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Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 11 janvier 2012 à 21h30
Exécution des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarylise Lebranchu :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, je voudrais faire quelques remarques générales sur ce texte.

Ce texte, monsieur le garde des sceaux, me donne à penser que vous êtes pessimiste, ou que votre majorité l'est. Depuis dix ans, et notamment ces cinq dernières années, nous faisons beaucoup de textes de loi, et voilà que nous parlons à nouveau de notre système pénitentiaire qui ne serait pas adapté et qui – il est vrai – souffre d'une mauvaise exécution des peines. Or je ne suis pas certaine que la création de places supplémentaires suffise à régler le problème.

Cela étant, il y a de bonnes choses dans ce texte lorsqu'il traite de psychiatrie, d'accompagnement et d'éducateurs. J'ai eu le grand honneur d'être ministre de la justice ; lorsque je suis partie, il n'y avait pas assez d'éducateurs – non plus que de surveillants, sans doute, mais surtout nous étions en dessous des effectifs nécessaires en matière d'accompagnement : je pense aux SPIP – les services pénitentiaires d'insertion et de probation – ainsi qu'à tout autre type d'accompagnement. Aussi, je donne acte aux gouvernements qui ont suivi d'avoir, en partie, répondu à ce manque.

Aujourd'hui, je voudrais revenir sur l'image que nous avons de notre pays. Je respecte les membres du Gouvernement et la majorité. Il ne me viendrait jamais à l'idée, par exemple, de leur imputer les quarante-six assassinats qui ont eu lieu à Marseille en une année. La faute n'en revient pas au seul Gouvernement. En revanche, s'agissant de la délinquance organisée qui allie trafics, corruption et blanchiment, il y a un énorme manque de moyens pour traquer et punir les coupables.

Nous savons, depuis le travail remarquable mené par une magistrate dans les années 2000, que ces bandes organisées recrutent des jeunes et que, lorsque l'un d'entre eux – je parle de jeunes majeurs – va en prison, sa famille reçoit de la part de ces bandes une sorte d'indemnité. Nous devrions donc nous interroger, au-delà de ce texte, sur les moyens nécessaires pour lutter contre la grande criminalité, car le problème ne sera pas réglé par la création de places de prisons supplémentaires, en particulier dans le sud de la France.

Si je dis que vous êtes pessimistes, c'est parce que je n'ai pas l'impression que le gouvernement et la majorité croient en l'importance de l'apport de l'éducation, de la culture et de l'espérance qui font un chemin de vie. Certains ont l'impression que ce chemin est plein de barbelés : les barbelés du mal-vivre, du mal-logement, du mal-savoir, du mal-espérer… J'ai souvent eu l'impression, au cours de nos discussions, que la prévention qui consiste à conduire une société vers un peu plus d'école, de culture, d'espoir, et peut-être d'espérance, serait bienvenue. Malheureusement, aujourd'hui, je n'ai pas cette certitude.

Je vous trouve pessimistes, aussi parce que 80 000 places de prison, cela signifie presque 80 000 victimes. Si vous souhaitez atteindre cet objectif de 80 000 places, c'est que, collectivement, vous n'espérez pas avoir besoin de moins de places dans quelques années – ce qui rejoint ce que je viens de dire sur l'éducation, l'école, la culture, l'espoir et peut-être l'espérance. Vous figez la société dans son état actuel, qui est mauvais, sans vous accrocher à ce qui pourrait faire qu'un jour, ces 80 000 places ne seraient pas occupées.

Je vous trouve pessimistes aussi parce que confier la construction et la gestion de ces 80 000 places à un partenariat public-privé, c'est s'engager à ce que les places soient « remplies » puisqu'il faudra bien rémunérer les propriétaires des prisons. Je reste persuadée que l'on cache la dette avec le partenariat public-privé et qu'il vaudrait mieux que nous soyons le maître d'oeuvre, car, qui sait, dans deux, trois, quatre ou cinq ans, nous aurons peut-être besoin de moins de places et d'un autre type de structure.

