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Intervention de Christophe Bouillon

Réunion du 26 octobre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, comme Michel Havard vient de vous l'exposer, face aux risques qui pèsent sur l'approvisionnement en métaux rares, des solutions existent. Parmi elles, je retiendrai la relance de l'exploration sur le territoire européen, en partenariat avec les autres États membres de l'Union européenne confrontés aux mêmes enjeux, mais également l'accompagnement de nos champions nationaux et l'action pour un meilleur fonctionnement des marchés.

Toutefois, le renouveau de l'extraction traditionnelle ne peut constituer l'unique réponse à une possible pénurie. Il convient de s'affranchir de cette idée afin de miser sur l'avenir. Avec Michel Havard, nous sommes convaincus qu'il faut susciter l'émergence de ce que nous avons appelé « l'écologie du métal », à même d'assurer la gestion durable des matières premières. Celle-ci doit respecter les trois conditions du développement durable.

Premièrement, l'écologie du métal est cohérente avec l'exigence sociale du développement durable. En effet, le recyclage ou la réparabilité des produits représente une source importante d'emploi local car non délocalisable.

Deuxièmement, l'écologie du métal permet de respecter les exigences environnementales du développement durable. Dans un contexte énergétique contraint, l'extraction des matières premières secondaires est fortement moins consommatrice d'énergie que celle des matières premières vierges. À titre d'exemple, pour l'aluminium, la consommation énergétique est réduite de 95 %. Le recyclage peut également représenter un avantage en matière d'émissions de gaz à effet de serre, et ce tout au long de la chaîne d'approvisionnement : on observe ainsi un facteur de 2,5 à 3,5 entre un produit brut et un produit recyclé.

Troisièmement, l'écologie du métal garantit l'aspect économique du développement durable. Au-delà de l'intérêt stratégique que représente l'approvisionnement de certains métaux, d'autres présentent un potentiel économique certain, comme le cuivre ou le molybdène. De plus, de nombreuses parts de marchés restent à conquérir. C'est notamment le cas des terres rares, pour lesquelles Rhodia a développé un programme unique de recyclage.

De manière plus générale, l'écologie du métal que nous appelons de nos voeux comprend deux volets d'action : le recyclage et l'amélioration de nos modes de production et de consommation.

Permettez-moi d'abord d'évoquer le recyclage. L'exploitation de la mine urbaine constitue l'une des solutions. Si l'industrie du recyclage est relativement ancienne – certains diront qu'on recycle le cuivre depuis l'Antiquité – les métaux rares représentent un très fort potentiel de développement. À l'heure actuelle, le Programme des Nations Unies pour l'environnement estime que seulement 1 % des métaux de haute technologie est recyclé, alors que le résidu est abandonné, mis en décharge ou incinéré faute de capacité de traitement ou de système de collecte efficace. De même, le potentiel économique du recyclage des métaux est énorme, il faut le souligner. Ainsi, alors qu'il faut une tonne de minerai pour obtenir cinq grammes d'or, une tonne de téléphones portables en contient 300 à 350 grammes. Dans ce contexte, vous serez comme nous surpris que sur les 20 millions de téléphones recyclables chaque année en France, c'est-à-dire le nombre d'appareils renouvelés, à peine 500 000 le soient effectivement !

Les métaux sont recyclables, presque à l'infini si j'ose dire. Lors de nos déplacements en Suède et en Belgique, nous avons pu visiter des installations de traitement des métaux précieux, issus notamment de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques, qui nous ont fortement impressionnés.

La France jouit d'un certain nombre d'atouts indéniables pour déployer une industrie du recyclage efficace. Notre législation est globalement efficace puisque la responsabilité élargie du producteur permet de structurer de manière plutôt satisfaisante les filières. De plus, nous disposons sur notre territoire d'acteurs parmi les plus compétents du monde à toutes les phases des opérations de traitement. Que l'on pense à Sita, Véolia, Rhodia, Eramet ou Aubert et Duval. Néanmoins, la filière du recyclage souffre d'handicaps auxquels il nous faut remédier afin d'asseoir son plein développement.

Je ne vous exposerai que la plus importante des limites : la fuite des matières premières, qui revêt deux formes, d'une part une perte faute d'une collecte efficace, d'autre part des exportations de gisements pourtant stratégiques.

Concernant le manque d'efficacité de la collecte, nous sommes d'avis qu'il faut améliorer l'information des citoyens sur l'exigence d'opérer un tri efficace, et renforcer la sécurité autour des déchetteries, parfois littéralement attaquées par ceux qui souhaitent récupérer des métaux précieux. Je pense ainsi aux déviateurs des téléviseurs. Il faut également imposer aux organismes publics, trop souvent défaillants en la matière, le recyclage de leurs matériels. Il convient également de drainer les déchets vers les filières officielles et efficientes, et interdire totalement le rachat en espèces des déchets par les récupérateurs de métaux : l'article L 112-6 du code monétaire et financier ne fait que limiter cette pratique.

Concernant la fuite à l'étranger des déchets, je souligne l'inquiétude que nous avons éprouvée lors de nos auditions. En mai dernier, la Commission européenne regrettait ainsi que « de nombreux produits arrivés en fin de vie n'entrent pas dans les circuits de recyclage réguliers, mais sortent illégalement de l'Union européenne, ce qui se traduit par des pertes de matières premières secondaires de valeur ainsi que par des répercussions sur l'environnement ». Les véhicules hors d'usage et les déchets d'équipements électriques et électroniques sont particulièrement visés.

