Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Philippe Cochet

Réunion du 23 novembre 2011 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Cochet, rapporteur :

Je me joins à vos propos liminaires pour souligner le côté passionnant de cette mission d'information, laquelle, au cours de ses travaux de plus d'un an, a réalisé un travail approfondi : en effet, près d'une vingtaine d'organisations professionnelles et de services administratifs en lien avec le commerce extérieur ont été auditionnés, la comparaison de notre système de soutien aux exportations avec les systèmes allemand et italien a été assurée par deux déplacements, une veille documentaire constante a été également assurée.

Le rapport d'information qu'elle a adopté repose sur les points forts que ces multiples sources d'information nous ont permis de dégager. Le constat, en effet, est sans appel : la France perd, depuis 2000, des parts de marché par rapport à ses principaux concurrents, Allemagne en tête.

Bien entendu, nous avons examiné les arguments traditionnels liés à la surévaluation de l'euro et au prix de l'énergie, mais leur portée doit être atténuée. Alors que nous accusons un déficit commercial de plus de 50 milliards d'euros, l'Allemagne engrange plus de 130 milliards d'euros d'excédent, avec la même monnaie, et une dépendance encore plus accrue aux hydrocarbures du fait de ses choix énergétiques.

Ces deux points n'expliquent donc pas nos errements à l'international. En revanche, force est de souligner, et les difficultés allemandes sur certains marchés le prouvent, que l'attitude de l'Union européenne vis-à-vis du commerce international doit être questionnée. Trop souvent, nous avons constaté que nos grands partenaires, les émergents bien sûr, mais aussi les Etats-Unis, ont organisé la défense de leurs industries stratégiques, quand l'Europe affiche seule un libre-échangisme total.

Certes, des instruments existent et sont parfois utilisés pour sanctionner les atteintes les plus graves aux règles du commerce international. Mais il faut que cette défense de nos intérêts soit plus systématique, surtout à l'heure où les négociations multilatérales à l'OMC sont complètement bloquées.

Toutefois, on ne peut pas reporter sans cesse la responsabilité de nos difficultés sur les autres. Si la France enregistre des déficits commerciaux records depuis quinze ans, c'est principalement parce que sa compétitivité s'est gravement érodée, de plusieurs manières.

D'abord, le coût du travail français a explosé à cause de la mise en place de la loi sur les 35 heures, au moment où l'Allemagne réussissait à maintenir son augmentation à un niveau très faible. Entre 2000 et 2004, le coût du travail en France a augmenté de 21,9 %, contre 8,1 % en Allemagne !

Cette évolution a totalement bouleversé notre position commerciale. Malgré des efforts significatifs des entreprises françaises, qui ont beaucoup rogné sur leurs marges à l'étranger, nos produits ont progressivement perdu l'avantage de prix d'environ 20 % qu'ils détenaient sur leurs concurrents germaniques.

Or, la référence mondiale que constitue le « made in Germany » ne s'étant pas démentie depuis 2000, les entreprises françaises se sont vues reprocher de vendre des produits moins réputés au même prix que les sociétés allemandes. Et elles ont perdu progressivement la compétition.

L'autre facteur essentiel de notre perte de terrain à l'international, c'est l'impossibilité pour nos entreprises les plus performantes d'atteindre la taille critique nécessaire pour réussir à l'international. Plusieurs mécanismes s'opposent à ce que nos PME, trop petites, deviennent telles les entreprises industrielles familiales allemandes qui tirent depuis des décennies le commerce extérieur de leur pays vers le haut. En un mot, nous n'avons pas assez d'ETI, ces entreprises de taille intermédiaire, entre 250 et 5000 salariés, qui sont actuellement 4700 en France contre plus de 11 000 en Allemagne !

Pourquoi cette différence ? En premier lieu, des dispositions fiscales ont, pendant longtemps, compliqué la transmission des entreprises familiales. Plusieurs de nos interlocuteurs sont revenus sur le fait que les droits de succession mais surtout l'impôt de solidarité sur la fortune faisait peser sur les héritiers une telle charge fiscale que ceux-ci se voyaient dans l'obligation de céder leurs parts pour pouvoir payer leurs impôts.

Cette situation ne nuit pas seulement à la taille des sociétés, mais réduit également leur solidité financière. En effet, il est clair que nos PME manquent de fonds propres pour supporter les variations d'activité que connaissent nécessairement les ventes à l'international, et les comparaisons avec les PME allemandes soulignent ce point. Or, les entreprises familiales, gérées sur le temps long, génèrent plus de fonds propres que les sociétés rachetées pour quelques années par des fonds en quête de rentabilité de court terme. La préservation des entreprises familiales remplit donc un double objectif : maintenir nos compétences de pointe sur notre territoire, renforcer la situation financière moyenne de nos PME.

