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Intervention de Régis Juanico

Réunion du 15 décembre 2011 à 10h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico, rapporteur :

Concernant l'équilibre entre famille et travail, il convient d'abord de souligner les enjeux majeurs des politiques visant à favoriser l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle.

Au regard des difficultés parfois rencontrées dans ce domaine, qui peuvent être plus aiguës encore pour des parents seuls, ces politiques sont susceptibles de favoriser l'augmentation des taux d'activité des parents, particulièrement des mères, mais peuvent aussi améliorer la qualité de l'emploi.

Les « politiques d'articulation » sont en effet des facteurs de performance, au niveau macroéconomique, en contribuant en particulier à la consolidation des systèmes de protection sociale, mais aussi au niveau des entreprises, notamment en attirant et fidélisant une main-d'oeuvre qualifiée et en donnant une image positive de celles-ci.

Ces mesures sont aussi sources de performance et de progrès social : elles contribuent à l'amélioration des conditions de travail, à la prévention des risques psychosociaux, ainsi qu'à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. Une enquête de l'OFCE montre qu'à quarante ans, à un même niveau de diplômes et d'ancienneté, il existe un écart de 17 % entre le salaire des hommes et celui des femmes, l'essentiel de cette différence de salaire – soit 70 % – restant inexpliqué.

La France se place au premier rang des pays de l'OCDE pour les différentes aides apportées aux familles. Parmi ces aides, qui représentent 3,7 % du PIB, des moyens importants sont en particulier alloués aux mesures visant à favoriser l'équilibre entre famille et travail, qui constitue un objectif clairement identifié des politiques publiques.

En termes de résultats, la situation de la France est bonne par rapport aux autres pays européens, mais elle pourrait être améliorée.

L'analyse comparée des « politiques d'articulation » fait en effet ressortir plusieurs spécificités françaises, notamment un système socio-fiscal moins individualisé et un congé parental très féminisé, plus long et moins bien rémunéré que dans certains pays, en particulier en Suède et en Allemagne. Par ailleurs, on constate en France une très bonne prise en charge des enfants de trois à six ans, grâce au système des écoles maternelles – qui est envié en Europe – mais aussi, a contrario, un manque de places d'accueil pour les moins de trois ans, les besoins non couverts étant estimés à environ 350 000 places.

La France se distingue par de bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité – nous avons le troisième taux de fécondité le plus élevé de l'OCDE – et l'insertion professionnelle des femmes, qui se fait plutôt à temps plein. Il existe néanmoins des voies d'amélioration afin de favoriser l'égalité des genres, l'accès ou le retour à l'emploi des mères, leurs évolutions professionnelles, de même que pour répondre plus efficacement aux difficultés parfois exprimées par les parents en matière de conciliation.

Pour créer les conditions d'un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, et avec le double objectif d'aide au retour à l'emploi et d'égalité des genres, nous préconisons plusieurs orientations.

En s'inspirant notamment des dispositifs observés en Suède et en Allemagne, il faudrait aller progressivement vers un congé parental mieux rémunéré – à hauteur des deux tiers du salaire antérieur –, plus court – d'une durée de 14 mois –, en incluant deux « mois d'égalité », qui seraient réservés à celui des parents n'ayant pas pris le reste du congé et qui seraient donc perdus s'il ne les prend pas. Ainsi pourrait-on encourager une participation accrue des pères et mieux partager le congé parental : aujourd'hui, moins de 3 % des pères utilisent ce congé dans notre pays.

Nous proposons également de mettre en place un accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation des bénéficiaires du complément du libre choix d'activité (CLCA) et d'accroître à cette fin la coopération entre Pôle Emploi et les caisses d'allocations familiales (Caf).

Le rapport préconise par ailleurs de poursuivre le développement de l'offre de garde de la petite enfance, en particulier en accueil collectif. Celui-ci est très développé dans les pays nordiques, tels que la Suède. Il conviendrait aussi de mieux évaluer les besoins et les disparités territoriales dans ce domaine.

L'accès à des modes de garde de qualité présente des enjeux importants en termes d'égalité des chances, de lutte contre les inégalités sociales et de prévention de l'échec scolaire. Les écoles maternelles sont en particulier un lieu d'apprentissage fondamental du langage, du vocabulaire, de la socialisation et du vivre-ensemble, mais aussi un mode de garde financièrement accessible, notamment à des femmes qui souhaitent continuer à travailler. C'est pourquoi il est important de maintenir, au moins au niveau actuel, la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui n'a cessé de diminuer au cours des dernières années.

Au regard notamment de l'implication des entreprises en Allemagne dans ce domaine, nous proposons également d'encourager le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu professionnel, en confiant notamment à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, l'Anact, une mission de diffusion des bonnes pratiques et d'accompagnement des entreprises en matière d'articulation entre la vie familiale et le travail. Nous souhaitons également favoriser une représentation plus équilibrée au sein des comités de direction des entreprises.

Les directeurs des ressources humaines des entreprises doivent concevoir l'organisation du travail, les horaires et les modes de garde en cherchant à mieux concilier la vie professionnelle et la vie familiale et à encourager une paternité active et un véritable partage des tâches familiales, y compris ménagères, au sein du couple.

Pour reprendre une formule employée par les représentants du ministère de la famille allemand, nous voulons offrir de meilleures opportunités de carrière aux mères et davantage de temps familial aux pères.

Nous avons enfin souhaité approfondir l'analyse sur la question des familles monoparentales, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de précarité, en France comme dans le reste de l'Europe. Je rappelle à cet égard que, selon un rapport récent de l'Insee, les personnes vivant au sein d'une famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté et que près d'un tiers de ces personnes sont pauvres au sens monétaire, soit une proportion 2,3 fois plus élevée que dans l'ensemble de la population.

En France, le taux d'emploi des parents isolés est plus élevé que dans la moyenne des pays de l'OCDE, tandis que le taux de pauvreté est, lui, nettement inférieur. Toutefois, dans les cinq pays européens étudiés, y compris en France, le taux de chômage des mères seules est partout supérieur à celui de l'ensemble des mères.

Au cours de nos travaux, il est apparu que les politiques en direction des familles monoparentales se caractérisent par une certaine diversité en Europe, qui témoigne de différentes conceptions de 1'« État social ». Certains pays, comme la France ou le Royaume-Uni, ont ainsi adopté des dispositifs ciblés en faveur des parents isolés, contrairement à d'autres, dont la Suède. Au cours des dernières années, différentes réformes ont été mises en place dans plusieurs pays européens afin de favoriser l'accès à l'emploi et de lutter contre la pauvreté de ceux-ci.

En termes de performance comparée des politiques, on constate tout d'abord l'absence d'un réel modèle absolu de réussite, du moins parmi les cinq pays étudiés, même si la Suède, puis la France, apparaissent relativement mieux positionnées au regard des principaux indicateurs socio-économiques.

L'analyse permet d'identifier plusieurs leviers de l'action publique de nature à soutenir l'accès à l'emploi des parents isolés – je pense par exemple au caractère rémunérateur de la reprise d'un emploi, mais aussi à l'importance d'un accompagnement adapté et de la prise en compte des frais et des difficultés liées à la garde des enfants, ou à l'accès à des emplois de qualité.

Le développement de politiques volontaristes dans les domaines touchant à la conciliation entre famille et travail et au soutien à l'emploi des femmes et des parents en général, notamment à travers le développement de l'offre de garde de la petite enfance, est également de nature à favoriser l'emploi des parents isolés. À cet égard, il est intéressant de noter que, parmi les cinq pays étudiés, le « premier de la classe » – la Suède – est aussi celui où les parents isolés ne constituent pas une cible spécifique des politiques publiques.

Afin de favoriser un meilleur accompagnement social et professionnel des parents isolés en situation de vulnérabilité, nous proposons notamment d'améliorer l'information concernant les aides aux familles et le dispositif du RSA, de mieux évaluer l'accompagnement par les travailleurs sociaux ainsi que les conditions d'accès aux établissements d'accueil des jeunes enfants des bénéficiaires de minima sociaux – en particulier les parents isolés disposant de faibles ressources –, de renforcer la coordination entre les acteurs et de sensibiliser les agences de l'emploi à ce type de public, au regard notamment de pratiques observées en Allemagne.

Enfin, en nous inspirant de certains aspects d'un programme mis en place au Royaume-Uni, nous préconisons d'engager des expérimentations pour proposer un accompagnement renforcé aux parents isolés, sur la base du volontariat, avec par exemple un parcours intégré d'insertion comprenant notamment des aides accrues pour la garde d'enfants et le retour à l'emploi, voire d'autres options ou droits spécifiques, tels qu'un accès renforcé à la formation ou à un mode d'accueil.

Telles sont les principales conclusions de nos travaux, aussi passionnants que complexes, sur la performance, les enjeux et les métamorphoses de la question sociale en France et en Europe. Nous espérons avoir ainsi ouvert un débat qui, loin d'être épuisé par ce rapport, a vocation à se poursuivre régulièrement au sein de notre assemblée.

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