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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 3 octobre 2011 à 17h00
Approbation d'une convention et d'accords internationaux — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Jamais ! Il faut toujours être prudent ! Mais venons-en à notre sujet.

Le 23 septembre 2009, Nicolas Sarkozy a déclaré à la télévision, à propos des décisions du G 20 de Pittsburgh : « Il n'y a plus de paradis fiscaux. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c'est fini ! » Force est de constater, une fois de plus, que Sa Majesté n'a pas dit la vérité aux Français : nous sommes en 2011 et le Gouvernement nous demande de voter des conventions avec certains de ces paradis fiscaux.

Depuis 2008, l'OCDE a entrepris de recenser les États où la fiscalité est dite légère, voire inexistante – ce sont des litotes –, de façon volontaire ou faute d'administration compétente. Ces paradis fiscaux, nombreux, sont le refuge des spéculateurs et des grandes entreprises, y compris les françaises, qui cherchent, par tous les moyens, à se soustraire au paiement de l'impôt.

Le but d'une telle liste est louable : permettre de connaître ces pays afin de les faire rentrer dans le rang en les incitant à améliorer leurs systèmes fiscaux.

Si l'on se penche, cependant, un tant soit peu sur le dispositif, on s'aperçoit qu'il est facile pour un pays de sortir de la liste noire. En passant de « simples conventions d'échange de renseignements en matière fiscale » avec des pays de la liste blanche, comme la France, ou même entre elles, ces nations gagnent en respectabilité alors que dans les faits rien ne change.

Et que fait le Gouvernement ? Il fait le jeu de ces paradis fiscaux en nous demandant de voter onze conventions fiscales avec, entre autres, Hong Kong, Anguilla, les îles Cook ou encore le Belize. En d'autres termes, monsieur le ministre, vous nous demandez d'absoudre des pays qui ont un système fiscal inacceptable.

Pour être concret et faire de la pédagogie, arrêtons-nous quelques instants sur ce petit pays qu'est le Belize. Il y avait ici des talents à droite. Rappelez-vous notre collègue Georges Tranchant qui, un jour, nous fit faire le tour de la planète, allant jusqu'aux îles Moustique où il devait avoir quelques connaissances et quelques comptes, certainement.

Que se passe-t-il dans l'ex-Honduras britannique ? En moins de dix ans, le Belize a enregistré plus de 15 000 sociétés off shore. Si l'on regarde de plus près sa législation, on s'aperçoit qu'il est inscrit dans l'International Business Compagnies Act de 1990 qu'« Une société off shore bélizienne est une entité idéale pour les transactions financières internationales et permet à l'investisseur de s'engager dans un vaste champ d'activités depuis la protection du capital jusqu'aux comptes bancaires, le courtage, la possession de bateaux, le commissionnement et autres transactions commerciales ».

Écoutez la suite, elle vaut son pesant de cacahuètes : « Le registre d'inscription des entreprises ne comporte le nom ou l'identité d'aucun actionnaire ou gérant » – c'est fort, n'est-ce pas, monsieur Plagnol ? Je poursuis : « Ces noms ou identités n'apparaissent dans aucun document public ».

S'agissant enfin de la taxation, la loi de 1990 dispose que « les compagnies off shore sont exemptées de toutes taxes sur les profits ».

Monsieur le ministre, quel est le but d'une convention « d'échange de renseignements en matière fiscale » si la législation du pays avec lequel vous la passez n'enregistre aucun nom ? C'est tout de même compliqué de ne discuter avec personne et pas d'adresse. La réponse est que cela ne sert à rien, sauf à protéger, en leur accordant un voile de respectabilité, ces territoires qui abritent les filiales de vos amis, les patrons du CAC 40 et les grands banquiers.

Le rapport d'information de septembre 2009 sur les paradis fiscaux, que nous avons présenté avec MM. Migaud, Carrez, Emmanuelli, Mancel et Perruchot, nous apprenait que toutes les multinationales françaises sont implantées dans les paradis fiscaux, notamment les entreprises du secteur financier. Ainsi, BNP Paribas, le Crédit Agricole et la Société Générale disposent de 361 entités off shore, ce qui représente 15 % des filiales de ces groupes.

Mais ce ne sont pas les seules. Au hasard, l'Oréal – vous savez, la société de Mme Bettencourt qui, elle-même, dispose de deux comptes bancaires, pour ceux qui sont connus, en Suisse – a vingt-deux filiales recensées dans les paradis fiscaux. La société Lagardère, le « frère » du Président comme il s'est lui-même appelé, en dispose de cinquante-cinq.

Monsieur le ministre, le temps que nous passons aujourd'hui à discuter de ces textes pourrait être utilisé à meilleur escient car, en matière de lutte contre l'exil fiscal, des entreprises comme des particuliers, il y a bien mieux à faire. Un rapport de juillet 2009 de Mme Guigou et de M. Garrigue nous apprend que 10 000 milliards de dollars transitent chaque année dans ces édens fiscaux, soit la moitié des transactions financières mondiales. Vous qui cherchez tant à réduire les déficits, pourquoi ne prenez-vous pas le problème à bras-le-corps en traquant et en interdisant ces exils ? Cela permettrait de récupérer des sommes d'argent colossales plutôt que d'accabler toujours plus les Français les plus pauvres, qui souffrent des privations et du chômage !

