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Intervention de Philippe Vigier

Réunion du 18 janvier 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur :

Cette proposition de loi, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur, vise à doter notre pays, dans les meilleurs délais, d'une législation simple et efficace pour lutter contre une situation de plus en plus préoccupante, au sujet de laquelle certains n'ont pas hésité à parler de « fracture médicale » ou de « déserts médicaux ». Ces expressions fortes et imagées correspondent, de fait, au constat désormais largement partagé d'une offre de soins médicaux d'une grande hétérogénéité sur le territoire national.

Certes, le nombre des médecins demeure encore globalement élevé, et leur densité moyenne sur le territoire – 306,7 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants au 1er janvier 2011 – place la France dans les premiers rangs des pays de l'OCDE. Cependant, le problème n'est pas tant le nombre et la densité moyenne des médecins que leur répartition sur le territoire. Si certaines inégalités de répartition sont anciennes, on constate en effet, depuis quelques années, des difficultés particulières pour maintenir une présence médicale et une offre de proximité dans certains territoires, en particulier des territoires ruraux, caractérisés par l'isolement, ou des territoires périurbains, marqués par la détérioration du tissu économique et social et l'insécurité.

Ainsi, les études relatives à l'offre de soins au niveau local indiquent que les difficultés d'accessibilité aux soins primaires concernent aujourd'hui un pourcentage croissant de la population. Comme le souligne le professeur Yvon Berland, président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, « il est inacceptable pour cette population qui participe normalement au maintien du système de soins français d'être marginalisée ».

En outre, plusieurs éléments laissent entrevoir une baisse future de l'offre de soins et une croissance des besoins, ce qui risque, si rien n'est entrepris, d'amplifier encore les actuelles disparités locales. Ainsi, les territoires sous-médicalisés pourraient se multiplier sous les effets conjugués de la diminution des effectifs de médecins, de la baisse prévisible du temps médical disponible – conséquence des nouvelles aspirations des jeunes médecins et de la féminisation et du vieillissement de la profession – et, enfin, du vieillissement de la population.

Pour réguler l'offre de soins médicaux sur l'ensemble du territoire, les pouvoirs publics ont jusqu'à présent privilégié le recours à des aides financières. Les mesures incitatives, pour la plupart cumulables entre elles, sont multiples, qu'elles soient financées par l'État, les collectivités locales ou la sécurité sociale. Pourtant, la démographie médicale ne s'améliore pas, loin s'en faut. Les disparités géographiques vont même croissant. Ainsi, la part de la population résidant dans un bassin de vie dont la densité médicale est inférieure de 30 % à la médiane a sensiblement augmenté au cours de ces dernières années.

La désertification médicale n'est pourtant pas une fatalité. Il est temps de passer des discours aux actes, afin que tous les Français puissent enfin avoir, quel que soit l'endroit du territoire où ils se trouvent, un accès facile et équitable aux soins de proximité. Je note au passage que la possibilité de recourir à des mécanismes plus directifs semble s'installer progressivement dans le débat public. De nombreuses institutions – Académie de médecine, Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie et Cour des comptes, par exemple – estiment que la politique de moindre contrainte menée jusqu'à présent est insuffisante pour relever le défi des déserts médicaux et envisagent désormais d'autres types de mesures, plus directives.

Le présent texte s'inscrit directement dans le prolongement de plusieurs initiatives, issues de familles politiques diverses, qui ont toutes souligné la nécessité de lutter plus drastiquement contre la désertification médicale et d'améliorer l'accès aux soins. Je pense, par exemple, à la proposition de loi de février 2011 de Jean-Marc Ayrault pour l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir, ou à la proposition de résolution d'octobre 2011 contre la désertification médicale et pour l'accès de tous à des soins de proximité, déposée par une collègue de la majorité.

Je note également que le parti socialiste plaide, dans son programme officiel – engagement n° 22 – pour que les diplômés de médecine exercent pendant quelques années dans une zone sous-dense à l'issue de leurs études. Cette mesure correspond au dispositif prévu à l'article 4 de la proposition de loi. Certes, sur ce point, M. Hollande s'est démarqué de son parti le 5 octobre 2010 ; toutefois, il s'est déclaré prêt à « interdire certaines installations » dans les zones trop pourvues en médecins, ce qui rejoint l'esprit de l'article 5. Je m'étonne donc, sans esprit polémique, qu'aucun membre du groupe SRC n'ait signé cette proposition de loi, comme l'on fait près de soixante collègues de la majorité, qu'ils appartiennent à l'UMP ou au Nouveau Centre.

Notre texte s'articule autour de quatre mesures simples mais efficaces, destinées à lutter contre la désertification médicale et à améliorer le maillage territorial d'offre de soins. Par son article 1er, il rationalise la gestion territoriale des flux de formation en renforçant le caractère obligatoire de la prise en compte des besoins de santé dans la fixation du numerus clausus et en réaffirmant, avec force contraignante, la nécessité que sa fixation et sa répartition contribuent pleinement à la résorption des inégalités en matière d'accès aux soins.

