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Intervention de Michel Havard

Réunion du 26 octobre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Havard, rapporteur :

Christophe Bouillon et moi avons été désignés co-rapporteurs de cette mission d'information sur la gestion durable des matières premières le 9 février dernier. Nous avons réalisé une cinquantaine d'auditions auprès des pouvoirs publics et des entreprises privées ; nous avons visité des usines de recyclage dans le Pas-de-Calais, à Anvers et dans le nord de la Suède. En Suède toujours, nous sommes descendus dans une mine de cuivre à 1300 mètres de profondeur ; et au Brésil, nous avons observé la plus grande mine de fer à ciel ouvert au monde.

Nous nous sommes rapidement accordés sur un axe de travail. Comme le Président vient de le rappeler, la commission des affaires économiques a travaillé sur la question des prix : nous avons donc choisi de ne pas la traiter. Nous avons jugé que le thème de l'énergie était un débat spécifique, ce qui nous a conduit à écarter les hydrocarbures et l'uranium. Enfin, nous avons considéré que les ressources renouvelables, agricoles et halieutiques, induisaient des problématiques très différentes. De plus, notre commission du développement durable n'a pas de compétence sur le secteur agricole.

Nous avons donc retenu le thème des métaux, donc les matières premières minérales. Le sujet est d'actualité. Je suis certain que chacun ici a entendu parler des terres rares, qui d'ailleurs ne sont pas de la terre et ne sont pas rares. (Sourires.)

Les métaux forment un univers complexe. Nous ne nous attendions pas, en tant que parlementaires, à devoir manier la classification périodique des éléments. Nos ancêtres ont connu sept métaux jusqu'à la Renaissance : l'or, l'argent, le cuivre, le fer, le plomb, l'étain et le mercure. Deux servaient à faire de la monnaie, trois des objets, un des canalisations et le dernier à pas grand-chose.

Ensuite, la connaissance a progressé. Les métallurgistes des années 1980 employaient une vingtaine de métaux. Aujourd'hui, nous en sommes à une soixantaine. Demain, qui peut le dire ? Ces nouveaux métaux sont indispensables au fonctionnement des nouvelles technologies : ils s'appellent l'indium pour les écrans plats, le thulium pour les fours micro-ondes, le néodyme pour les aimants des éoliennes, etc. Vous trouverez toute une liste dans notre rapport.

Les terres rares constituent une famille de 17 éléments présents sur toute la planète. Mais comme leur extraction est très polluante, l'Occident a abandonné leur production qui dépend dorénavant entièrement de la Chine. C'est aussi le cas pour l'antimoine et le tungstène. Cette situation n'est pas idéale. Alors que la demande de métal augmente, nous sommes tributaires de l'étranger pour nous approvisionner.

Lorsqu'il s'agit d'un partenaire ouvert et respectueux des règles commerciales, c'est une chose. Au Brésil, nous avons rencontré le directeur général de l'entreprise CBMM, qui est en monopole sur la production du niobium utilisé dans les aciers spéciaux de l'aérospatiale et du nucléaire. Nous en sommes sortis plus que rassurés par sa volonté de satisfaire la demande internationale, conformément d'ailleurs à l'histoire de son entreprise.

Lorsqu'il s'agit de pays capables de prononcer un embargo contre quiconque a l'heur de déplaire, c'en est une autre. En novembre 2009, soutenue par le Mexique et par les États-Unis, l'Europe a déposé plainte contre les restrictions à l'exportation décidées par Pékin sur ses matières premières. L'OMC nous a donné raison : c'est une satisfaction, mais c'est aussi la preuve que nous sommes vulnérables. Le Japon, qui a subi pareille mesure sur les terres rares, en sait quelque chose.

Il y a donc une prise de conscience internationale sur la question des métaux. C'est une évidence. Le Président de la République a inscrit le sujet au programme du G20, l'Union européenne s'est emparé du sujet, différents pays occidentaux réfléchissent à des lignes directrices. En France, la réponse apportée passe par le comité de métaux stratégiques, le COMES : en partenariat avec les différents acteurs des filières industrielles, il est en train d'élaborer une stratégie pour limiter notre dépendance. Plusieurs approches sont possibles. Je vais privilégier celles qui consistent à garantir les approvisionnements de la France en métaux. Christophe Bouillon abordera celles qui tendent à réduire nos besoins pour diminuer notre dépendance. Je précise, c'est important, que toutes nos conclusions sont partagées.

