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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 19 janvier 2012 à 9h45
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le ministre de la culture et de la communication, la législature qui s'achève aura été, à bien des égards, un tournant pour le livre et son avenir, qu'il s'agisse du livre papier ou de son avatar numérique, dont nul ne sait encore l'essor qu'il prendra ni les métamorphoses qu'il incarnera, et encore moins si l'outil, imperceptiblement, subjuguera cette parole intérieure qu'est l'écrit, au point de le faire muter, ou bien démultipliera seulement sa diffusion.

Dans ce domaine, le Parlement aura été particulièrement actif, dans un climat de consensus dont il faut se féliciter. Et il faut vous remercier pour votre implication sans faille en faveur du livre et de la lecture, ainsi que celle qui vous a précédé, Christine Albanel.

S'agissant du livre papier, avec l'évaluation dans le temps et dans l'espace que nous avons conduite en 2009 de la loi relative au prix unique du livre, votée à l'unanimité en juillet 1981, nous avons prouvé que cette loi était une loi de développement durable, culturelle, économique et territoriale. Elle continue de faire des émules, en Suisse, au Mexique. Et les remises en cause subreptices sont désormais écartées.

La proposition de loi que j'ai déposée, devenue la loi du 27 janvier 2010, adoptée également à l'unanimité, a permis au secteur du livre de déroger à la disposition de la loi de modernisation de l'économie sur la réduction des délais de paiement, qui, si elle avait été appliquée, aurait signifié la mort de près de la moitié des librairies françaises, alors même qu'elles avaient été sauvées par le prix unique.

Il nous reste à gagner le combat pour le maintien de la TVA à 5,5 %. Il s'en est fallu de peu à la fin de l'année dernière, à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative. Avec Christian Kert, nous redéposerons notre amendement à la faveur de la prochaine loi de finances rectificative, en février prochain.

Pour ce qui concerne le livre numérique, j'avais recommandé la vigilance ainsi que le pragmatisme dans notre choix de légiférer ou non car, dans ce domaine davantage encore que dans beaucoup d'autres, il convient de légiférer en tremblant.

Notre avons en effet suivi au jour le jour le procès Google contre la Ligue des auteurs aux États-Unis. Le Gouvernement français ainsi que les instances européennes ont pu prendre part à la procédure par le truchement de la disposition des amis de la Cour, amicus Curiae, pour faire valoir notre conception du droit d'auteur, foulé aux pieds par la numérisation sauvage.

Nous avons noté avec satisfaction les positions de la justice américaine, notamment du juge Chin. Et nous nous félicitons de l'issue de cette procédure, puisque Google a finalement renoncé à son projet initial.

Sur tous les enjeux de la numérisation de l'écrit, je déposerai, dans les prochaines semaines, avec notre collègue Michel Lefait, un rapport de la commission des affaires européennes, ainsi qu'une proposition de résolution.

Mais il ne suffit pas de faire barrage aux initiatives, quand elles sont dangereuses pour la rémunération de la création, encore faut-il nous donner les moyens de favoriser le développement du livre numérique, en cohérence avec notre conception du droit d'auteur.

C'est ainsi que ma proposition de loi, devenue la loi du 26 mai 2011 votée elle aussi à l'unanimité, dispose que le prix du fichier numérique est fixé par l'éditeur, comme pour le livre papier.

C'est ainsi que notre proposition de loi, devenue amendement à la loi de finances pour 2011, a disposé que le prix du fichier numérique serait également assujetti au taux réduit de TVA, comme pour le livre papier. Et il faut remercier Jacques Toubon pour la formidable ambassade qu'il conduit auprès de nos partenaires européens ainsi que vous, monsieur le ministre, pour votre vigilance constante sur ce sujet comme sur les autres.

Mais il nous est apparu indispensable, avec le sénateur Jacques Legendre, de légiférer sur les oeuvres indisponibles du xxe siècle. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

La disponibilité du livre au format numérique est désormais une réalité.

Pour les nouveautés, les titres sont aujourd'hui édités dans des formats électroniques natifs, permettant une commercialisation numérique. Pour le patrimoine, les bibliothèques publiques, la numérisation de leurs collections est un impératif et, partout dans le monde, se créent de vastes bibliothèques numériques, telle que Gallica pour la Bibliothèque nationale de France.

Pourtant, entre l'offre de véritables livres numériques, ou e-books, postérieurs pour l'essentiel aux années 2000, et les ressources des bibliothèques numériques, limitées aux titres du domaine public, la production éditoriale du xxe siècle, toujours protégée par le droit d'auteur, reste difficilement accessible au public.

En effet, pour des raisons de faible rentabilité économique, une grande partie des titres publiés au xxe siècle n'a pas été rééditée. Les titres sont épuisés sous forme imprimée, indisponibles dans le commerce, et ne sont plus accessibles que dans les bibliothèques. Dans ce contexte, la numérisation est le seul horizon envisageable pour faire renaître cet important corpus, mais elle n'est juridiquement pas possible, car la titularité des droits numériques est incertaine.

