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Intervention de Christian Babusiaux

Réunion du 23 novembre 2011 à 9h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes :

Je remercie votre commission d'avoir posé à la Cour cette question de la supervision, dont chaque jour montre un peu plus le caractère crucial, et de nous avoir invités aujourd'hui à présenter notre rapport.

La mise en place, en mars 2010, de l'Autorité de contrôle prudentiel a répondu à la crise financière et bancaire survenue à partir de l'été 2007. Elle est le produit de la fusion de quatre autorités indépendantes, principalement la Commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM). Le rapport que votre commission avait demandé à la Cour portait sur la mise en place de cette nouvelle institution et non pas sur l'exercice même de ses missions.

J'aborderai naturellement les questions traditionnelles liées à une fusion, telles que les frais généraux, la rationalisation des fonctions de support, les effectifs, etc. Cependant, compte tenu de l'actualité et même s'il n'entrait pas dans le champ de l'enquête de la Cour d'apprécier la qualité de la supervision exercée par l'ACP, j'évoquerai en premier lieu ce qui, dans le rapport, concerne la supervision prudentielle.

Dans le contexte actuel de profonde instabilité financière, une supervision prudentielle efficace est fondamentale. En effet, les moyens dont dispose l'État pour réguler le secteur financier sont devenus très limités, la réglementation étant pour l'essentiel élaborée au niveau européen, voire international. Il est d'autant plus important que les quelques moyens que conserve l'autorité nationale de supervision prudentielle soient à la hauteur des enjeux actuels. La Cour avait souligné cela dès janvier 2008 dans des référés au Premier ministre sur la Commission bancaire et l'ACAM.

Vous trouverez dans le rapport un certain nombre d'éléments à ce sujet. La Cour y décrit les premières réalisations de l'ACP et les progrès par rapport à la situation antérieure, mais elle relève aussi trois sujets de préoccupation.

Tout d'abord, pour être en mesure de faire face à la situation actuelle de crise, la consolidation de l'Autorité devrait être accélérée.

Le collège de l'Autorité a fixé pour la fin 2012 une cible d'effectifs de près de 1 150 personnes, contre un peu moins de 900 en mars 2010. À la date de notre enquête, en août et septembre, la possibilité d'atteindre cet objectif n'était pas assurée. L'ACP procède à des recrutements importants sur le marché du travail et en provenance de la Banque de France. Elle a dû faire face à un nombre très significatif de retours vers la Banque de France de personnels de l'ancienne Commission bancaire. Elle doit également gérer les conséquences de l'intégration du corps des contrôleurs des assurances dans celui des ingénieurs des mines, réforme statutaire qui incitera bon nombre de commissaires contrôleurs à quitter l'ACP pour d'autres missions. Or, l'ACP doit atteindre le plus rapidement possible son effectif cible afin d'assurer pleinement le contrôle prudentiel.

En deuxième lieu, le nombre des contrôles sur place des établissements, et les moyens qui y sont consacrés devraient être accrus. La Cour a relevé que ce nombre était resté stable depuis les enquêtes qu'elle a menées sur la Commission bancaire et l'ACAM en 2007-2008. Or, le resserrement nécessaire de la vigilance sur la situation des établissements bancaires et d'assurance impose un accroissement du nombre et des moyens du contrôle sur place.

Certes, l'ACP a mis l'accent sur le renforcement des effectifs des contrôleurs du secteur de l'assurance en prévoyant dans son objectif une augmentation de 75 %, eu égard à la situation héritée de l'ancienne ACAM et à l'augmentation des tâches dans ce domaine. Cependant, nous avons également relevé que l'ACP augmentait fortement les effectifs des fonctions de support à l'horizon 2012, alors que ces fonctions représentaient déjà, en mars 2010, 15 % de ses effectifs. Cette proportion nous semble élevée : une fusion doit être l'occasion de gagner sur les fonctions support pour donner la priorité à l'effectif opérationnel. L'adossement de l'ACP à la logistique de la Banque de France et les synergies liées à la fusion des deux anciennes autorités doivent être des facteurs de productivité, de manière à accroître le nombre et l'efficacité des contrôles sur place.

Enfin, pour être pleinement efficace, la supervision prudentielle nécessite un réel usage des pouvoirs de sanction que le législateur a conférés à l'Autorité.

C'était un enjeu important de la réforme, dans la ligne de ce que la Cour des comptes avait préconisé : alors que ce dispositif n'existait ni à la Commission bancaire ni à l'ACAM, une commission des sanctions a été créée au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel, à l'instar de celle de l'Autorité des marchés financiers.

L'ACP a choisi d'agir de manière préventive en utilisant prioritairement ses pouvoirs de recommandation et de police administrative. Sans doute était-il justifié, dans les premiers mois, de procéder ainsi, mais aucune prévention n'est efficace si elle n'est accompagnée de mesures de sanctions. Or, loin d'augmenter, le nombre des sanctions a encore fléchi depuis la création de l'Autorité. L'ACP dispose pourtant de tous les pouvoirs et modalités pertinents pour qu'une politique de sanctions soit effectivement mise en oeuvre. La Cour n'a pas relevé de difficultés quant aux pouvoirs théoriques que le législateur lui a confiés.

En résumé, un message commun se dégage des trois points que je viens de présenter : la nécessité d'accélérer le déploiement de l'ACP. L'ordonnance créant cette autorité a été publiée près de trois ans après le début de la crise à l'été 2007. Il ne faudrait pas attendre encore deux ans pour que l'ACP fonctionne pleinement.

