Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h45
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, cher Hervé Gaymard, mesdames et messieurs les députés, sous une apparence technique, la proposition de loi examinée ce matin revêt une importance culturelle et patrimoniale considérable puisqu'elle permettra de redonner vie, par une nouvelle exploitation numérique, à une grande partie de la production éditoriale française du XXe siècle devenue difficilement accessible.

Ce texte répond ainsi parfaitement aux objectifs poursuivis par le Gouvernement en matière de politique culturelle à l'ère numérique : développer une offre légale abondante de contenus culturels accessibles en ligne dans des conditions respectueuses du droit d'auteur, en saisissant les opportunités inédites de diffusion de la connaissance et de la création offertes par les nouvelles technologies, et encourager le développement durable du marché du livre numérique afin de répondre à la forte demande du public pour un accès à la culture sur internet.

Je me réjouis donc d'être aujourd'hui devant vous pour exprimer le plein soutien du Gouvernement à une proposition de loi qui me paraît, dans son principe, faire l'objet d'opinions convergentes et positives de la part des différentes sensibilités politiques de l'Assemblée : déposée en effet dans les mêmes termes par M. Jacques Legendre au Sénat et M. Hervé Gaymard à l'Assemblée nationale – Hervé Gaymard dont je tiens à saluer le travail une nouvelle fois si approfondi et si efficace, comme son intervention vient de le montrer à nouveau –, elle a été adoptée par le Sénat en première lecture dans un esprit de conciliation et d'ouverture que je tiens à saluer.

Je retrouve dans vos débats et travaux le même esprit positif qui a présidé depuis deux ans, de manière remarquable, aux discussions entre auteurs et éditeurs et qui explique que ce texte est aujourd'hui consensuel entre ces parties et surtout très attendu.

Vous l'avez compris, le Gouvernement est en complet accord avec la philosophie générale de cette proposition de loi qui place les acteurs de la création au premier plan de la valorisation et de l'exploitation numérique de leurs oeuvres.

J'aimerais centrer mon propos aujourd'hui sur quelques points qui sont apparus récemment dans le débat et qui concernent le champ de cette proposition de loi ainsi que la place des bibliothèques dans la valorisation des livres indisponibles.

Tout d'abord, il convient de souligner que, grâce à la mise en place d'une gestion collective pour les droits numériques de ce corpus, qui comprend entre 500 000 et 700 000 titres, c'est une partie importante de notre passé récent et de notre patrimoine qui sera ravivée et mise à la disposition du public.

Cet ensemble de livres indisponibles du XXe siècle sera susceptible d'avoir une double valorisation : titre par titre, d'abord, pour satisfaire la curiosité des lecteurs qui seront à la recherche de livres bien précis ; mais il pourra être diffusé sous la forme de corpus plus larges, généraux ou thématiques.

C'est la raison pour laquelle je suis convaincu que les bibliothèques auront naturellement vocation à jouer un rôle très important dans la diffusion de ces oeuvres. Cette proposition de loi constitue de ce fait une immense chance pour ces institutions de voir leur offre numérique décuplée.

Certes, actuellement, les modèles économiques s'inventent encore et les bibliothèques, à raison, voudraient voir fleurir d'autres propositions sur le numérique de la part des éditeurs. Je suis persuadé que la nouvelle vie ainsi conférée aux livres indisponibles constituera une incitation forte à l'égard des éditeurs pour explorer des modèles techniques et économiques pertinents et novateurs, ainsi qu'à l'égard des bibliothèques pour proposer des offres attractives, permettant ainsi les usages collectifs qui sont au coeur de leur mission.

Par ailleurs, l'association de la Bibliothèque nationale de France au projet industriel, avec sa large expérience et son savoir faire unique en matière de constitution de bibliothèque numérique, constitue une garantie technique que l'offre sera adéquate pour une diffusion du corpus par les bibliothèques.

J'ajoute que ce texte est plus favorable à la problématique propre des bibliothèques que l'approche aujourd'hui adoptée dans le cadre des travaux sur les oeuvres dites « orphelines ». Cette approche suppose en effet une démarche de recherche avérée et sérieuse titre par titre avant toute numérisation, incompatible avec un projet de numérisation de masse. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui favorisera un accès sans précédent à un corpus considérable de livres jusque-là introuvables.

L'intérêt bien compris des bibliothèques n'est donc pas de s'opposer au droit d'auteur, dont le présent texte illustre d'ailleurs la capacité d'adaptation, mais bien de soutenir toutes les initiatives qui leur permettront d'enrichir les ressources qu'elles mettent à la disposition de leurs lecteurs.

J'aimerais également revenir sur l'introduction par le Sénat d'une disposition spécifique pour les livres dont les auteurs ou leurs ayants droit n'auraient pu être identifiés ou localisés au terme d'une période de dix ans – il s'agit de l'article L. 134-8 nouveau.

Il convient de souligner que, d'une part, le texte prévoit déjà un certain nombre de délais qui ont pour objet d'apporter des garanties aux ayants droit, et ce à chaque étape du dispositif : lors de la mise en gestion collective des droits numériques des livres indisponibles et lors de la décision de procéder à leur exploitation commerciale sous format numérique avec la possibilité pour l'éditeur d'origine d'exercer, s'il le souhaite, un « droit de préférence ». Ces délais sont protecteurs des intérêts des ayants droit concernés.

