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Intervention de Michel Heinrich

Réunion du 15 décembre 2011 à 10h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Heinrich, rapporteur :

En ce qui concerne la politique de l'emploi, il faut rappeler en préambule son interdépendance avec la politique macroéconomique ou la politique fiscale. Le poids des cotisations sociales sur le travail en France rend aujourd'hui nécessaire une réflexion sur le financement de la protection sociale : la cotisation payée par l'employeur sur le salaire y est de 29 %, contre 26 % en Italie, 23 % en Suède, 16 % en Allemagne et 0 % au Danemark. Par ailleurs, il faut souligner que l'efficacité de la politique de l'emploi est intrinsèquement liée à la croissance économique, qui appelle une politique volontariste de développement industriel et d'innovation.

Nous nous sommes intéressés à ce qui constitue le point commun des politiques de l'emploi dans tous les pays considérés : l'accompagnement des demandeurs d'emploi pour le retour à l'emploi. Nous nous sommes appuyés sur les travaux du cabinet Euréval, qui a réalisé à notre demande une comparaison des politiques de l'emploi dans cinq pays européens – Allemagne, France, Portugal, Royaume-Uni, Suède – et une synthèse des travaux d'évaluation consacrés, dans ces pays, à l'efficacité de l'accompagnement et des dispositifs qui visent à favoriser le retour à l'emploi. Cette étude vous a été communiquée.

L'examen des profils de dépenses par pays a confirmé nos intuitions : certains pays sont plus efficaces que d'autres et parviennent, grâce à plus de politiques mieux ciblées et plus adéquates, à réduire leurs dépenses, notamment la part des dépenses « passives » – c'est-à-dire des dépenses d'indemnisation – grâce à plus de dépenses « actives ». Tel est particulièrement le cas pour la Suède, où l'on trouve deux tiers de dépenses actives pour un tiers de dépenses passives. Tel est aussi l'esprit des changements que nous proposons.

Par rapport à ses voisins européens, la France se caractérise par plusieurs éléments :

– d'abord, la complexité et l'éclatement des structures d'accompagnement des demandeurs d'emploi – on en dénombre pas moins de huit dans certaines zones – : le célèbre « millefeuille » français ;

– deuxièmement, la faiblesse des effectifs du service public de l'emploi affectés au placement, qui a été particulièrement soulignée par une récente étude de l'Inspection générale des finances ;

– troisièmement, une adaptabilité moindre des ressources humaines et financières. Certains des autres pays européens étudiés paraissent plus réactifs que la France dans l'ajustement des moyens à la conjoncture. Ainsi, le JobCentre britannique a augmenté de 37 % ses effectifs en 2009 pour faire face à la crise avant de les réduire dès 2010.

Les conseillers du service public de l'emploi chez nos voisins ont souvent plus d'outils, de prestations ou d'aides sociales à leur disposition et plus d'autonomie que les conseillers de Pôle Emploi en France : par exemple, au Royaume-Uni, les conseillers du JobCentre Plus versent aussi les allocations logement ou les aides ponctuelles pour le paiement des impôts locaux ; en Allemagne, les conseillers de l'Agence fédérale du travail développent des liens privilégiés avec les entreprises du bassin d'emploi local.

Au regard des expériences locales dont nous avons eu connaissance, notamment celle de Vitré, que connaît bien le président de la commission des Affaires sociales, nous proposons de lancer une expérimentation avec des collectivités territoriales volontaires sur le rapprochement des acteurs de l'emploi, de l'entreprise et de la formation professionnelle sous une direction commune pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques.

La synthèse des travaux de recherche réalisés dans le domaine des politiques de l'emploi a mis en évidence des enseignements peu nombreux mais « robustes » sur l'efficacité des politiques de l'emploi.

En premier lieu, les exonérations de charges sociales sur les salaires des moins qualifiés se sont révélées efficaces, mais pourraient constituer une trappe à bas salaire et limiter la progressivité des carrières.

En second lieu, le renforcement et la personnalisation de l'accompagnement des demandeurs d'emploi ont un impact favorable sur le retour à l'emploi, susceptible de générer des économies pour l'assurance chômage.