Plusieurs mesures doivent être prises, et certaines de manière urgente ! Il faut inciter la Commission européenne à interdire l'exportation de déchets hors du territoire de l'Union européenne dès lors qu'un traitement de recyclage est possible sur le sol européen. Il est nécessaire de mettre en place au niveau national une taxe sur l'exportation des Véhicules hors d'usage. Enfin, il est indispensable de renforcer les contrôles douaniers pour mettre un terme aux exportations illégales de déchets sous couvert de matériels d'occasion, au niveau national comme au niveau européen.

Mais au-delà des freins identifiés au développement de la filière du recyclage, les initiatives de demain méritent d'être soutenues. Plusieurs industriels se sont lancés dans le recyclage des métaux rares. À ce sujet, et je sais que Michel Havard sera heureux de me l'entendre souligner, l'initiative de Rhodia sur les terres rares est à mettre en lumière (sourires) : le groupe a développé un procédé unique de recyclage des terres rares à partir des poudres luminophores. La phase d'industrialisation est proche. Néanmoins, jamais Rhodia n'a pu bénéficier de soutien public, pas même dans le cadre des investissements d'avenir. Ceci est préoccupant, d'autant plus que de nombreuses PME se lancent dans le recyclage. Nous sommes donc d'avis qu'il faut soutenir les initiatives de ce type dans le cadre des investissements d'avenir, et renforcer ainsi la partie du Grand Emprunt dédiée à l'économie circulaire.

Par ailleurs, le développement des entreprises de recyclage suppose qu'elles puissent recruter un personnel compétent, détenteur d'un savoir-faire unique. Or, ces métiers sont à l'heure actuelle peu valorisés ; je pense notamment à la métallurgie. Il faut maintenir l'excellence de ces formations et les rendre attractives.

Au-delà, il convient de susciter la recherche des industriels, en l'orientant vers le recyclage de matériaux stratégiques pour notre économie mais délaissés par les industriels pour des questions de prix. Je pense particulièrement au gallium, au lithium ou à l'indium.

Enfin, il faut favoriser l'émergence d'un vrai marché du recyclage. Ceci passe par la valorisation des matières premières secondaires, à travers une fiscalité incitative ou une labellisation, mais surtout par la création de débouchés ! À ce sujet, nous sommes convaincus de la nécessité d'inciter, au niveau communautaire, à l'imposition d'un taux d'incorporation de matières premières secondaires dans les produits finis ! Comme première étape, vos rapporteurs proposent d'inclure ce paramètre dans l'éventail des critères techniques prévus par le code des marchés publics.

J'en viens à présent à l'évolution de nos modes de production et de consommation, à fonder sur une production durable et respectueuse de l'environnement, qui repose sur l'éco-conception des produits mais également sur la recherche de produits de substitution.

La première étape consiste à mettre en place une production durable, basée d'abord sur l'éco-conception, c'est-à-dire l'anticipation du recyclage en prévoyant, dès la conception d'un produit, son traitement en fin de vie. Mais c'est aussi une réflexion sur la réduction du recours aux matières premières dans les produits par une meilleure utilisation des ressources. À ce sujet, vos rapporteurs estiment que devraient être renforcées les obligations faites aux industriels en amont des filières, la réglementation actuelle portant principalement sur l'aval…

À coté de l'éco-conception, la recherche sur la substitution mérite d'être encouragée. En effet, de nombreux métaux connaissent un usage biaisé. Par exemple, le bismuth est employé dans certaines teintures de cheveux ; le titane et le sulfate de zinc servent de colorant blanc au dentifrice ; les feux d'artifice ont recours à tout type de métaux pour les crépitements ou les couleurs… On utilise même des nanoparticules d'argent pour des chaussettes anti-odeurs ! Je me permets d'ailleurs de souligner qu'au bout de trois lavages, ces nanoparticules se retrouvent dans les eaux d'écoulement et échappent au traitement des stations d'épuration du fait de leur petite taille !

Enfin, une production durable doit s'affranchir de la culture de l'obsolescence programmée, qui conduit à changer de téléphone portable tous les deux ans et d'imprimante aussi souvent ! Ceci passe par une meilleure résistance des produits, mais aussi par le développement du marché de la réparation et de la réutilisation.

La seconde étape concerne nos modes de consommation. Au cours des prochaines années, nous l'avons vu, la consommation de matières premières, et en particulier métalliques, va continuer de fortement croître. Ainsi du cuivre, dont on consommera au cours des vingt cinq prochaines années autant que jusqu'à présent ! La consommation durable doit être le pendant de la production durable. Elle vise tous les consommateurs : particuliers bien sûr, mais également entreprises et entités publiques. Le législateur ne peut à lui seul provoquer un changement soudain des modes de consommation, mais il peut y contribuer par l'information, l'incitation voire l'interdiction. Le concept du développement durable a peu à peu pénétré la conscience collective et il faut s'appuyer sur ce terreau afin de rendre effective la gestion durable des matières premières métalliques.

En guise de conclusion, je soulignerais que nous sommes confrontés à l'un des défis les plus importants de notre avenir. Si nous ne prenons pas nous mêmes en main la mise en place de cette écologie du métal, nous serons forcés de nous adapter brutalement à un changement que nous subirons. Comme pour le changement climatique, comme pour la biodiversité ou la composition du bouquet énergétique, nous avons l'opportunité de faire d'un gâchis phénoménal l'un des moteurs de la croissance française, et plus largement mondiale. Pour ce faire, il est nécessaire de susciter les comportements vertueux des citoyens et des industriels. C'est le rôle des politiques publiques que de créer un cadre pour une stratégie sur les métaux rares et critiques, c'est le rôle des politiques de les élaborer.

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