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Intervention de Jean-Luc Reitzer

Réunion du 17 janvier 2012 à 16h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Reitzer, rapporteur :

Jusqu'à aujourd'hui, l'essentiel de notre réseau d'accords bilatéraux d'entraide judiciaire en Afrique subsaharienne concerne des pays francophones, mis à part l'Afrique du sud. En la matière, la France n'est liée par aucun dispositif avec le Nigeria. Le texte qui nous est présenté est donc intéressant pour cette raison. Il vient compléter les dispositions du partenariat stratégique qui nous lie depuis juin 2008 avec ce très grand pays africain, avec lequel nous entretenons d'excellentes relations.

La situation intérieure du Nigeria n'a jamais été sereine : depuis son accession à l'indépendance en 1960, il a connu quatre républiques et dix coups d'Etat. L'instauration de la démocratie, depuis la fin des années 1990, est difficile dans ce pays : l'élection présidentielle en 2007, qui associait pourtant le Nord et Sud, avait été entachée de multiples fraudes et de graves violences. Le Nigeria fait face à des tensions communautaires chroniques, autour de la question de l'équilibre entre le Nord, majoritairement musulman et en déclin économique, et le Sud, majoritairement chrétien, qui fournit l'essentiel des ressources du pays. Les violences sont récurrentes et meurtrières, et les affrontements ethnico-religieux se répètent : novembre 2008, juillet 2009, janvier 2010 ou au printemps 2011. Elles sont renforcées par la montée des fondamentalismes contestataires. Le Président actuel, investi en mai 2010 suite au décès de son prédécesseur, a été réélu en avril 2011, lors d'un scrutin cette fois-ci considéré comme globalement libre et transparent malgré les quelque 500 à 800 morts que l'on a déplorés lors des violences post-électorales.

On relève aussi depuis longtemps une forte insécurité dans la zone du delta du Niger, qui se traduit par du vol de pétrole à grande échelle sur les oléoducs, des actes de piraterie, de multiples prises d'otages, des sabotages contre les installations pétrolières. Ce pays qui pourrait produire 3 millions de barils par jour, n'en produit que 1,8 million pour ces raisons.

Vous avez vu également que les communautés chrétiennes sont particulièrement visées ces jours-ci par les actes de terrorisme : un attentat contre une église chrétienne a fait 35 morts le jour de Noël près d'Abuja, d'autres ont suivi après l'expiration de l'ultimatum des terroristes qui avaient donné trois jours aux chrétiens pour quitter le nord du pays. Cette violence aveugle est porteuse d'un risque de généralisation, d'escalade.

Au-delà de ces aspects dramatiques, le Nigeria est aussi un pays dont les maux sont nombreux : clientélisme, situation précaire des droits de l'Homme, faiblesse de l'Etat de droit, corruption généralisée, violence de la police, elle-même corrompue, tout comme la justice, tortures et disparitions forcées. La période actuelle est en outre marquée par un très fort regain de tension sociale. Les prix à la pompe ont augmenté de plus de 220 % le 1er janvier dernier, suite à l'arrêt brutal des subventions étatiques, et une grève générale a paralysé le pays durant quelques jours.

Pourquoi travailler dans ces conditions, avec un pays comme le Nigeria ? Parce que, malgré ce tableau sombre, le Nigeria est un pays qui pèse d'un poids exceptionnel dans la région. C'est un géant démographique – d'ores et déjà le pays le plus peuplé du continent, 160 millions d'habitants et, d'ici à 2050, 400 millions, voire plus. C'est un géant économique aussi – la deuxième puissance du continent –, et une grande puissance diplomatique qui joue un rôle important, notamment de médiateur dans les questions régionales ces dernières années comme au sein de l'Union africaine.

Il faut tout d'abord rappeler que nous y avons une présence économique importante : plus de 100 entreprises françaises sont implantées. Total bien sûr, mais aussi Michelin, Lafarge, Peugeot, Areva, Schneider, Alcatel, Sagem, Eiffage, etc. Nous avons des échanges commerciaux supérieurs à 4 milliards d'euros et le Nigeria est depuis 2006 notre premier partenaire en Afrique subsaharienne, puisqu'il représente à lui seul près du quart de nos échanges avec cette région.

