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Intervention de Jacques Texier

Réunion du 12 janvier 2012 à 9h30
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jacques Texier, président du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise :

Le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME) est l'organisme représentatif des services de santé au travail interentreprises. Il négocie la convention collective de la branche, qui représente 15 000 salariés répartis dans 280 services en France métropolitaine et d'outre-mer. Ces services suivent les 14,5 à 15 millions de salariés du secteur privé. Les grandes entreprises n'en relèvent pas : elles possèdent des services autonomes qui suivent environ 1 million de salariés.

Le nombre de services interentreprises s'est élevé à 350 avant qu'un mouvement de rapprochement n'intervienne. La loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail concrétise une réforme prévue de longue date, qui vise notamment à organiser la médecine du travail au niveau régional.

Les médecins du travail en France sont 5 500, représentant, en raison du recours assez fréquent au temps partiel, 4 500 emplois en équivalents temps plein. Du fait de l'évolution de la démographie médicale, il n'y aura plus, à brève échéance, qu'environ 3 000 emplois en équivalents temps plein.

Le centre interservices est une fédération. Ses administrateurs sont élus. Je suis pour ma part président de l'Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Île-de-France (ACMS), qui assure le suivi d'environ 1 million de salariés. Les compétences de ce type d'association sont en effet circonscrites à une zone, un département ou une région. Tous les services adhérents du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise sont des associations relevant de la loi de 1901. Leurs membres sont des entreprises assujetties à l'obligation de prévention et de suivi des salariés.

Je viens du monde de l'entreprise. En tant que président de l'Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Île-de-France, j'ai été pendant plusieurs années administrateur du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise avant d'en devenir le président.

En matière de prévention, la Cour des comptes indique bien qu'elle n'a pas inclus la dimension de la santé au travail dans son étude. Du reste, elle mène depuis deux ans une mission sur la médecine du travail. Elle travaille sur quatre services de taille différente. Des pré-rapports ont déjà circulé mais les conclusions définitives ne sont pas encore connues.

On le voit, il existe une tendance à considérer la santé au travail comme spécifique, ce qui rejoint vos propos sur l'insuffisance de coordination en matière de prévention avec d'autres politiques de santé publique.

Sans doute ce phénomène a-t-il une explication historique. Dans la France d'après 1946, les salariés bénéficiaient d'un suivi au travail fortement médicalisé. Les emplois étaient relativement fixes et le secteur secondaire était encore important. Par ailleurs, la situation sanitaire globale de la population restait médiocre. C'est pourquoi, il était considéré comme prioritaire que des médecins suivent l'état de santé des salariés soumis à des visites médicales. L'aptitude au poste était fonction de la santé du salarié et le médecin restait un acteur incontournable de la santé au travail. Même si le système était fondé sur une philosophie préventive, il n'était pas orienté directement vers la prévention.

La réforme de juillet 2004 traduit un grand changement.

Il faut rappeler les étapes précédentes. Ainsi, il a été très malaisé d'intégrer dans le système français la directive européenne 89391CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, tant les dispositifs et les conceptions sont différents en Europe. La philosophie de cette directive a été reprise dans un accord interprofessionnel du 13 septembre 2000 sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, accord dans lequel on a commencé à donner la priorité à la prévention par rapport à l'approche médicalisée de la santé au travail. Le problème de démographie médicale fait déjà envisager un recours à la médecine de ville.

Viennent ensuite la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et le décret n° 2004-760 du 28 juillet 2004, qui définissent la prévention comme une priorité. Comme souvent en France, cela s'est traduit par une réglementation pointilleuse : le médecin du travail doit consacrer un tiers de son temps – soit 150 demi-journées – à la prévention dans les entreprises qui lui sont affectées, et le service dont il relève doit pouvoir en justifier.

L'obligation de la visite d'embauche et du suivi des salariés demeure mais, pour des raisons capacitaires, la visite périodique, annuelle jusqu'en 2004, devient bisannuelle. Néanmoins, dans les secteurs où un risque existe – travail de nuit, possibilité d'exposition aux radiations –, la périodicité peut être abaissée à six mois ou un an.

La réforme a entraîné une autre modification que nous approuvons pleinement : alors que, jusqu'en 2004, la totalité des administrateurs des services étaient élus par les assemblées générales composées des seuls adhérents employeurs, un tiers d'entre eux sont désormais désignés par les organisations syndicales des entreprises concernées. L'objectif fixé par la réforme est de parvenir à une proportion de 50-50, ce qui est déjà le cas dans certains services. La loi réserve toutefois une voix prépondérante au président élu par la partie employeurs.

La question des décrets d'application a donné lieu à un vaste débat, au point que des universitaires ont pu écrire au moment de la promulgation de la loi : « Monsieur le ministre, tout reste à faire. » Nous ne sommes pas loin de partager cet avis, mais nous pensons aussi que cette loi a permis de donner un cadre législatif à l'expérimentation réussie sur le terrain par nos services en matière de prévention : un travail d'équipe faisant le lien entre la prévention et le médical, prenant en compte la complexité croissante des postes, le caractère de plus en plus morcelé du travail, le développement des emplois de services et la baisse des emplois industriels.

L'approche de prévention est devenue complexe. Parmi les grands objectifs, figure la réinsertion professionnelle. Face à la multiplication des restructurations et des réductions d'effectifs, les salariés ont l'impression d'être de moins en moins aptes à occuper des postes de plus en plus changeants. Certes, le responsable principal reste l'employeur, qui est du reste soumis à une obligation de résultat ; mais, aux termes de la loi, le médecin doit jouer un rôle de coordination et d'animation au sein d'une équipe pluridisciplinaire.

Dès lors, les décrets d'application devraient permettre une bonne répartition des capacités en fonction des priorités, sachant que le nombre de médecins est en baisse et que les effectifs pluridisciplinaires sont en augmentation. Le problème réside donc dans des textes qui maintiennent pratiquement toutes les obligations en matière de visites médicales.

Précisons que ce secteur s'autofinance puisque la totalité des coûts – 1,3 à 1,5 milliard d'euros – est couverte par la cotisation des employeurs.

Nous vivons une période de grands changements en matière d'efficacité, de pilotage et de redéploiement des équipes. Nos services fonctionnent sous agrément mais la loi introduit une notion de contrat d'objectifs et de moyens passé par chaque service avec les autorités publiques, c'est-à-dire avec le ministère du travail, et, en pratique, avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui restent responsables de l'agrément, mais aussi avec la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, l'agence régionale de santé et les partenaires sociaux.

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