La raison en est que les éditeurs n'ont fait figurer des dispositions relatives à l'exploitation numérique dans les contrats qu'à partir de la fin du xxe siècle. Les droits numériques sur les oeuvres relativement anciennes sont revendiqués tant par les auteurs que par les éditeurs. Une campagne systématique d'adaptation de centaines de milliers de contrats anciens à la réalité digitale constituerait pour eux un travail difficile, disproportionné et peu rationnel du point de vue économique.

Hormis quelques titres au potentiel commercial réel, les modèles d'affaires sous-jacents à la réexploitation numérique de ces oeuvres sont ceux de la longue traîne, peu compatibles avec les coûts de transaction qu'entraînerait la mise à jour des contrats. Par conséquent, à l'heure actuelle, les éditeurs, acteurs naturels de la valorisation des oeuvres, ne peuvent pas envisager d'exploitation numérique marchande dans un environnement juridique sécurisé.

Quant aux bibliothèques, elles ne sont pas davantage titulaires des droits numériques sur ces oeuvres indisponibles. Certes, l'absence d'exploitation par les éditeurs peut les amener à le penser au nom de l'élargissement de la société de la connaissance. Elles estiment en avoir la légitimité en raison des efforts qu'elles ont déployés pour conserver les livres. Néanmoins, en l'état du droit, la reproduction numérique par les bibliothèques d'oeuvres protégées, sans qu'elles y soient autorisées, sauf à fin de conservation, constitue une contrefaçon quand bien même les dites oeuvres ne seraient plus exploitées par les ayants droit.

Cet état de fait est d'autant plus regrettable que le XXe siècle a été une période d'intense production éditoriale et que les oeuvres indisponibles peuvent être évaluées, en première analyse, à 500 000 titres, soit un corpus comparable à celui des livres aujourd'hui disponibles aux catalogues des éditeurs.

La situation est incompréhensible pour le lecteur puisqu'elle crée une discontinuité d'un siècle dans le corpus des livres disponibles au format numérique. C'est pourquoi elle a facilité les attaques contre le droit d'auteur, perçu comme une entrave au développement de la société de l'information.

Il importe de trouver des solutions juridiques et économiques innovantes au problème des oeuvres indisponibles, qui réconcilient les objectifs de la société de l'information et le droit d'auteur et montrent que ce dernier est suffisamment flexible pour être adapté, sans pour autant que ses fondements soient remis en cause.

Le mécanisme fondamental permettant de régler de manière consensuelle, entre auteurs et éditeurs, la question de la titularité des droits, est l'instauration d'une gestion collective des droits numériques sur les oeuvres indisponibles par une société de perception et de répartition des droits, la SPRD.

Ce mécanisme nécessite une modification du code de la propriété littéraire et artistique, objet de la présente proposition de loi, qui poursuit deux objectifs principaux.

Il s'agit tout d'abord d'éviter le trou noir que représente le XXe siècle pour la diffusion numérique des livres français, en permettant à des oeuvres devenues indisponibles, dont certaines très récentes, de trouver une nouvelle vie au bénéfice des lecteurs. Par là, la proposition vise à offrir les conditions du développement d'une offre légale abondante de livres numériques pour faire démarrer ce marché naissant.

La proposition vise ensuite à replacer les ayants droit au premier plan de la valorisation et de l'exploitation des oeuvres, en évitant toute nouvelle exception au droit d'auteur. Il s'agit de permettre aux auteurs et aux éditeurs de se réapproprier leurs droits, afin de les exploiter selon des modèles différents du commerce des nouveautés mais qui, grâce à l'internet et aux effets de longue traîne, peuvent trouver leur pertinence et leur équilibre.

Au moment où Google renonce, aux États-Unis, à l'accord transactionnel qu'il espérait conclure avec les ayants droit du monde entier pour faire valider la copie sans autorisation des oeuvres protégées conservées par les bibliothèques, la mise en oeuvre du présent texte ferait de la France le premier pays au monde à disposer d'un mécanisme moderne et efficace pour régler la question des oeuvres indisponibles, qui constitue aujourd'hui un obstacle majeur à la numérisation de notre patrimoine éditorial.

Un sujet important pour l'avenir n'est pas examiné dans ce texte : c'est celui des conditions économiques et juridiques de l'impression à la demande, débouché majeur de la disponibilité des fichiers numériques, libres de droits ou sous droits. C'est pourquoi je suggère qu'éditeurs, auteurs, libraires et imprimeurs se mettent ensemble au travail sur ce sujet capital, pour nous faire des propositions, si une intervention législative semble judicieuse.

Mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat, a pu être examinée d'abord par nos collègues sénateurs. Je vous proposerai de retenir un certain nombre d'utiles modifications introduites en première lecture. D'autres ne me semblent pas relever de la présente proposition de loi, et me semblent donc devoir être disjointes.

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