Je vous trouve pessimistes, enfin, parce que 80 000 places de prison, cela veut dire 15 000 surveillants de plus. Or je ne suis pas certaine que vous ayez d'ores et déjà le budget pour les former – ce qui demandera deux à trois ans.

Cette erreur budgétaire que vous commettez en optant pour le partenariat public-privé, entraîne une surdépense et, nous le savons tous, vous comme moi, ce sont des moyens de fonctionnement en moins, et donc, moins de recours à des personnels. Or j'ai l'impression – ce n'est pas une intime conviction, car je ne me permettrais pas d'en faire état ici – d'avoir en face de moi des personnels fatigués, lorsque je me rends – trop rarement désormais – dans des établissements pénitentiaires. Ils sont fatigués de ne pas être reconnus, et ce depuis longtemps. Ils l'étaient déjà lorsque nous étions en responsabilité. Ils sont fatigués de ne pouvoir contribuer à ce qui fait la beauté de leur métier : s'accrocher à la lutte contre la récidive, engager le dialogue, construire des projets de quartier avec des personnels venant de l'extérieur, avec des psychologues, des psychiatres ou des éducateurs. Ils sont fatigués et ils sont à la peine, comme l'a souligné hier Jean-Jacques Urvoas, car ils ne peuvent pas asseoir leur autorité sur ce qui fait leur compétence, c'est-à-dire la lutte contre la récidive, l'accompagnement et la préparation à la sortie de prison. Ils sont à la peine au point, leur autorité n'étant pas assise sur leur métier, d'asseoir une autorité factice sur la fouille à corps.

Sachant qu'un deuxième syndicat réclame cette possibilité de fouille à corps, monsieur le garde des sceaux, je m'inquiète pour ces personnels, car je sais que l'on ne demande pas d'asseoir son autorité sur les fouilles à corps lorsqu'on espère de son métier qu'il permettra certes d'appliquer la peine prononcée et d'être le gardien de la société, mais aussi de permettre au détenu de s'en sortir, ou de s'en sortir mieux.

Ces personnels sont fatigués parce qu'ils ont en face d'eux des détenus qui ont perdu le sens de la peine, ce qui dû à l'absence d'encadrement et aussi au manque de rapidité d'exécution de la peine – sur ce point, monsieur le garde des sceaux, vous avez raison. Mais l'absence de peines autres que la privation de liberté, laquelle devrait rester l'ultime recours, fait que le sens de la peine est souvent perdu. Et quand le sens de la peine est perdu, on passe son temps en centre pénitentiaire et l'on démoralise les personnels. Lorsque les personnels ont en face d'eux des détenus qui ne font que passer le temps en attendant de sortir, il y a peu de chances que ces derniers trouvent facilement le chemin de la réinsertion.

Nous aurions dû depuis longtemps travailler à nouveau sur le sens de la peine. De bonnes choses ont été faites, je l'ai dit au début de mon intervention. La création du contrôleur général des prisons est une bonne chose, mais ce n'est pas suffisant. Nous n'avons pas avancé sur ce qu'est une sanction appropriée. Il faudra revenir sur les peines plancher – c'est ma conviction profonde – parce que la discussion avec un magistrat, avec un juge d'application des peines, avec un environnement favorable, c'est l'assurance de prendre le chemin d'une vie sans récidive. C'est donc une assurance pour la société.

J'ai parlé d'erreur budgétaire et de pessimisme. Je suis persuadée que la société tout entière ne s'intéresse pas suffisamment à ses prisons, lesquelles restent la honte de la République. De la même façon, nous n'avons pas su apprécier la prévention de la maladie mentale dans notre pays.

Si vous me permettez de m'écarter un peu de mon propos, notre collègue Ciotti a dit une fois encore que je souhaitais supprimer 25 000 places de prison. Je trouverais cela comique bien que ce soit plutôt dramatique. C'est même un comique de répétition, car le ministre de l'intérieur l'a cité une première fois en parlant de 20 000 places, puis de 25 000 places. Enfin, il a fait une tribune où il affirmait que je supprimais allègrement 35 000 places de prison ! Et maintenant Jean-François Copé a pris l'habitude, au cours des meetings de l'UMP, de faire applaudir la salle en disant : « Gardez-nous, sinon Marylise Lebranchu va fermer 25 000 places de prison et libérer 25 000 détenus ! »

Comique de répétition et caricature dommageable ! Je pense que personne n'a lu les actes complets du colloque où j'étais invitée puisqu'au départ, il s'agissait de répondre à la question suivante : « Comment avez-vous réussi à obtenir le consensus sur une loi pénitentiaire ? » Autrement dit, ce dont rêve M. Ciotti !

