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Intervention de Michel Klopfer

Réunion du 16 novembre 2011 à 18h00
Commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Michel Klopfer, président et fondateur du cabinet Klopfer :

En novembre 1994, j'ai été invité par la chambre régionale des comptes d'Aquitaine à animer une formation sur la gestion de dette. Son président, Alain Pichon, a ouvert la séance en me demandant à quel moment il fallait « épingler » les collectivités : fallait-il attendre qu'elles aient perdu de l'argent ? Pour montrer qu'on ne pouvait pas se contenter d'une politique de résultat, je lui ai demandé s'il regretterait d'avoir versé des primes d'assurance contre l'incendie si jamais le magnifique hôtel particulier qui abrite la Chambre régionale, place des Grands hommes à Bordeaux, ne brûlait pas au bout de dix ans. Si j'avais été plus impertinent, je lui aurais posé la question suivante : aurait-il le sentiment d'avoir réalisé une bonne opération s'il avait raflé la mise en pariant le budget de son institution sur le bon cheval dans la 5e course à Longchamp ?

À cette époque, il n'était pas encore question des produits dits « structurés » : il n'existait alors que des produits classiques, tels que les taux fixes, l'Euribor ou le taux annuel monétaire (TAM). Quand le dossier est devenu d'actualité, en octobre 2008, j'ai constaté qu'il y avait souvent une confusion entre les emprunts structurés et ceux à taux variable. Les emprunts à taux variable étant parfaitement corrélés à la structure des budgets, je n'ai rien à en dire. Si je vous ai parlé d'assurance, en revanche, c'est que les produits structurés ont conduit à une situation de contre-assurance. Lorsqu'on s'assure contre l'incendie, les dégâts des eaux ou le vol, on verse quelques centaines d'euros pour être remboursé en cas de sinistre. Or, on a demandé aux collectivités de vendre une assurance : elles ont touché quelques centaines d'euros – c'est la « bonification » bien connue –, pour couvrir les banques contre un risque potentiellement illimité.

Qu'avons-nous fait pendant cette période ? Étant composé d'une quinzaine de personnes, mon cabinet ne peut pas être présent partout. Nous avons tout de même dissuadé un certain nombre de collectivités d'acheter des produits structurés. Lorsque je suis passé dans l'émission d'Yves Calvi, j'ai cité deux grands départements, l'un dirigé par la gauche, l'autre par la droite, le Pas-de-Calais et le Bas-Rhin, qui ne détiennent pas un seul produit structuré.

Pour éviter que la situation actuelle ne se reproduise, il faut comprendre comment on en est arrivé là : il y a eu un effet d'accumulation, qui résulte de la pression exercée par les banques. On aurait d'ailleurs pu aller plus loin : si les élections municipales avaient été décalées d'une année supplémentaire – elles l'ont déjà été de 2007 à 2008 –, les multiplicateurs seraient probablement passés de 5 ou 7 à 10 ou 12. Comme dans « Fantasia », le dessin animé de Walt Disney où les balais de l'apprenti sorcier se multiplient, l'on a fini par ne plus rien maîtriser, contrairement à ce que les banques pensaient.

Lorsque les premiers produits structurés sont apparus, en 1996, ils n'étaient pas bien méchants : il s'agissait de swaps permettant de passer du Pibor à un taux post-fixé, avec une marge zéro – on arrondissait ensuite la marge de la banque en faisant croire au client que l'opération lui coûtait moins cher. Puis, on est progressivement passé à ce que j'ai appelé, dans plusieurs articles, des « tartes aux fraises » : pour que le produit se vende, on a donné aux clients l'impression qu'ils payaient moins cher, en leur offrant des petites « douceurs » au cours des premières années. Or, il fallait bien rémunérer ces « douceurs » et les marges des banques.

Quand les banques se sont aperçues que ces opérations étaient extrêmement profitables, elles les ont industrialisées. Elles ont demandé à leurs commerciaux de proposer de nouvelles renégociations. De grandes collectivités, notamment des départements et des régions, ont ainsi présenté en séance plénière ou en commission permanente des renégociations de dette en affirmant, la bouche en coeur, qu'elles avaient gagné de l'argent, comme si le banquier avait été pris de sympathie à leur égard et leur avait proposé, dans un jeu à somme nulle, de gagner de l'argent contre lui, ce qui est naturellement impossible. Quand on a accordé jusqu'à trois fois deux années de « douceurs », avec trois doublements ou décuplements de marge, comment voulez-vous qu'on n'aboutisse pas à des produits assortis d'options astronomiques sur des durées de quinze ou trente ans ? Les cadeaux initiaux ont été amortis à coups de multiplicateurs de 5 ou de 10. Voilà ce qui s'est passé.

Lorsque la circulaire de 1992 a été conçue, j'ai été auditionné par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et par la Direction de la comptabilité publique (DCP). À cette époque, des incidents avaient eu lieu au Royaume-Uni, à Hammersmith et à Fulham : des collectivités qui avaient « swapé » des montants dix ou cinquante fois supérieurs à leur encours d'emprunt ont réussi à faire condamner les banques par les tribunaux. J'ai donc demandé qu'on s'en tienne strictement au notionnel, ce qui a été fait – on ne peut pas « swaper » sur plus d'une fois son encours en France. En revanche, il est possible de mettre un multiplicateur de 5 ou 7 sur le taux d'intérêt, ce qui conduit exactement au même résultat.

En septembre 2004, à l'occasion d'une séance de formation destinée au bureau de la gestion financière de la DGCL – la M14 était en cours de révision –, j'ai donc attiré l'attention sur l'existence de faux taux fixes et j'ai demandé l'introduction de deux colonnes supplémentaires dans l'annexe sur l'état de la dette, l'une relative aux indices de taux qui peuvent, par leur comportement, modifier l'équilibre du contrat, l'autre sur les indices de change susceptibles d'avoir le même effet. J'ai été entendu. Cela étant, la face du monde n'a pas été bouleversée, car ces colonnes ne sont pas toujours bien renseignées et elles ne font pas partie des documents que tout le monde consulte. Je suis donc revenu à la charge au début de l'année 2007, quand la situation devenait explosive.

Quelle est la différence entre un emprunt structuré et un emprunt toxique ? Vous vous souvenez certainement qu'un volcan islandais est entré en éruption, il y a dix-huit mois, et que le ciel européen en a été perturbé pendant plus d'une semaine. Ce volcan est devenu toxique parce qu'il a perturbé la situation. D'autres volcans actifs, tels que l'Etna et le Stromboli, ne sont pas toujours toxiques, mais ils peuvent aussi se réveiller. De la même façon, on a vendu aux collectivités des produits structurés qui peuvent perturber leur équilibre financier jusqu'en 2030, voire jusqu'au début des années 2040.

J'ai alerté la DGCL sur ce risque et je lui ai demandé d'adopter une réglementation pour y remédier. En effet, si la M14 a permis d'éviter un certain nombre de dérives, notamment les « factures dans les tiroirs » – telle celle du feu d'artifice du 14 juillet, par exemple, qui n'était payée qu'en janvier –, ce problème est revenu par la fenêtre à cause des produits structurés, avec cette différence que le décalage ne se limite plus à une année : on paie les premières fusées trois ou cinq ans plus tard, et le reste pendant trente ans, avec un décuplement du coût. Dans un article publié dans La Gazette des communes, le 9 avril 2007, j'ai donc écrit ceci : « il serait dommageable d'attendre les audits municipaux de l'année prochaine pour que les cadavres sortent des placards ». Or, c'est exactement ce qui s'est produit.

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