Je souhaite maintenant évoquer les deux autres missions confiées à cette autorité : la protection des clients et l'action internationale.

Nous connaissons l'intérêt que M. le député Chartier et nombre de membres de votre commission portent à la protection des consommateurs et des épargnants. Dans la situation antérieure, l'ACAM avait, comme l'AMF, des attributions dans ce domaine. En revanche, la Commission bancaire n'intervenait ni dans les relations commerciales ni dans la protection des usagers du système bancaire. La Cour des comptes avait préconisé que l'AMF, qui avait une expérience en la matière, se voie confier l'ensemble de la protection des citoyens dans ces domaines financiers. L'ordonnance du 21 janvier 2010 a choisi une autre voie : elle a également conféré à l'ACP un rôle de protection des usagers et, puisque deux autorités disposent désormais de ce type de pouvoirs, elle a prévu la création d'un pôle commun pour assurer la coordination de l'ensemble.

Le pôle commun s'est mis en place, mais il doit encore faire ses preuves. S'agissant des modalités à mettre en oeuvre, il doit développer des contrôles conjoints significatifs sur les pratiques commerciales des intermédiaires financiers. Le pôle ne saurait être un simple outil de coordination entre les deux autorités sur des domaines limités. Il existe aujourd'hui une pluralité d'intervenants en matière de protection des consommateurs de produits financiers : non seulement l'AMF et l'ACP, mais aussi le Comité consultatif du secteur financier et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). C'est pourquoi le pôle devrait devenir rapidement le lieu d'une action concertée globale, faute de quoi cette pluralité d'intervenants devrait être réexaminée. Enfin, il est souhaitable que l'ACP, qui privilégie aujourd'hui le contrôle réglementaire des professionnels, porte une plus grande attention aux préoccupations des consommateurs et des épargnants. Elle pourrait ainsi enrichir les activités du pôle commun.

La contribution aux autorités européennes et internationales de régulation financière était également un objectif important fixé par le législateur. La présence de l'ACP dans les enceintes européennes et internationales se heurte à une insuffisance de moyens : il faut agir sur tous les fronts, notamment pour la poursuite des travaux sur la réglementation prudentielle et au sein des nouvelles autorités européennes. Il conviendrait donc que l'Autorité, mais aussi la Banque de France dont vient une partie de ses effectifs, mettent en oeuvre les modalités concrètes de gestion des ressources humaines, avec à la fois des recrutements externes de haut niveau et des redéploiements, pour créer des perspectives de carrière à l'international.

J'en viens à la gestion interne de l'Autorité. En matière d'effectifs, il existe deux objectifs prioritaires : l'un, quantitatif, atteindre la taille cible le plus rapidement possible ; l'autre, qualitatif, adapter les recrutements externes aux compétences dont l'ACP a besoin et de maintenir, pour le contrôle des assurances, un haut niveau d'expertise dans un contexte de fortes sollicitations pour la mise en oeuvre de la réforme de Solvabilité II. À cet égard, l'intégration des personnels de l'ancienne ACAM dans les statuts des agents de la Banque de France a fait l'objet d'actions adéquates. L'impact de la disparition du corps des commissaires contrôleurs des assurances, ainsi que la compensation des départs, appellent néanmoins une attention particulière.

S'agissant du budget, l'exercice 2010 a été légèrement excédentaire et l'ACP dispose d'un « matelas » de trésorerie issu de l'ancienne ACAM.

Deux sujets seraient cependant à examiner. Le premier concerne le législateur. À court terme va se poser la question de la contribution de la Caisse des dépôts et consignations au fonctionnement de l'ACP. La commission de surveillance ayant confié à l'ACP l'examen du respect de la réglementation bancaire et financière par la Caisse, cette dernière devra, d'une manière ou d'une autre, contribuer au fonctionnement de l'Autorité.

Le deuxième sujet est de plus long terme, compte tenu de la réserve dont dispose l'ACP, mais il faudra bien y venir un jour : un rééquilibrage des contributions respectives des deux secteurs concernés, banques et assurances, sera certainement nécessaire.

S'agissant enfin des frais de fonctionnement, il conviendrait de réduire certains coûts tout en poursuivant la rationalisation des fonctions de support que j'évoquais tout à l'heure. Trois postes ont attiré notre attention : les frais de mission et la gestion de la flotte automobile ; le budget immobilier, qui est le troisième poste de dépenses de l'ACP ; l'organigramme même de l'ACP, où certaines rationalisations restent à faire : nous avons ainsi relevé que la direction générale comprend cinq secrétaires généraux adjoints.

En conclusion, je soulignerai que l'ACP assume de lourdes responsabilités sur l'ensemble du secteur financier. Notre enquête nous a convaincus qu'elle est déterminée à les exercer. Cependant, dans le contexte actuel, notre dispositif prudentiel est confronté à un enjeu majeur que la Cour avait déjà identifié dans son référé adressé au Premier ministre en janvier 2008 : celui de prévenir et d'anticiper les crises financières. « La supervision bancaire, écrivions-nous, doit être constamment exercée dans la perspective d'un éventuel retournement des cycles économiques et de la survenance d'une crise de confiance qui peut avoir une origine internationale. » Cette phrase conserve son actualité, et la demande de votre commission est intervenue à un moment particulièrement opportun.

Les deux priorités soulignées dans le rapport que nous vous avons remis tiennent en quelques mots : accélérer l'arrivée à l'organisation cible de l'Autorité ; donner à celle-ci la pleine dimension de l'exercice de ses pouvoirs, telle que le législateur l'avait souhaitée.

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