Par ailleurs, plusieurs dispositifs doivent être mieux ciblés : la formation professionnelle doit être encouragée en période de récession, en privilégiant les formations en alternance, et pour augmenter la qualité de l'emploi à plus long terme. Les contrats aidés sont utiles pour les publics structurellement éloignés de l'emploi ou pour donner un « coup de pouce » temporaire.

Enfin, les évaluations européennes montrent de façon convergente que les prestataires privés ne sont pas plus efficaces que l'opérateur public pour les mêmes missions – si ce n'est qu'on détecte une forme d'émulation entre ces deux types de structures lorsqu'elles interviennent sur le même territoire.

Ces divers enseignements nous conduisent d'abord à préconiser de mettre un terme à l'instabilité juridique et financière relative aux contrats aidés, qui nuit à l'efficacité de ces dispositifs, et de veiller à des durées de contrat suffisantes pour permettre un accompagnement, une formation et une insertion durable des bénéficiaires.

En outre, pour améliorer les performances du service public de l'emploi, nous proposons plusieurs mesures coûteuses à court terme mais susceptibles de générer des économies à moyen terme. En particulier, il faut renforcer et personnaliser l'accompagnement des demandeurs d'emploi en organisant rapidement un premier entretien consacré à l'indemnisation, suivi d'un second sur l'accompagnement professionnel. Les syndicats de Pôle Emploi, les associations de chômeurs, l'Inspection générale des finances – M. Christian Charpy et son successeur, M. Jean Bassères – sont unanimes : le demandeur d'emploi est d'abord préoccupé par sa subsistance et ne peut se projeter dans un avenir professionnel qu'une fois rassuré sur ce point.

Il faudrait aussi intensifier les contacts avec les demandeurs d'emplois : sur ce point, une étude allemande citée dans le rapport et évoquée par l'Inspection générale des finances montre un impact significatif sur le retour à l'emploi.

Il conviendrait par ailleurs d'adopter une approche globale du demandeur d'emploi. Il est nécessaire de renforcer la coordination entre les professionnels du retour à l'emploi et ceux de l'insertion sociale pour développer une culture partagée. Il n'est pas possible de continuer avec un système dans lequel les personnes les plus en difficulté ne sont pas accompagnées vers l'emploi. Mais il n'est pas question non plus de nier leurs difficultés spécifiques.

Nous avons également pu mesurer l'intérêt indéniable des aides à la reprise d'activité – aide au permis de conduire ou à la garde d'enfants – pour débloquer durablement des situations qui paraissent banales, mais sont parfois inextricables : Pôle Emploi parle de « freins périphériques » au retour à l'emploi. Ces aides sont aujourd'hui mal connues et mal utilisées.

Enfin, l'approche globale consiste à intervenir le plus en amont possible de la perte d'emploi. Nous préconisons donc d'intervenir précocement, en contactant le demandeur d'emploi deux mois avant la fin des dispositifs temporaires, tels que les contrats aidés.

Cette approche globale du demandeur d'emploi doit également s'accompagner d'une évolution des conditions de travail à Pôle Emploi. En nous inspirant des pratiques observées ailleurs en Europe, nous préconisons de renforcer les compétences, l'expertise et l'autonomie des conseillers de cet organisme, en renonçant à la généralisation du métier unique – lequel n'existe dans aucun des pays étudiés – tout en encourageant la polyvalence pour ceux qui le souhaitent et en renforçant leur formation.

Reste la question des moyens de l'opérateur Pôle Emploi, sur laquelle nous avons adopté une position commune et affirmée. Au regard des pratiques de nos voisins européens, il nous paraît nécessaire d'adapter ces moyens à la conjoncture et au niveau du chômage – donc d'augmenter le nombre de conseillers pour maintenir le niveau de service en période de crise. Pour cela, nous proposons en particulier un recours accru aux contrats à durée déterminée (CDD).

Enfin, les auditions que nous avons menées nous ont convaincus de la nécessité d'une meilleure prise en compte de la parole des usagers. Nous proposons de confirmer le rôle et l'importance des lieux d'échanges entre les usagers et Pôle Emploi – dans le cadre des comités de liaison – et de confier au Médiateur de cet opérateur la responsabilité d'un rapport annuel plus complet sur la satisfaction des bénéficiaires.

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