L'article 3, quant à lui, propose de remplacer, dans chaque région, les épreuves nationales classantes, qui ont montré leurs limites, par un concours d'internat ouvert aux seuls étudiants ayant validé leur deuxième cycle d'études médicales dans la même région. Il s'agit de faire obstacle à la propension de nombre de jeunes médecins à quitter la région dans laquelle ils ont effectué leur internat, propension qui limite fortement l'efficacité de la gestion territoriale des flux de formation.

La proposition de loi vise en deuxième lieu à obliger tous les étudiants en médecine à effectuer, au cours de leurs années d'internat, un stage pratique d'au moins un an – contre six mois actuellement – dans une maison de santé pluridisciplinaire ou un établissement de santé situé au sein d'un territoire qui accuse un déficit en matière d'offre de soins.

Elle prévoit également, dans son article 4, qu'à l'issue de leur formation, tous ceux qui se destinent à la médecine libérale devront exercer leur art pendant trois ans dans un territoire sous-doté. Pour mémoire, l'âge moyen d'installation d'un généraliste est d'un peu plus de 39 ans, quand l'âge moyen de sortie des études de médecine est de 28,7 ans.

Cette disposition, qui amoindrit quelque peu – mais de façon très limitée dans le temps –, le caractère absolu du principe de la liberté d'installation des médecins, vise à opérer, au nom de l'intérêt général, une conciliation entre les principes fondamentaux de l'exercice traditionnel de la médecine libérale française et le principe constitutionnel selon lequel « la Nation [...] garantit à tous [...] la protection de la santé ». Cette mesure peut être présentée comme la contrepartie des efforts importants déjà consentis par les pouvoirs publics pour améliorer la formation et les conditions d'exercice des médecins. Je vous proposerai toutefois un amendement tendant à n'appliquer cette mesure plus directive qu'en dernier ressort, conformément aux préconisations de l'Académie nationale de médecine.

Enfin, la proposition de loi met en place un dispositif d'autorisation d'installation pour l'exercice conventionné de la profession de médecin sur la base de critères de démographie médicale, et l'étend à d'autres professionnels de santé.

En prévoyant le « déconventionnement » des médecins qui passeraient outre un refus, par l'agence régionale de santé, d'installation dans un territoire déjà surdoté, l'article 5 ne remet pas en cause le caractère libéral de la médecine auquel sont légitimement attachés les médecins, puisqu'il sera toujours possible au médecin concerné de s'installer dans ledit territoire. Cette mesure de régulation se borne donc à ajuster l'effort financier de la collectivité aux besoins des Français.

Les mesures strictement coercitives ne sont jamais une bonne solution, comme le rappelait justement le Président de la République dans son intervention à Orbec, le 1er décembre 2010. Aussi celles que je propose sont-elles de simples mesures de régulation territoriale, au nom de l'intérêt général : elles visent à limiter les installations dans des territoires déjà surdotés, et eux seuls.

Certains professionnels de santé, d'ailleurs, s'y sont déjà engagés par voie conventionnelle. Je pense notamment aux infirmiers, qui viennent d'être rejoints dans cette démarche par les masseurs-kinésithérapeutes. Les infirmiers, par l'avenant n° 1 à la convention nationale, approuvé par un arrêté du 17 octobre 2008, ont en effet mis en place un dispositif de régulation du nombre de leurs praticiens conventionnés dans les zones surdotées, qui impose comme condition préalable à tout nouveau conventionnement dans une telle zone le départ, dans la même zone, d'un infirmier déjà conventionné.

Un tel dispositif, chers collègues de l'UMP, n'est pas nécessairement iconoclaste. À propos des soins de ville, le Président de la République lui-même a déclaré, le 18 septembre 2007, dans un discours prononcé au Sénat à l'occasion du quarantième anniversaire de l'Association des journalistes de l'information sociale : « En matière de démographie médicale, il faut au minimum » – j'insiste sur ce terme – « s'inspirer des négociations entre l'assurance-maladie et les infirmières, ces dernières ayant accepté de ne pas s'installer dans les zones où les professionnels sont trop nombreux. Là, il va falloir faire la même chose. »

Le dispositif d'autorisation relatif aux installations est pleinement cohérent avec le rôle que le législateur a confié aux agences régionales de santé s'agissant d'une répartition plus harmonieuse de l'offre de soins. Il existe déjà, d'ailleurs, pour les établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés, et il est bien plus souple que les mesures contraignantes déjà applicables aux autres professions, comme celle des pharmaciens – ces derniers étant soumis à des règles géo-démographiques strictes.

Comme vous le voyez, cette proposition de loi novatrice s'inscrit dans le droit-fil de la loi du 21 juillet 2009 « HPST », dont le titre II s'intitule : « Accès de tous à des soins de qualité ». Elle est enfin de nature à apporter une réponse adaptée au problème de la désertification médicale et à assurer à nos concitoyens une couverture médicale du territoire à la hauteur de leurs attentes.

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