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Intervention de Monique Boulestin

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h45
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Boulestin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le livre numérique est une réalité dont nous devons tenir compte. Ainsi, après avoir débattu, il y a peu, dans cet hémicycle, du prix du livre numérique, nous examinons une proposition de loi relative à l'exploitation numérique de ce que nous appelons « les livres indisponibles du xxe siècle ».

Ce nouveau texte tend à combler un vide juridique en prévoyant les modalités d'exploitation numérique des livres du xxe siècle qui ne sont plus disponibles dans le commerce sous forme papier, tout en restant protégés par le code de la propriété intellectuelle. Ce vide est d'autant plus regrettable que la réédition de ces ouvrages, souvent épuisés en format papier, n'est plus envisagée compte tenu du coût qu'elle représenterait. Je précise que l'auteur de la proposition de loi estime à environ 500 000 le nombre d'oeuvres concernées.

Rappelons pour mémoire que seules sont disponibles aujourd'hui en format numérique les oeuvres littéraires récemment publiées et qui font l'objet d'un double contrat d'édition, papier et numérique, ainsi que les oeuvres qui ne sont plus protégées par le droit d'auteur car publiées entre le xve et le début du xxe siècle. En France, sous l'égide de la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques se sont résolument engagées dans la numérisation, avec le programme Gallica, basé sur les collections déposées au titre du dépôt légal. Mais ne sont actuellement concernés, je le répète, que les livres publiés entre le xve et le début du xxe siècle.

La présente proposition de loi vise à créer une base de données publique en ligne, qui répertorie les livres indisponibles. Cette initiative vise à confier à la BNF la responsabilité de ce corpus. Nous l'approuvons, monsieur le rapporteur, dans la mesure où, de surcroît, ce registre sera publiquement accessible sur Internet.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que l'exploitation numérique de ces oeuvres sera assurée – et nous avons insisté sur ce point en commission – par une gestion collective et confiée à une société de perception et de répartition des droits agréée à cet effet par le ministère de la culture en vertu de l'article L. 134-3 du code de la propriété intellectuelle. Ce dispositif assurera donc la rémunération équitable des auteurs, de leurs ayants droit et des éditeurs.

En outre, il est de notre devoir de législateur de nous assurer que cette proposition de loi reste bien conforme à l'acquis communautaire. En effet, cette numérisation se heurte notamment à la question des droits. Il s'agit donc d'un texte technique, aux problèmes juridiques complexes, mais qui dotera la France d'un outil unique, à condition que le respect du droit d'auteur ne soit pas destructeur de la culture et du patrimoine quand il ne sert pas des intérêts commerciaux.

Cette proposition de loi soulève également la question des oeuvres orphelines, dont les ayants droit ne peuvent être reconnus « introuvables » qu'au terme d'une recherche dite « diligente ». Or l'article 1er bis relatif à cette question a été supprimé en commission dans l'attente du vote de la directive européenne relative à ces oeuvres orphelines. Je souhaiterais donc insister tout particulièrement sur la nécessité de permettre d'exploiter gratuitement au bout de dix ans des titres pour lesquels aucun titulaire de droits autre que l'éditeur de l'ouvrage papier n'aura été retrouvé par la société de gestion collective créée à cet effet.

Cette disposition avait été initialement adoptée par le Sénat et je ne peux que regretter sa suppression en commission par le rapporteur, au prétexte qu'elle constituait une « exception aux droits d'auteurs ». Nous proposerons donc sa réintroduction par le biais d'amendements. En effet, nous le répétons, cette mesure ne crée pas une nouvelle exception aux droits d'auteurs. C'est bien la société de gestion collective qui exercera les droits patrimoniaux sur les ouvrages et délivrera une autorisation d'exploitation à titre gratuit et non exclusif, dans un cadre contractuel classique. Il ne s'agit donc en aucune façon de suspendre le principe de l'autorisation préalable.

Par ailleurs, l'article L. 122-7 du code de la propriété intellectuelle consacre déjà la possibilité de mise à disposition gratuite des oeuvres.

Enfin, cette disposition laisse à l'auteur ou à l'éditeur la liberté de se manifester au-delà même de ce délai de dix ans, afin de retrouver leurs droits d'exploitation exclusifs sur l'ouvrage. En amont de ce délai de dix ans, les titulaires ont également plusieurs autres occasions de faire valoir leurs droits.

Il ne s'agit donc que de prévoir une possibilité d'exploitation gratuite, non exclusive et réversible pour les ouvrages réellement constatés orphelins.

Le mécanisme d'exploitation gratuite des oeuvres orphelines de droits prévu par le Sénat ménageait donc un équilibre entre la nécessaire protection des droits des titulaires et l'intérêt d'une diffusion publique et gratuite des oeuvres orphelines. Ce principe d'exploitation gratuite figure d'ailleurs également dans la proposition de directive européenne sur les oeuvres orphelines, dont nous attendons le vote avec impatience.

Grâce à cet outil législatif, les bibliothèques pourraient jouer pleinement leur rôle pour remettre en circulation des ouvrages orphelins en les numérisant, tout cela au bénéfice du public, c'est-à-dire du plus grand nombre de lecteurs. Car par cette disposition, c'est bien le développement de la lecture publique que nous défendons.

Face à l'emprise des acteurs privés que nous avons évoquée en commission, et que le rapporteur nous a rappelée, le législateur devait réagir en permettant l'accès de tous aux oeuvres littéraires. C'est pourquoi nous avons approuvé l'accord-cadre signé le 1er février 2011 par le ministre de la culture, le commissaire général à l'investissement, le président de la Bibliothèque nationale de France, le président du syndicat national de l'édition et le président de la Société des gens de lettres, afin que puissent être exploités sous forme numérique les quelque 500 000 ouvrages du XXe siècle dont j'ai parlé au début de mon propos.

Toutefois, je ne peux que regretter le choix de la procédure accélérée pour ce texte, qui est certes important, nous l'avons démontré, mais qui ne comportait aucun caractère d'urgence. Tel est donc le sens des amendements déposés par le groupe socialiste que nous examinerons au cours de la discussion.

Cependant, cette proposition de loi nous semble être une avancée car elle a le mérite d'attirer l'attention sur les bibliothèques, et j'espère que nous reviendrons plus largement sur cette question lors de la prochaine législature. Voilà pourquoi le groupe SRC votera ce texte.

Car pour nous, socialistes, il s'agit bien de défendre la lecture publique et de soutenir l'action des bibliothèques, tout en restant vigilant sur le sort réservé aux auteurs, aux ayants droit et aux éditeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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