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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 16 novembre 2011 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère, rapporteur :

Cette proposition de loi constitutionnelle a un double objet. En premier lieu, elle met fin au principe de l'inviolabilité temporaire du Président de la République pendant l'exercice de son mandat, tel qu'il a été consacré par la jurisprudence Breisacher de 2001 de la Cour de cassation et la révision constitutionnelle du 23 février 2007. En second lieu, elle entend faire des membres du Gouvernement des justiciables ordinaires en supprimant à cette fin le privilège de juridiction – la Cour de justice de la République – qui leur permet aujourd'hui d'être jugés par des parlementaires – qui sont en réalité leurs pairs – pour des infractions de droit commun commises dans l'exercice de leurs fonctions.

S'agissant tout d'abord de la responsabilité civile et pénale du chef de l'État, le texte qui vous est soumis entend remédier aux lacunes de la révision constitutionnelle du 23 février 2007. En effet, cette dernière présente l'inconvénient, en consacrant la jurisprudence Breisacher de la Cour de cassation, de maintenir une immunité temporaire du Président de la République : ses actes, dès lors qu'ils sont antérieurs ou extérieurs à ses fonctions, ne peuvent en aucun cas faire l'objet de poursuites devant les juridictions ordinaires civiles ou pénales pendant toute la durée de son mandat.

Les instances et procédures ne pouvant être reprises ou engagées contre le président à l'expiration de son mandat qu'à l'issue d'un délai d'un mois suivant la cessation de ses fonctions, les faits sont jugés bien des années après la commission des faits. De tels délais de jugement sont trop longs au regard des exigences posées, en matière de droit à un procès équitable, par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le procès de M. Jacques Chirac en est la regrettable illustration : c'est une sorte de déni de justice que de statuer en 2011 sur des faits commis il y a plus de vingt ans !

Cette situation est l'une des conséquences inacceptables de l'« injusticiabilité » du chef de l'État, qui s'étend également à des affaires civiles assez triviales. Comme l'a rappelé M. Robert Badinter, la révision constitutionnelle de 2007 a placé le Président de la République « sous globe » au regard des actions civiles qui peuvent être légitimement intentées contre lui. Ainsi, l'épouse du Président de la République serait la seule Française à ne pas pouvoir divorcer pendant cinq, voire dix ans, à moins que son mari n'y consente. Si le chef de l'État avait eu un enfant illégitime, ce dernier serait le seul enfant illégitime de France qui ne pourrait pas saisir le juge pour obtenir une reconnaissance de paternité. Ces points ont été largement débattus lors de la révision constitutionnelle de 2007 et je ne fais ici que reprendre les arguments du grand juriste qu'est M. Robert Badinter.

Comment faire reconnaître ses droits face à un Président de la République inatteignable judiciairement ? Comment des individus ordinaires peuvent-ils voir réparer les préjudices civils qu'ils ont subis du fait du Président de la République, comme un défaut de paiement de loyer ? On peut légitimement se demander à quel titre on pourrait déroger au principe fondamental du code civil, qui s'applique depuis Napoléon, en vertu duquel tous les Français sont égaux devant la loi civile.

Comme tout le monde, nous souhaitons protéger la Présidence de la République, mais non le Président lui-même pour des actes civils. Les victimes lésées par un dommage causé par le chef de l'État doivent pouvoir obtenir réparation, et dans un délai raisonnable. Qui peut réellement s'opposer, au sein de notre Commission, à une idée aussi simple, destinée à mieux protéger les victimes ? Du reste, toutes les lois proposées par l'actuel gouvernement et sa majorité depuis l'élection du Président de la République ne se réclament-elles pas précisément de la protection des victimes ?

Être « injusticiable », c'est aussi ne pas pouvoir se défendre véritablement devant la justice. En réalité, l'inviolabilité judiciaire du chef de l'État pendant la durée de son mandat ne protège en rien la dignité de sa fonction ; elle risque même, au contraire, d'aggraver les soupçons contre son titulaire et de laisser libre cours au tribunal de la rumeur. L'immense avantage d'une procédure judiciaire est qu'elle est contradictoire et publique. Les propos tenus ne s'adressent pas au grand public, mais au magistrat qui écoute. Son jugement intervient à la fin du débat, afin de faire la part du vrai et du faux. Il est à même de refouler les actions abusives et de condamner à des dommages et intérêts les plaideurs mal fondés. Cela n'est pas possible face à une campagne de ragots ou de rumeurs. Par conséquent, il est aussi de l'intérêt du Président de la République que ces affaires-là puissent, le cas échéant, aller en justice.

