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Intervention de Christine Albanel

Réunion du 11 mars 2009 à 15h00
Protection de la création sur internet

Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre est à la fois ambitieux et réaliste.

Ambitieux, car il vise à permettre à la France de saisir la chance inédite que représente Internet pour la culture – pour sa démocratisation, mais aussi pour tirer parti du potentiel de développement économique qu'elle recèle.

Mais ce projet est également réaliste ; j'y reviendrai souvent au cours du débat. En effet, il ne prétend naturellement pas éradiquer entièrement le phénomène de masse que constitue le piratage des oeuvres culturelles sur Internet. Il a plutôt pour vocation de contribuer à une prise de conscience, à l'instauration chez les internautes d'un état d'esprit nouveau touchant la diversité culturelle et les conditions économiques et juridiques indispensables à sa préservation.

Aujourd'hui, plus d'un Français sur deux dispose d'un accès à Internet haut débit, et nos fournisseurs d'accès offrent ce débit à leurs abonnés sans limitation, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays. En France, les conditions techniques sont donc réunies pour que chacun accède librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de morceaux de musique, bientôt d'oeuvres littéraires, mais aussi d'expositions virtuelles et de captations de pièces de théâtre et d'opéras. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans toute sa richesse et sa diversité, au bénéfice de tous nos concitoyens – consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication.

Depuis les échanges qui avaient animé votre Assemblée lors de l'examen de la loi dite DADVSI, la question de l'offre légale sur Internet a été entièrement renouvelée. Des progrès remarquables ont été accomplis, et nous ne pouvons plus justifier ou excuser le piratage au motif que les oeuvres ne seraient pas disponibles ou que les industries culturelles n'auraient pas réussi à s'adapter afin de proposer des offres légales en ligne.

En effet, les industries culturelles ont réussi leur révolution numérique. Près de 4 000 films et 4 millions de morceaux de musique sont aujourd'hui disponibles, en téléchargement ou, de plus en plus, en simple consultation – ce que l'on appelle le streaming. En outre, cette offre est de moins en moins chère, y compris pour le cinéma, grâce à des films à moins de cinq euros, ou encore à des forfaits qui permettent de voir plusieurs dizaines de films pour moins de dix euros par mois. Certaines de ces offres sont gratuites, car financées par la publicité. D'autres sont payantes, mais forfaitaires, et permettent de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, des morceaux de musique tirés de catalogues qui en comptent plusieurs centaines de milliers, voire des millions.

Les modèles économiques innovants foisonnent, pour le plus grand profit du consommateur et des artistes : je songe à des success stories comme celles de deezer.com, qui propose plusieurs millions de titres gratuitement en streaming, ou de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de financer directement la production de jeunes artistes. Jamais, au cours de l'histoire, un magasin spécialisé, fût-ce le meilleur des disquaires, n'a offert à ses clients un éventail comparable d'oeuvres culturelles pour un coût aussi réduit.

Le dernier épisode de cette mutation de l'offre légale concerne les verrous anti-copie, les fameux DRM, qui empêchent de consulter sur plusieurs lecteurs – l'ordinateur, le baladeur, l'autoradio, etc. – un titre musical que l'on a acheté. Les accords de l'Élysée prévoyaient que ces verrous disparaîtraient un an après la mise en oeuvre du présent projet de loi, afin de laisser à la lutte contre le piratage le temps de produire ses effets. Mais, à l'issue d'un dialogue constructif avec les pouvoirs publics, toutes les maisons de disques et les plates-formes françaises ont décidé de supprimer les DRM sans attendre. Ce sera chose faite avant la fin du mois de mars.

Il faut saluer comme il le mérite ce geste très significatif pour les consommateurs. Il montre que les industries de la musique ont pris conscience du lien entre offre légale et piratage : tant que la première ne sera pas suffisamment diversifiée et attractive, le second continuera. Mais il faut faire comprendre aux consommateurs que la réciproque est vraie : tant que le piratage continuera, l'offre légale n'aura pas les moyens de se développer et de s'installer.

Pendant des années, nous nous sommes demandé si le piratage de masse menaçait véritablement le renouvellement de la création et tous les métiers des industries culturelles. Nous n'en sommes aujourd'hui plus au stade de l'inquiétude, mais à celui du constat. Et ce constat est accablant : c'est à un véritable désastre, économique et culturel, que nous assistons.

Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint : il a diminué de 50 % en valeur au cours des cinq dernières années. Cela entraîne bien évidemment d'importantes conséquences pour l'emploi – 30 % des effectifs des maisons de production sont concernés – et pour la création : de nombreux contrats d'artistes ont dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes signant un contrat a diminué de 40 % par an. Les premières victimes sont naturellement les indépendants, les PME de moins de vingt salariés, qui proposent aujourd'hui 80 % des références musicales.

À ce rythme, ne resteront plus que les majors du disque, qui se transformeront à leur tour en simples relais de distribution en France des charts américains, dont les coûts de production auront été amortis avant d'arriver sur le marché.

Le cinéma s'engage sur la même pente : on compte aujourd'hui autant de téléchargements illégaux – soit 450 000 par jour – que d'entrées en salles. En outre, le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur, alors même que le prix des nouveautés diminuait d'un tiers.

Quant au secteur du livre, alors qu'il s'apprête à son tour à entrer dans l'ère numérique, il est de notre devoir de prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour lui éviter de pâtir des effets ravageurs du piratage.

La situation des créateurs et des PME culturelles françaises ne serait pas si alarmante si l'effondrement du CD et du DVD était compensé par l'essor des ventes dématérialisées, ce qui n'est pas le cas. En effet, alors que, dans la plupart des grands pays dont les habitudes de consommation sont comparables aux nôtres, ces ventes décollent – elles y représentent 20 % du marché en moyenne, et plus de 25% aux États-Unis –, elles avoisinent péniblement 10 % du marché en France.

Après un Oscar, une Palme d'or, un Pritzker Price et un Prix Nobel de littérature en 2008, la France, lanterne rouge des ventes numériques, aurait pu se passer d'une autre médaille : celle du piratage.

On en mesure les effets en comparant notre situation à celle de l'Allemagne, où les ayants droit ont lancé une lutte à grande échelle devant les tribunaux. En 2002, le volume du marché français de la musique était identique à celui d'outre-Rhin ; aujourd'hui, il n'en représente plus que 70 %.

La France, qui est si fière de son exception culturelle…

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