même été à l'origine de l'abaissement du poids du sac de ciment de 50 à 35 kg ! Après avoir découvert le monde syndical, qui permet de s'exprimer et de porter la parole, j'y ai pris quelques responsabilités : je suis président du Syndicat des médecins du travail, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres, administrateur de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

S'agissant de la santé au travail, mon point de vue diffère quelque peu de celui de monsieur Jacques Texier. Il est significatif que l'appellation a toujours été « médecine du travail » et non « médecine des travailleurs ». Dès le 11 octobre 1946, la loi relative à l'organisation des services médicaux du travail précise que l'objet de cette discipline est d'éviter toute altération de la santé du fait du travail. Dans ce texte fondateur, la visite médicale n'est nullement une obligation, contrairement aux idées reçues. Cette évolution résulte des employeurs, auxquels le législateur a confié la responsabilité de l'organisation du système de façon fort peu judicieuse et qui préfèrent que l'on examine les salariés plutôt que les conditions de travail.

Le législateur a tenté de corriger cette déviation dès mars 1979 – et non en 2004 – en indiquant que le principe du tiers temps, en application duquel le médecin du travail doit consacrer à sa mission en milieu de travail le tiers de son temps de travail, était prioritaire, conformément à l'esprit de la loi précitée de 1946. Or, à cette heure, le tiers temps n'est toujours pas réalisé !

S'agissant de l'objet de cette audition, la prévention sanitaire en général, une donnée importante est l'éclatement des personnels composant les médecins du travail. La coordination assurée par le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise concerne surtout, comme l'a indiqué monsieur Jacques Texier, la négociation de la convention collective. Le reste est secondaire. Les pouvoirs publics auraient pu organiser ces personnels. J'interpelle le ministère du travail à ce sujet depuis longtemps : il dispose en effet des rapports annuels dans lesquels les médecins colligent toutes les constatations médicales effectuées, toutes les maladies professionnelles et leurs facteurs, mais aussi toutes leurs observations de santé publique. Il suffirait d'un logiciel adapté pour traiter ces informations et dresser un tableau de toute la population salariée. Nous serions le premier pays à disposer d'un tel outil, sans aucun coût supplémentaire !

Les confédérations patronales : Confédération générale des petites et moyennes entreprises, Mouvement des entreprises de France, Union professionnelle artisanale, ont le souci de maintenir cet éclatement et d'éloigner la médecine du travail du terrain et des besoins. Dès 2000, pourtant, nous avons obtenu la création des observatoires régionaux de santé au travail, dont l'objectif était de réunir, devant l'instance régionale des partenaires sociaux, l'ensemble des acteurs de la santé au travail : médecine du travail, organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, association régionale pour l'amélioration des conditions de travail, comité régional de prévention des risques professionnels… Il s'agissait, pour les représentants du terrain, de demander à ces organismes de travailler ensemble sur le sujet.

Malheureusement, les pouvoirs publics et la sécurité sociale ont quelque peu étranglé ce dispositif, qui est aujourd'hui en déshérence.

Les partenaires sociaux sont depuis longtemps conscients de l'éclatement et de l'impuissance organisée du système de la médecine du travail. Cela étant, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail sont en pleine révolution. Des projets de fusion entre les associations régionales et les services de santé au travail circulent au sein du ministère. D'autres concernent les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, sur le modèle de la Mutualité sociale agricole, qui intègre la médecine du travail dans ses services. Il s'agit là de pistes dont on peut discuter les avantages et les inconvénients. Ce qui est indéniable, c'est que l'action des personnels de ces structures en matière d'observation, de conseil et de prévention n'est ni reconnue, ni analysée, ni évaluée comme elle le mérite, et qu'il existe un manque de coordination avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, l'Institut national de recherche et de sécurité, l'Institut national de veille sanitaire et l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

Évitons la séparation schizophrénique entre santé au travail et santé publique. Une personne stressée développe toutes sortes de maladies qui ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles mais que l'on retrouve dans les problématiques de santé publique. Après de nombreuses analyses et méta-analyses, le Bureau international du travail a conclu que l'estimation basse du coût direct et indirect du stress est de 3,5 % du produit intérieur brut, soit plus de 50 milliards d'euros. Lorsque l'on rapporte cette somme aux 170 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie et aux 10 milliards d'euros de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, on mesure toute l'action que l'on pourrait engager si les constatations des médecins du travail remontaient vers des centres de pouvoir comme les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

De mon expérience de terrain et de celle de mes confrères, il ressort que le médecin du travail, soumis au secret médical, est le seul acteur dont l'éthique et la compétence sont garanties, quand bien même il ferait partie d'une équipe pluridisciplinaire. Loin de moi l'idée de critiquer les compétences complémentaires, mais quelles garanties offrent les intervenants en prévention des risques professionnels, dont on parle beaucoup actuellement ? Le médecin est le seul intervenant dont le salarié sache avec certitude que son seul objectif est la protection de sa santé, et non la productivité de l'entreprise. Son travail de constatation mais aussi de rectification est considérable. De nombreux patients lui demandent conseil – par exemple pour une opération suggérée par tel ou tel chirurgien – parce qu'ils le connaissent bien et qu'ils savent qu'il n'est pas rémunéré à l'acte. Les examens cliniques que nous menons permettent de dépister un nombre impressionnant de diabètes, d'albuminuries, d'apnées du sommeil, d'hypertensions mal soignées… Notre exercice ne devrait porter que sur les aspects de la santé relatifs au travail, certes, mais nous sommes médecins et l'homme est un tout !

J'insiste de nouveau, les données rassemblées dans le rapport annuel constituent un outil précieux qu'il suffirait de traiter au niveau national : il existe ainsi un suivi diachronique, quantifié, documenté, de l'ensemble de la population salariée que même les médecins généralistes ne pourraient probablement pas fournir.

Le médecin du travail assure les trois étapes de la prévention – primaire, secondaire et tertiaire – évoquées par la Cour des comptes. Le médecin du travail est un docteur en médecine qui a accompli quatre ans de spécialisation ! Après le décret du 20 mars 1979, la moitié de ces praticiens se sont spécialisés en ergonomie.

En excluant la santé au travail de son étude, la Cour des comptes répond à une logique administrative qui a recueilli le consensus des partenaires sociaux. Pourtant, ce dispositif n'a pas fait preuve d'une grande efficacité. La santé n'est pas divisible. Une personne en bonne santé est plus productive. Si elle travaille dans des conditions qui ne respectent pas la physiologie humaine, cela se traduit par des accidents – « un stressé est accidentable », dit le Bureau international du travail – ou par des pathologies qui ne paraissent pas avoir de rapport avec le travail, à l'exception de ceux qui connaissent le sujet !

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