La France n'est pas un grand pays minier. Nous avons eu de superbes mines de charbon, nous avons encore des mines de sel et des carrières de matériaux, nous avons exploité aussi nos ressources en uranium. Mais en termes de métaux classiques, nous n'avons pas ou plus grand-chose, sinon un peu de bauxite.

Pour être clair, je pense que même si nous avions des gisements, ça ne changerait rien à la situation. D'ailleurs, nous avons des filons de tungstène dans le sud et d'or en Bretagne, qui pourraient pratiquement être rentables. Mais dans un pays développé et densément peuplé, c'est l'acceptabilité sociale qui fait défaut. Les gens ne veulent pas de Germinal à leur porte, même si les progrès technologiques ont considérablement limité la dureté de la vie des mineurs et les conséquences des extractions sur l'environnement. Un projet minier se heurterait immanquablement à l'hostilité populaire. Nous avons vu la réaction provoquée dans le sud-est à propos des gaz de schiste. Il y a trente ans, trouver de l'or ou du pétrole dans son jardin était un coup de chance. Aujourd'hui, on dirait que ce serait une malédiction.

Notre cas n'a rien de particulier. Il est identique dans toute l'Europe, à l'exception des zones désertiques du Grand Nord dans lesquelles l'exploitation minière se poursuit. Notre continent produit à peu près 3 % des métaux dans le monde, mais il en consomme 20 %. C'est dire notre vulnérabilité. Elle nous place à la merci de nos fournisseurs, avec d'autant plus de pression que les prix semblent devoir monter très haut.

Pourquoi cette situation ? La réponse est relativement simple : c'est de plus en plus difficile d'extraire des métaux. A mesure que l'humanité avance et que la consommation progresse, nous devons aller chercher de plus en plus loin.

Je vous soumets d'ailleurs ce paradoxe désagréable. Nous sommes tous engagés dans la lutte contre le changement climatique et la limitation des rejets de gaz à effet de serre. Pour cela, nous misons beaucoup sur les énergies renouvelables. Mais celles-ci sont très gourmandes en métaux : néodyme et dysprosium pour les éoliennes, indium et gallium pour le photovoltaïque. Et pour aller chercher ces métaux, il faut de l'énergie : 10% de la production annuelle d'énergie primaire, surtout sous forme de pétrole. Bref, nous sommes dans un cercle vicieux.

Je crains également que la relocalisation des activités au plus près de leur zone d'approvisionnement soit porteuse de grandes difficultés pour notre pays et pour notre continent. Nous le constatons déjà. Auparavant, les matières premières extraites étaient directement envoyées en France où elles étaient transformées en produit à haute valeur ajoutée. Aujourd'hui, les pays miniers exigent – à bon droit – une première transformation sur place : nous avons donc perdu une partie de la chaîne de valeur. Les chefs d'administration que nous avons rencontrés au Brésil ont calculé que le minerai de fer brésilien exporté au Japon crée 600 000 emplois dans la sidérurgie japonaise. Si ce calcul est bien compris, je ne donne pas longtemps avant que les Brésiliens essaient de créer de l'emploi chez eux plutôt que chez les autres.

Alors, quelles sont les solutions pour assurer nos approvisionnements ? Je vous rassure, nous ne sommes pas défaitistes. Nous avons de nombreux atouts : tous nécessitent une vision d'ensemble, qui associe les filières privées et les pouvoirs publics.

J'écarte d'emblée celle qui consisterait à attendre de l'État la constitution de stocks supposés répondre à une pénurie : d'abord parce que de répondre à la pénurie, on passerait rapidement à répondre à une hausse des prix ; ensuite parce que nous n'avons aucune idée de la durée de consommation qu'il faudrait assurer. Enfin et surtout, la constitution de stocks pour éviter la défaillance des fournisseurs relève de l'initiative privée ; c'est à chaque filière de s'organiser si elle l'estime nécessaire.