D'autre part, au terme de ces délais, sauf avis contraire de l'auteur, il est toujours prévu qu'une nouvelle exploitation commerciale de l'oeuvre interviendra. De surcroît, dans tous les cas, cette exploitation donnera lieu à une rémunération des ayants droit.

À l'inverse, le compte à rebours de dix ans introduit par le Sénat à l'article L. 134-8 nouveau prévoit une confiscation des droits de l'auteur ainsi qu'une exploitation des livres indisponibles à titre gratuit. Ce nouvel article me semble aller à l'encontre de l'esprit de la proposition de loi qui, contrairement aux modèles fondés sur la gratuité de l'accès, opérant une rupture brutale avec le système d'autorisation prévu par la législation sur le droit d'auteur, entend en respecter les grands principes. Il importe que le texte que vous allez discuter aujourd'hui favorise l'exploitation normale de l'oeuvre dans le respect des intérêts légitimes des auteurs.

Certes, la gratuité est une idée généreuse. Elle me semble cependant avoir des effets pervers et redoutables, contraires qui plus est à l'objectif de ce texte, car ce compte à rebours ne serait pas de nature à encourager l'exploitation et la diffusion des oeuvres indisponibles par les acteurs économiques.

Je crois en revanche que le Sénat a posé les bases d'une réflexion intéressante sur le soutien à la lecture publique à travers une disposition relative au devenir des sommes dites « irrépartissables ». En effet, il est opportun, dans le cadre de cette gestion collective, de prévoir une utilisation de ces fonds qui bénéficie à la création tout en consacrant l'action indispensable des bibliothèques en faveur de la lecture publique. Reste que pour que cette logique porte ses fruits, il convient bien entendu de maintenir à tout moment le principe d'une exploitation commerciale des livres.

Enfin, je souhaite commenter les amendements déposés par certains d'entre vous visant à élargir le champ de la proposition de loi aux livres n'ayant pas fait l'objet d'un contrat d'édition. En effet, il me semble que cette extension du champ serait risquée à plusieurs égards.

Tout d'abord, la proposition de loi met en place une gestion collective pour les droits numériques des livres indisponibles du XXe siècle en vue de leur exploitation commerciale. À cette fin, la société de perception et de répartition des droits devra entretenir des relations commerciales avec les utilisateurs, percevoir des revenus en droits d'auteur, rechercher les bénéficiaires de ces droits et répartir les sommes. Tout ce travail, bien entendu, n'est pas gratuit. Pour le financer, la SPRD devra ponctionner une quote-part sur les droits d'auteur.

Ensuite, cette proposition de loi a été pensée et construite pour répondre à une situation particulière et circonscrite : celle des livres ayant donné lieu à un contrat d'édition et à une exploitation commerciale. L'ensemble des mécanismes prévus par la proposition de loi répond à cette situation particulière. Son champ, comme il a souvent été rappelé, est donc volontairement circonscrit.

En étendant ce mécanisme à d'autres publications, comme les ouvrages savants produits par les universités, on risque un double écueil. D'une part, le système prévu par la proposition de loi n'est pas adapté à la diffusion de ces ouvrages et leur intégration pourrait compromettre l'équilibre et les finalités de la proposition de loi. D'autre part, en intégrant ces ouvrages, on alourdirait considérablement les frais de gestion de la société de perception et de répartition des droits. Le financement de ces frais de gestion supplémentaires pèserait sur les droits des auteurs des livres ayant fait l'objet d'un contrat d'édition, puisqu'il est envisagé que les autres publications soient mises à la disposition du public gratuitement.

Ces publications gratuites, qui ont vocation à être diffusées librement sur Internet, bénéficieraient ainsi, au sein de la gestion collective, d'une logique de passager clandestin, au détriment de la rémunération des auteurs pour lesquels cette gestion collective était prévue. Il me semble que l'on ne peut pas envisager l'éventualité d'une réduction de la rémunération des ayants droit ni mettre en place un système de gestion collective structurellement déficitaire. Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l'extension du champ de la proposition de loi.

Mesdames, messieurs les députés, si l'Internet offre des perspectives inédites inouïes pour la diffusion des connaissances et de la création, le maintien et la promotion de la diversité culturelle sur les réseaux exigent, de la part des États, des efforts pour assurer la présence de corpus de textes variés dans des langues autres que l'anglais. La France a joué, en Europe, un rôle précurseur dans l'élaboration de politiques publiques de numérisation, fondées sur une intervention volontariste des États. Elle a alloué des fonds importants à des programmes de numérisation des imprimés du domaine public et des collections les plus contemporaines.

Grâce au dispositif examiné aujourd'hui – dispositif suivi de près par la Commission européenne –, nous accomplissons un nouveau pas décisif pour adapter le droit d'auteur, dans un contexte consensuel, au plein développement d'une économie numérique de la créativité et de l'innovation, pour ressusciter des pans entiers de notre savoir, de notre culture, de notre patrimoine.

Je souhaite donc que le dialogue constructif qui s'est engagé sur cette proposition entre les différentes sensibilités puisse aboutir à un texte d'équilibre, qui satisfasse aussi bien nos auteurs et éditeurs que nos concitoyens lecteurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion