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Intervention de Didier Quentin

Réunion du 10 janvier 2012 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, co-rapporteur :

Le pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté par le Conseil européen le 17 octobre 2008, sous présidence française de l'Union, demande que soient présentées des propositions en vue d'instaurer, dès 2012, une procédure d'asile unique comportant notamment des garanties communes. Des propositions de refonte des directive « accueil » et « procédures » avaient été déposées respectivement en décembre 2008 (E 4169) et octobre 2009 (E 4872). Face au blocage des négociations au Conseil, la Commission européenne a déposé deux propositions de refonte modifiées le 7 juin 2011 (E 6362 etE 6363).

Il convient d'examiner en premier lieu la proposition de réforme de la directive « procédures » et de faire un point sur la seconde proposition de directive « accueil ».

S'agissant de la refonte de la directive « procédures », qui est source de réelles difficultés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a soutenu les avancées prévues par la proposition de 2009, et a notamment souligné l'urgence de supprimer les restrictions à l'entretien individuel, de former les personnels recevant les demandeurs d'asile, de limiter autant que possible le champ d'application des procédures accélérées et de lutter contre la mauvaise application du concept de pays d'origine sûr.

Une contribution conjointe de la France et de l'Allemagne, datant du 13 septembre 2010, a mis en avant les grandes difficultés posées par le texte. La France et l'Allemagne, soit deux des trois premiers Etats destinataires de la demande d'asile mondiale, ont enregistré depuis plusieurs années une hausse soutenue du nombre de demandes d'asile. Les deux Etats ont rappelé l'objectif majeur de soutenabilité des dispositifs, dans le plein respect des droits de demandeurs d'asile. Les règles posées doivent être effectives et le dispositif équilibré.

La Commission européenne a ensuite présenté sa proposition modifiée le 7 juin 2011 (E 6362), afin de tenir compte des débats engagés en 2010 et d'intensifier les travaux en vue d'aboutir à un accord plus rapide. Une contribution commune des délégations allemande, française et du Royaume-Uni concernant les propositions de directive relatives à l'asile, en date du 27 juin 2011, a notamment demandé, s'agissant de la directive « procédures » :

- des dispositions plus larges autorisant l'application de procédures accélérées;

- des dispositions claires permettant de gérer efficacement les demandes multiples;

- des dispositions relatives à l'assistance juridique gratuite équilibrées;

- des dispositions en matière de recours qui concilient les exigences de la jurisprudence de la CEDH et la nécessité de disposer de procédures rapides et efficaces à l'égard des détournements du droit d'asile ;

- des dispositions équilibrées s'agissant des garanties apportées aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs non accompagnés.

L'objectif de parvenir à un accord en 2012 demeure d'actualité. Toutefois, les négociations au Conseil autour de la refonte de la directive « procédures » suscitent encore de réelles difficultés. La proposition initiale de la Commission européenne tendait à remettre en cause la procédure d'asile à la frontière, telle qu'elle existe en France. En l'état actuel des négociations, la procédure d'asile à la frontière pourrait être maintenue (articles 4 et 43), ce qui constitue une avancée.

La réforme des règles encadrant l'entretien individuel est l'un des principaux enjeux de la réforme. En France, un entretien individuel est mené par l'OFPRA, hormis dans certains cas, encadrés. L'article 14 limiterait les possibilités de déroger au principe d'un entretien individuel. Les autorités françaises souhaitent que la dispense d'entretien puisse continuer à être appliquée lorsqu'une demande est manifestement infondée.

La proposition de directive prévoit que les Etats membres autorisent le demandeur à se présenter à l'entretien personnel accompagné de son conseil juridique ou d'un autre conseiller reconnu ou autorisé en vertu du droit national. Cette disposition apparaît très problématique aux autorités françaises. Il convient de rappeler le caractère confidentiel de l'entretien individuel. En ce qui concerne la présence de l'avocat, il est probable que celle-ci générera de réelles difficultés de gestion si les possibilités d'intervention de l'avocat au cours de l'entretien sont larges, ce qui conduirait nécessairement à allonger le temps de l'entretien. L'OFPRA rappelle l'exigence de son contrat d'objectifs et de moyens.

L'assistance juridictionnelle gratuite devrait être accordée sur demande dans le cadre des procédures de recours juridictionnel. Une assistance judiciaire gratuite pourrait également être fournie dans le cadre des procédures de premier ressort. Les restrictions à l'accès à l'aide judiciaire gratuite seraient plus limitées. Les autorités françaises sont défavorables à ce que soit prévue une aide juridictionnelle gratuite pour les recours relatifs à des demandes de réexamen si le requérant a déjà été entendu et a bénéficié de l'assistance d'un avocat.

La proposition de directive prévoit la mise en oeuvre de garanties spéciales pour les personnes vulnérables. Le caractère trop vague des prescriptions proposées doit être souligné et l'ajout de précisions est souhaité notamment par la délégation française, afin d'indiquer que le demandeur doit alors émettre une demande motivée, que la procédure ne doit pas être discriminatoire à l'encontre des autres demandeurs d'asile et qu'il ne doit pas exister d'impossibilité en termes de moyens.

S'agissant des mineurs isolés, la Commission européenne propose notamment que l'examen d'une demande d'asile présentée par un mineur isolé ne puisse pas être soumise à une procédure accélérée ni examinée dans le cadre de la procédure d'asile à la frontière. Les autorités françaises sont opposées à ces dispositions.

Le droit européen actuel prévoit que les Etats membres peuvent établir une liste commune de pays d'origine sûrs. Les Etats membres ne se sont jamais accordés sur une telle liste. Les Etats membres ont, au plan national, une utilisation très variable de cette notion, ce qui est régulièrement dénoncé par les ONG. En France, la notion a été introduite par la loi du 10 décembre 2003. La liste des pays d'origine sûrs comprend actuellement 20 pays. Les ressortissants de pays d'origine sûrs voient leur demande instruite par l'OFPRA dans le cadre de la procédure prioritaire et leur recours éventuel devant la Cour nationale du droit d'asile n'a alors pas de caractère suspensif. Devant l'impossibilité d'établir une liste au niveau européen, la liste commune des pays d'origine sûrs serait supprimée mais des critères communs seraient établis par la directive pour l'établissement des listes au niveau national.

En ce qui concerne les procédures accélérées, les autorités françaises souhaitent que, comme l'a prévu de la loi du 16 juin 2011, la proposition permette aux Etats membres d'examiner en procédure accélérée la demande d'un demandeur qui se refuse à donner ses empreintes digitales, et que la procédure accélérée puisse continuer à être appliquée à un mineur isolé ainsi que dès la première demande de réexamen.

Enfin, la Commission européenne propose de généraliser le caractère suspensif du recours, ce qui constitue une difficulté puisque le recours devant la CNDA dans le cadre des procédures prioritaires n'est pas suspensif. Il convient à cet égard de souligner qu'un recours I.M. contre France a été introduit devant la Cour européenne des droits de l'homme.

S'agissant de la refonte de la directive « accueil », qui demeure très discutée, du point de vue des autorités françaises, le fait que l'accès au marché du travail doive être effectif après un délai de six mois demeure problématique et risque d'ajouter un nouvel élément d'attractivité à la procédure d'asile. Le texte présenté quant au niveau des prestations sociales demeure de nature à favoriser les demandes d'asile abusives et pèserait sur les Etats membres les plus généreux. L'encadrement du placement en zone d'attente des mineurs isolés dans le cadre de la procédure d'asile à la frontière n'est pas satisfaisant, la spécificité de l'asile à la frontière devant être maintenue. Enfin, la France s'oppose à la suppression de la restriction des conditions d'accueil pour les demandeurs d'asiles qui n'ont pas déposé leur demande dans un délai raisonnable après leur arrivée.

En conclusion, la nécessité de parvenir à une plus grande harmonisation dans les législations nationales est criante. Toutefois, plusieurs points de divergence majeurs existent encore. La négociation avec le Parlement européen risque également d'être complexe. L'objectif de parvenir à un accord en 2012 est ambitieux. La présidence danoise, qui précédera la présidence chypriote de l'Union, s'est engagée à faire avancer les négociations.

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