J'ai dit plus haut que nous avions un sol pauvre et densément peuplé. Ce n'est pas tout à fait vrai. Nous détenons aussi, sur tous les océans, la seconde zone économique exclusive du monde. Les fonds marins, très riches, contiennent des nodules polymétalliques, des amas sulfurés et des encroûtements cobaltifères. Ce sont des richesses immenses, auxquelles il faut encore ajouter le nickel de Nouvelle-Calédonie, même si le statut de l'archipel lui confère une large autonomie dans la gestion de ses ressources naturelles. Pour ce qui est de la valorisation des fonds marins, entre les recherches de nos organismes publics (IFREMER, CNRS) et l'engagement de nos entreprises (Areva, Eramet, Tecnip), la France détient une avance technologique certaine.

L'Autorité internationale des fonds marins, qui délivre des permis valables dans les eaux internationales, nous a octroyé une large zone de recherche pour les nodules. Nous venons aussi de déposer, cet été, un dossier pour un permis sur les amas sulfurés qui devrait être accepté. La Chine et la Russie nous avaient précédés de six mois, mais nous sommes là encore dans le peloton de tête. Il faut y rester. Pour cela, un investissement dans la recherche s'avère indispensable. Nous demandons instamment au Gouvernement de sanctuariser les crédits alloués à l'IFREMER. On ne développe pas une technique de pointe pour l'abandonner au premier venu, faute de moyens pour la mettre en oeuvre. Et parce que nous sommes la commission du développement durable, nous demandons aussi au Gouvernement de sanctuariser les fractions les plus riches en biodiversité de la zone économique exclusive sous la forme d'aires marines protégées.

Nous croyons beaucoup aux partenariats et aux prises de participation. Vous trouverez dans le rapport une carte assez évocatrice qui montre la progression des prises de participation de la Chine dans les mines de toute la planète. Je parlais tout à l'heure de niobium et du Brésil : le Japon et la Corée du Sud ont conjointement acquis 15 % du capital de la société CBMM au printemps ; la Chine possède également 15 % depuis septembre. Ces pays sécurisent leurs approvisionnements. Nous serions rassurés si nous faisions de même. Il faut travailler avec les opérateurs étrangers et promouvoir le codéveloppement.

L'État a ici un rôle moteur à jouer. C'est pourquoi nous proposons la création d'un fonds stratégique de développement, à l'image de ce qui existe au Japon, pour prendre des participations dans les permis de recherches et faire bénéficier les entreprises françaises de l'exploitation.

Les pouvoirs publics constituent une « tête de pont » pour les industries françaises car la mine est une industrie très politique. Nous l'avons constaté au Brésil comme en Suède : les autorités et les industriels étaient ravis de la venue de parlementaires français, nous avons plusieurs fois entendu s'exprimer un désir de coopération et d'investissement français. Il faut aussi que les entreprises se mobilisent et ne ratent pas les occasions car, quand un ancien directeur du ministère des mines brésilien, devenu chef d'entreprise, nous a recontactés pour présenter des filons de fer et de lithium sur lesquels il détenait des concessions d'exploitation, aucun industriel français n'a jugé bon de se déplacer.

Enfin, la France dispose d'un formidable atout dans la qualité de ses filières de formation. Un des ingénieurs rencontrés au Brésil parlait français car il avait bénéficié de cours de spécialisation en France, payés par son entreprise. Un des dirigeants de l'entreprise nous confiait apprécier la qualité des ingénieurs et des jeunes diplômés français. A défaut d'être très présents dans l'activité minière à travers nos entreprises, nous pouvons au moins faire en sorte que nos étudiants bénéficient des offres d'emploi qu'elle génère. L'enseignement est aussi une façon de conserver le savoir-faire minier que nous perdrions, autrement, de manière irrémédiable.

J'aurai l'occasion de répondre à vos questions et je cède maintenant la parole à Christophe Bouillon pour évoquer l'autre versant de la gestion durable des matières premières, la sobriété métallique qui passe par l'écoconception et le recyclage.

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