Afin de remédier à cette situation, dont nul ne peut aujourd'hui se satisfaire, la présente proposition de loi supprime le principe de l'inviolabilité temporaire du Président de la République pendant l'exercice de son mandat.

Ainsi, l'article 67 de la Constitution prévoira désormais que le Président de la République est « civilement et pénalement responsable des actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci ». Pour les actes antérieurs ou extérieurs à ses fonctions, le chef de l'État redeviendra, pendant la durée de son mandat, un justiciable ordinaire susceptible d'être poursuivi devant les juridictions civiles et pénales de droit commun.

La suppression de cette immunité temporaire du chef de l'État sur le plan civil comme sur le plan pénal n'a rien de révolutionnaire ; elle s'inscrit bien au contraire dans le prolongement de la doctrine qui, depuis la IIIe République et jusqu'en 1999, estimait que le Président de la République était un justiciable ordinaire à raison de ses actes antérieurs ou extérieurs à ses fonctions. Cette position fut d'ailleurs très clairement exposée par M. Jean Foyer, qui a présidé cette commission et pour qui, « en tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d'aucune immunité, ni d'aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions et de ceux commis pendant la durée de ses fonctions dès lors qu'ils en sont détachables. L'affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours. Elle est pourtant juridiquement indiscutable ».

Cependant, afin que ce nouveau régime de la responsabilité pénale et civile du chef de l'État, à raison des actes antérieurs ou extérieurs à sa fonction, ne soit pas détourné de sa vocation originelle pour mettre en cause par des procédures abusives sa responsabilité politique, le texte institue un double filtre.

En premier lieu, le Président de la République ne pourra être appelé à témoigner devant toute juridiction, ni faire l'objet d'actes d'information, d'instruction ou de poursuite qu'après un avis public et motivé d'une commission de filtrage composée de membres, nommés pour cinq ans, du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, et présidée par le Premier président de cette dernière.

En second lieu, en cas de crimes ou délits, le Président de la République ne pourra faire l'objet d'une arrestation ou de toute autre mesure privative de liberté qu'avec l'autorisation de l'Assemblée nationale statuant à la majorité absolue de ses membres. Il est toutefois précisé qu'une telle autorisation parlementaire n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant, ou de condamnation définitive. En cas d'arrestation ou de mesure privative de liberté autorisée par l'Assemblée nationale, il reviendra alors au Conseil constitutionnel de constater, en application des quatrième et cinquième alinéas de l'article 7 de la Constitution, l'empêchement provisoire ou définitif du chef de l'État.

En revanche, dans le respect de la tradition républicaine française, soucieuse de protéger la fonction présidentielle, le présent article maintient le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les « actes accomplis en cette qualité ». Le chef de l'État ne pourra, comme c'est le cas actuellement, voir sa responsabilité civile ou pénale engagée pour des faits liés à sa fonction, sous la double réserve des compétences reconnues à la Cour pénale internationale en cas de crimes touchant la communauté internationale ainsi qu'à la Haute Cour en cas de procédure de destitution.

S'agissant enfin de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, le texte qui vous est soumis entend remédier aux lacunes de la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993. S'il est indispensable d'éviter les procédures abusives destinées à détourner la procédure pénale de sa vocation originelle en vue de mettre en cause la responsabilité politique des membres du Gouvernement, rien ne justifie pour autant que ces derniers bénéficient d'un privilège de juridiction – la Cour de justice de la République – leur permettant d'être jugés par des parlementaires, qui sont en réalité leurs pairs, pour des infractions de droit commun commises dans l'exercice de leurs fonctions.

Par conséquent, le texte proposé supprime, à l'article 68-1 de la Constitution, le jugement par la Cour de justice de la République des crimes ou délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions. Il maintient toutefois un mécanisme de filtre, destiné à prévenir la multiplication des procédures abusives. Ainsi, un ministre ne pourra faire l'objet d'actes d'information, d'instruction ou de poursuite qu'après un avis public et motivé d'une commission de filtrage composée de membres, nommés pour cinq ans, du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, et présidée par le Premier président de cette dernière.

Pour conclure cette présentation, je citerai le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, qui a déclaré le 12 juillet 2007 à Épinal qu'« il ne peut y avoir de pouvoir fort sans responsabilité forte. […] Je ne peux pas faire semblant d'être responsable alors que les Français ont fait de moi le premier des responsables. […] Au nom de quoi le chef de l'État, qui devrait être le premier des Français, serait donc le seul à devoir s'organiser pour ne pas avoir à assumer ses responsabilités ? Je suis responsable. »

À la lumière de ces propos du chef de l'État, qui confortent à n'en point douter la démonstration que je viens de faire devant vous, je ne peux que vous inviter à adopter cette proposition de loi constitutionnelle.

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