Un autre exemple : ces conventions pourraient être l'occasion d'interdire les activités des dizaines d'entreprises qui proposent de constituer des sociétés ou des comptes bancaires off shore. Toutes ont un objet social manifestement illégal, contraire à notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, puisqu'elles proposent d'échapper à l'administration fiscale française.

Il serait également temps de combattre, même si ce n'est pas politiquement correct, l'exil fiscal des particuliers. Ils sont nombreux, des artistes, des sportifs, qui se disent français mais qui ne payent pas d'impôt ou très peu en France : Charles Aznavour, que Nicolas Sarkozy est allé écouter à l'Olympia mercredi dernier, est exilé fiscal en Suisse depuis 1972 ; Alain Delon, est exilé fiscal en Suisse depuis 1999 ; Johnny Hallyday, un grand intellectuel, est exilé fiscal en Suisse depuis 2006 ; Guy Forget, capitaine de l'équipe de France de tennis, est exilé fiscal en Suisse depuis 1998 comme la grande majorité des tennismen français. Tous ont été distingués, postérieurement à leur exil, par la légion d'honneur. Monsieur le ministre, je vous propose de vous inspirer de ma proposition de loi du 18 novembre 2010 tendant à interdire la nomination des personnes ayant leur domicile fiscal hors de France à des fonctions de représentation nationale ou territoriale ou aux distinctions nationales. Je vous propose, si vous vous refusez à retenir l'une de mes propositions, de vous appuyer sur celle que votre nouveau collègue, M. Courtial, le nouveau secrétaire d'État des Français de l'étranger – cela tombe bien ! –, présentait en mai 2011 et qui visait à permettre la perte de nationalité pour les citoyens non domiciliés fiscalement en France. Il est plus radical que moi !

Enfin, au sein même de l'Europe, des paradis fiscaux existent. La Suisse, où Renault dispose de sociétés bidon pour rémunérer ses salariés qui sont ailleurs, Monaco, Andorre, le Liechtenstein et le Luxembourg sont de bons exemples. Les instances européennes, elles-mêmes, n'hésitent pas à s'y installer. Le Fonds européen de stabilité financière, qui a pour objet social « de préserver la stabilité financière en Europe en fournissant une assistance financière aux États de la zone euro en difficulté économique », autrement dit, qui accorde une aide à la condition que les États qui en font la demande imposent à leurs peuples des mesures d'austérité, est une entreprise de droit luxembourgeois. Cela ne manque pas de sel !

Je voudrais revenir brièvement, pour conclure, sur les très intéressants propos de M. le ministre, de M. Plagnol et de M. Poniatowski. Le plus intéressant fut sans doute M. Plagnol, qui a parlé d'un « texte peu contraignant », que M. Poniatowski a évoqué, quant à lui, comme un « accord peu contraignant », ce qui est tout de même très proche. M. Plagnol affirme que toutes les demandes françaises ont été acceptées. Ne les prenez tout de même pas pour des imbéciles ! Je suis allé au Panama et aux Bahamas. Ils ont lu Tartuffe et Don Juan : quand vous voulez séduire la belle, vous lui promettez tout et lorsque vous l'avez trahie, vous oubliez que vous l'avez connue, au sens biblique du terme ou au sens postal. Vous n'êtes pas naïf : vous savez que les accords que vous concluez sont des faux nez. Vous ne pouvez pas faire semblant de ne pas savoir.

Monsieur Plagnol, vous avez dit « pragmatique et modeste ». Ça, pour être modeste, c'est modeste ! Vous avez même parlé d'obstacle culturel profond. Je me demande si vous intégrez dans la culture l'optimisation fiscale, l'évasion fiscale, le vol.

Lorsque je me suis rendu au Panama et aux Bahamas, j'ai vu une chose formidable : au bas de certains immeubles, des plates companies, mais sans personne au-dessus, il n'y a que les plaques de cuivre. Et c'est cela que vous légalisez grâce à vos accords : autonomie fragile – c'est le moins qu'on puisse dire –, indépendance relative, voire pas d'indépendance du tout, sauf à l'égard de l'intérêt général.

Enfin, vous avez parlé, monsieur Poniatowski, de la situation de la Suisse comme s'il s'agissait d'un pays moral alors qu'ils sont plus habiles que les autres et ils ont plus de moyens pour truander, si vous me pardonnez cette expression triviale. Vous qui êtes issu d'une grande famille, comment osez-vous, vous défendant d'une approche idéologique – adjectif habilement utilisé pour discréditer le substantif qui précède, car si vous aviez dit « approche éthique », cela n'aurait pas eu le même sens – nous proposer de marchander ce que les voleurs paieraient ? Où va la République ? Depuis quand peut-on vendre son âme et blanchir les voleurs ? Je vous rappelle que le numéro deux de la police lyonnaise vient d'avoir des ennuis pour des pratiques peu orthodoxes. Je ne sais pas ce qu'il en adviendra, présomption d'innocence oblige. Mais vous, que faites-vous ? Vous intégrez ces pratiques peu orthodoxes dans des accords.

Quant à l'engagement de contrôler tous les ans, pour avoir travaillé sur le sujet, je sais que cette faculté n'est jamais utilisée dans les faits et que les États dits non coopératifs le resteront. N'oublions pas, à ce propos, l'île de Saint-Martin, dites les Antilles néerlandaises, qui n'ont qu'une frontière passoire avec l'île de Saint-Martin française, où on assassina un gendarme dont le corps fut violenté sans que les conclusions en fussent jamais tirées.

Évidemment, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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