Nos relations sont aussi politiques. Elle se sont traduites par la signature du partenariat stratégique que j'évoquais et par un dialogue soutenu, comme en témoignent les nombreuses visites bilatérales. La dernière est celle d'Alain Juppé, en novembre dernier, suivie par celle du Président nigérian quelques jours plus tard. Les axes de coopération sont nombreux. Ils sont définis dans le texte du partenariat auquel je vous renvoie. L'accord qui nous est soumis en est une des déclinaisons : la coopération judiciaire figure en effet au rang des axes de travail à privilégier, notamment dans les domaines de la lutte contre la criminalité organisée, la traite des êtres humains, le trafic de drogue et la criminalité économique et financière, ainsi que pour faciliter le traitement des commissions rogatoires internationales.

Nos échanges en matière d'entraide judiciaire sont faibles. Ils portent notamment sur des faits d'atteintes aux personnes ou aux biens, ou encore de blanchiment de capitaux, tant en ce qui concerne la France que le Nigeria. Au demeurant, c'est une coopération qui fonctionne assez mal pour diverses raisons, qui tiennent notamment à la complexité et à la désorganisation, du système judiciaire nigérian qui manque de moyens. L'on retrouve cette situation dans de nombreux pays africains.

Cet accord vise par conséquent à instituer un protocole de transmission et de communication à travers la désignation d'autorités centrales. Cette convention est opportune car elle va permettre de surmonter certains obstacles. D'une part, par la pratique des relances systématiques en cas de retard dans l'exécution ou d'absence d'exécution des mandats judiciaires et, d'autre part, par l'obligation faite à l'Etat requis de motiver ses refus de coopération. Elle va aussi fournir un fondement solide aux demandes de déplacement de magistrats et enquêteurs qui pourront ainsi, sur les territoires concernés, assister à l'exécution des mandats judiciaires transmis aux autorités du pays requis.

Si l'on entre dans le détail du texte, il vise à renforcer la coopération entre les deux pays et à améliorer l'efficacité de leurs autorités judiciaires compétentes « afin de protéger leurs sociétés démocratiques respectives et leurs valeurs communes ». Les deux partenaires reconnaissent l'importance particulière de lutter contre les activités criminelles graves, y compris la corruption, le blanchiment d'argent, le trafic illicite d'armes à feu, de munitions et d'explosifs, le terrorisme et son financement.

L'article 1er prévoit que les Parties s'accordent mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible dans les enquêtes ou procédures visant des infractions pénales, les motifs de refus valables étant précisément définis à l'article 4 (atteintes à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiel et infraction politique, notamment).

L'article 5 traite de la forme et du contenu des demandes. L'article 6 pose une double exigence de célérité dans l'exécution des demandes et de communication en cas de difficultés d'accomplissement dans les délais impartis, et précise que l'autorité compétente de la partie requise fait tout ce qui est en son pouvoir pour exécuter la demande sans tarder. L'autorité requise peut surseoir à l'exécution de la demande ou la subordonner à des conditions jugées nécessaires après consultation de la partie requérante, si elle estime que sa mise en oeuvre gênerait une procédure en cours ou porterait atteinte à la sécurité des personnes sur son territoire.

L'article 7 est relatif à la transmission d'informations spontanées, qui pourraient notamment aider la partie bénéficiaire à engager ou à mener une enquête ou une procédure. Les articles 8, 9, 10 portent sur des questions plus procédurales : inutilité des certifications des documents transmis ; fourniture de copies des dossiers accessibles au public et non accessible au public ; prise en charge des frais. La restitution des documents et objets transmis devant être faite « dès que possible » selon l'article 17. L'article 11 prévoit la confidentialité des informations, qui ne peuvent être utilisées sans l'accord préalable de la partie requise à des fins autres que la procédure mentionnée dans la demande. Il faut préciser que le Nigeria ne dispose pas d'une législation suffisamment protectrice en matière de données à caractère personnel selon la CNIL, et les échanges porteront sur des données autres que celles-ci. Selon l'article 12, une personne qui allègue d'une immunité, d'un privilège ou d'une incapacité, n'est pas exonérée de témoignage si elle requise pour le faire. L'article 14 organise les modalités de transfèrement de personnes détenues aux fins d'entraide, dans la mesure où leur présence sur le territoire de l'autre Partie serait susceptible de fournir une aide en vertu de l'accord si ces personnes et les autorités centrales des deux Parties y consentent. Les articles 18 et 19 traitent de l'aide dans le cadre de procédure de confiscation et restitutions d'avoirs.

Voilà rapidement présentées les principales dispositions de cette convention, qui permettra d'améliorer concrètement une coopération judiciaire qui a du mal à fonctionner de manière efficace jusqu'à aujourd'hui pour les raisons que je vous ai indiquées. Je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi qui ajoute une pierre à notre relation bilatérale déjà fort dense avec le Nigeria.

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