J'étais venue raconter comment, pendant dix mois, j'avais travaillé avec des magistrats, des avocats, des psychiatres, des médecins, des représentants de la société civile, des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et des associations de victimes. Je ne manque jamais de saluer la présidente de l'association des victimes qui avait dit, un jour où nous parlions du sens de la peine : « Pendant les six mois qui ont suivi le meurtre de ma fille, j'ai crié vengeance. Mais, au bout de six mois, j'ai compris que la vengeance, ce n'était pas la justice. »

Ces dix mois de travail nous avaient permis, monsieur Ciotti, d'obtenir un consensus entre tous les partis représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat. Christine Boutin était en tête de la délégation de l'Assemblée nationale et, au Sénat, il y avait des gens que vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux : M. Fauchon, M. Haenel et M. Hyest. Ces deux derniers me trouvaient même trop sécuritaire ! Quand j'ai déclaré que le premier acte hors la loi d'un jeune devait appeler une sanction, ils ont estimé que j'étais sécuritaire. Je l'étais sans doute un peu trop…

Nous avions obtenu ce consensus sur le fait qu'il fallait, bien sûr, des places de prison – je maintiens qu'il en faut, y compris pour les plus jeunes, comme le défend aujourd'hui Pierre Joxe – mais que, chaque fois que nous avions trouvé une alternative – le mot d'« alternative » avait d'ailleurs été banni au motif qu'il y avait d'autres types de sanctions que la privation de liberté –, la lutte contre la récidive avait marqué un progrès. Aujourd'hui, il manque beaucoup de places en semi-liberté. Ici, à Paris, par exemple, un jeune majeur qui trouve une place en apprentissage ne peut pas bénéficier d'une place en semi-liberté. Il n'y a plus de place dans les centres d'éducation fermés. Bref, nous manquons de places alors qu'elles permettraient d'emprunter plus facilement les chemins contribuant à la lutte contre la récidive.

Je terminerai sur ce point : cessez de caricaturer une position qui n'a jamais été la mienne. Nous pourrions retrouver le consensus auquel nous étions parvenus à l'époque. Vous êtes pessimistes, je ne le suis pas. Je crois qu'un travail sur le sens de la peine, sur ce qu'est la société, sur la façon dont elle regarde ses détenus, dont elle espère qu'ils ne récidiveront pas, est envisageable, même s'il ne l'est peut-être pas à court terme, monsieur le garde des sceaux, puisqu'on vous impose ces 80 000 places de prison.

J'espère que vous trouverez les 15 000 surveillants nécessaires. J'espère aussi qu'une autre majorité, peut-être, avec modestie et humilité, parce que c'est le sujet le plus difficile qui soit, saura expliquer, comme l'ont fait, hier soir, mes collègues, que la délinquance est là, qu'elle existe, qu'il ne faut jamais la nier, et qu'il convient, bien sûr, de répondre à chaque acte. ; mais que peut-être le retour à davantage de sanctions raisonnées, raisonnables et appropriées, et la recherche acharnée d'autres solutions que la prison qui détruit de toute façon, garantiraient à nos citoyens un peu moins de récidives. Il est horrible de dire, comme nous le faisons tous, qu'il n'existe pas de risque zéro dans une société humaine. C'est terrible pour ceux qui subissent le meurtre dans leur famille ou dans leur chair. Je pense toutefois qu'au-delà de cette horreur, il est possible de discuter de tous ces sujets qui font société. Mais, malheureusement aujourd'hui, créer des places de prison tout simplement ou seulement, c'est tout de même ne pas le savoir et, par conséquent, ne pas prendre le chemin d'une société plus apaisée, plus sereine et, donc, plus sûre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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