Deux dispositions législatives ont un peu atténué cette pression, dans le cadre des lois dites Dutreil I et II, de 2003 et 2005. La vague de cessions d'entreprises françaises de pointe à des groupes étrangers s'est interrompue. Mais des difficultés persistent notamment pour les membres de la famille ne travaillant pas dans l'entreprise.

En second lieu, les entreprises françaises souffrent d'un complexe de taille liée aux dispositions de notre droit social, notamment le droit du travail. Ainsi, le passage de 49 à 50 salariés entraînait, selon la commission pour la croissance économique de Jacques Attali, l'application de 34 dispositions supplémentaires pour un coût moyen supplémentaire de 4 % de la masse salariale.

De nombreux chefs d'entreprise choisissent de créer plusieurs sociétés qu'ils maintiennent en dessous du seuil de 50 salariés plutôt que de devoir supporter ces charges supplémentaires. Il va sans dire que cette stratégie, si elle peut s'avérer fiscalement et socialement neutre, est catastrophique pour la performance de nos entreprises à l'export. Une entreprise industrielle organisée selon des dispositions arbitrairement dictées par le droit du travail ne peut évoluer favorablement à l'international.

Conséquence de ces limitations juridiques, nos entreprises enregistrent des taux d'échec à l'export proprement choquants : 70 % des primo-exportateurs abandonnent au bout d'un an, 80 % au bout de deux ans, 90 % au bout de cinq ans. Il est vain de contester le lien entre l'organisation juridique et cette triste réalité : en moyenne, les primo-exportateurs adossés à un groupe réussissent cinq fois mieux que les PME indépendantes, trop petites.

Dernière difficulté transversale qui limite la capacité de nos entreprises à exporter : la relative faiblesse de l'investissement privé dans la recherche développement, notamment par rapport à l'Allemagne. A cet égard, il est essentiel que nous préservions le dispositif du crédit impôt recherche, sans doute l'une des rares dispositions fiscales enviées à l'étranger, et que nous nous efforcions éventuellement de l'étendre aux PME.

Pour aider les entreprises à mieux exporter, tous les pays se sont dotés de dispositifs publics de soutien aux exportations. La mission s'est focalisée sur l'étude des outils de nos deux principaux concurrents, l'Allemagne et l'Italie.

Ces deux pays disposent d'instruments très comparables aux nôtres : agence publique de soutien au développement international des entreprises, organisme d'assurance crédit public spécialisé dans le commerce extérieur, aides aux entreprises innovantes désireuses d'ouvrir de nouveaux marchés.

De manière générale, on ne peut que souligner la grande qualité du dispositif national de soutien aux exportations dans notre pays. Les trois acteurs principaux, Ubifrance, Oséo, Coface, assurent leur mission avec un grand sérieux. Seule la Coface est parfois accusée de ne pas accorder d'importance suffisante au développement international des PME, la distribution de l'assurance prospection – l'instrument financier spécialisé dans le soutien aux entreprises moyennes – restant limitée.

En revanche, au niveau local, nos interlocuteurs ont souligné le cruel manque de cohérence des actions menées. Trop d'acteurs sont impliqués dans le soutien aux exportations : trois organes nationaux, les services déconcentrés de l'Etat, les conseils régionaux et enfin les chambres de commerce et d'industrie.

Surtout, alors que les représentations locales des organes nationaux jouent le jeu de la coopération dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler « l'équipe de France de l'export », les démembrements d'acteurs locaux, organes spécialisés des CCI ou agences économiques régionales, sont trop souvent encore enfermés dans une logique de concurrence entre institutions totalement contre-productive.

Baisse de la compétitivité liée à une hausse du coût du travail, difficulté pour nos entreprises à atteindre la taille critique indispensable pour réussir dans la durée à l'international, mauvaise organisation du dispositif de soutien aux entreprises souhaitant exporter. Voilà les trois raisons fondamentales de la contre-performance actuelle de notre commerce extérieur.

Le rapport revient également sur des explications plus classiques de notre déficit commercial, notamment la spécialisation géographique de nos exportations, trop peu tournée vers l'Asie et en perte de vitesse en Afrique, et sur les facteurs culturels et historiques qui expliquent notre retard vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Italie.

Mais nous souhaitions nous focaliser sur les raisons les plus profondes, celles sur lesquelles l'action publique peut apporter des éléments de réponse pour redonner au commerce extérieur français la place qu'il mérite sur la scène internationale. Ces pistes, il revient au président de la mission de vous les présenter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion