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Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 25 octobre 2011 à 17h00
Commission des affaires économiques

Pierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du Commerce extérieur :

Merci monsieur le Président. Je vais faire court et, si vous voulez bien, je vais utiliser un langage de vérité, mais un langage très politique.

Les données globales du commerce mondial sont très simples : il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. En gros, le commerce mondial, c'est 15 200 milliards de dollars. 10 % de ce commerce, aujourd'hui, est le fait de la Chine, à elle seule, à 1 580 milliards ; la Chine qui, je le rappelle, ne représentait seulement 1 % des échanges il y a trente ans, qui était septième il y a dix ans. Dans cinq ans, c'est-à-dire à l'issue du prochain quinquennat, la Chine sera devenue la première puissance économique de la planète avant les États-Unis ; au maximum dans dix ans, mais probablement dans cinq ans ! Au coude à coude, suivent les États-Unis et l'Allemagne qui sont avec environ 1 280 milliards de dollars d'exportation, le Japon (770 milliards), les Pays-Bas (572 milliards) et la France qui occupe le sixième rang (521 milliards de dollars représentant 3,4 % de parts de marché).

Les zones excédentaires, sont en Asie et en Amérique latine, portées par la vague démographique ou la rente du sous-sol. La Chine enregistre 183 milliards de surplus commercial, le Moyen-Orient est globalement à + 444 milliards de surplus. Le monde occidental compte deux exceptions, deux pays qui gagnent : l'Allemagne, à plus de 200 milliards de dollars et le Japon qui, malgré le vieillissement de sa population, reste un pays net exportateur, à plus 77 milliards.

Les grands pays déficitaires sont, en gros, l'Occident, ce que j'appelle dans mon prochain livre « les anciens pays riches » : les États-Unis, l'Europe, l'Europe du sud surtout, la France, beaucoup, et beaucoup trop ! D'ailleurs, quand j'ai été nommé ministre en charge du commerce extérieur, j'ai tenu à donner les chiffres, que l'on ne donnait pas précédemment, parce que l'on considérait que ce n'était pas bien grave. Quand je suis arrivé, le déficit était à - 51 milliards d'euros. On m'a dit : « ne vous inquiétez pas, monsieur le ministre, - 51milliards, c'est la facture énergétique de la France. » Sauf que, de l'autre côté du Rhin, l'Allemagne a une facture énergétique plus forte (- 70 milliards) et parvient à réaliser un excédent de plus de 150 milliards, avec la même monnaie que nous, l'euro, avec quasiment les mêmes contraintes, avec les mêmes normes, avec les mêmes problèmes sis à vis de la Chine. Je dis cela au passage pour tous ceux que j'appelle « les charlatans de la démondialisation ». La faute ne revient pas à l'étranger, aux Indiens, aux Chinois ! La faute, ce n'est pas l'étranger. Il y a en Europe des pays qui gagnent et d'autres qui ne gagnent pas. Ceux qui ne gagnent pas sont les pays qui s'endettent. Le clivage constaté aujourd'hui dans la zone euro entre les pays qui sont en difficulté et ceux qui ne le sont pas, se retrouve dans le commerce extérieur. Il y a un lien absolument direct entre le déficit commercial et les déficits en général. La crise de l'euro est une crise de l'endettement, Mesdames et Messieurs les députés ; un endettement qui résulte des changements dans la compétition du commerce mondial. Ceux qui réussissent dans cette compétition ont aujourd'hui le plein emploi : l'Autriche est à 3,7 %, l'Allemagne à 6 % de taux de chômage. Et ceux qui n'arrivent pas à faire les réformes n'arrivent pas à réaliser ce plein emploi.

Pour ce qui me concerne, je suis en charge, dans ce gouvernement, de la « partie VRP ». Je m'occupe du bout de la chaîne, de l'accompagnement des entreprises à l'exportation. Mais je vous le dis, parce que nous sommes ici dans la Maison de la démocratie, le problème de la France n'est pas à chercher dans l'activité du VRP, qui peut toujours être améliorée, le problème c'est la compétitivité de son économie et c'est la production en France. Le commerce extérieur de la France, ou d'un autre pays, c'est le rapport entre ce que nous sommes capables de produire chez nous, et d'exporter, et ce que nous importons pour notre confort. Le delta aujourd'hui est de – 75 milliards d'euros, un chiffre que j'ai annoncé même si j'espère que nous serons légèrement en dessous au terme de cette année. Mais c'est un chiffre absolument considérable, un « record » franchement inquiétant. Surtout si on les met en rapport avec notre voisin allemand, qui sera à + 170 milliards d'euros. Vous avez là un delta de 10-15 points de P.I.B. C'est considérable quand on veut, comme nous essayons de le faire, sauver notre zone économique, sauver notre zone monétaire. Donc, le problème du déficit commercial de la France, c'est un problème stratégique du « produire en France ».

Je ne vais pas entrer dans les détails, parce que je pense que vous aurez beaucoup de questions. Ce que je veux vous dire, c'est que la principale différence entre nous et les Allemands, ce n'est pas un problème de demande. La demande mondiale pour les produits européens, allemands ou français, ne fait qu'augmenter. La croissance de la demande chinoise est à + 10 %, l'Amérique latine, l'Afrique et le Moyen Orient exprime aussi des croissances de leur demande voisines de 6 %. Le problème, c'est l'offre : comment nous produisons et comment nous organisons notre offre. Or, en France, nous avons aujourd'hui quatre fois moins d'entreprises exportatrices que les Allemands : 94 000 en France, plus de 400 000 en Allemagne et près de 200 000 en Italie. Et les deux tiers de nos exportations sont réalisés par les 1 000 premières, c'est-à-dire par les grands groupes. Or, en ce qui concerne les fameux grands groupes – autre spécificité du capitalisme français –, nous avons le CAC 40 ! Les Allemands ont moins de multinationales que nous : nous sommes effectivement le pays européen qui compte le plus de multinationales. Sauf que les multinationales sont meilleures à l'investissement à l'étranger que pour la création de richesses et d'emplois chez nous. Les emplois sont créés par les PME. Le travail que nous devons faire consiste donc à recréer de la production au niveau de nos PME, en France. Deux millions d'emplois industriels ont été perdus en trente ans, essentiellement dans les grands groupes. Par conséquent, mon combat de chaque jour vise à recréer des filières à l'exportation à partir des régions et de les amener à l'autre bout du monde, là où il y a de la demande. Voilà le vrai sujet. Et je reviens, sans esprit polémique, sur ceux qui nous expliquent que c'est la faute des autres : je trouve cela consternant ! Franchement. Nous avons un problème de remise en ordre de notre appareil productif. Bien sûr qu'il y a des problèmes avec la Chine, sur les normes, sur l'accès aux marchés publics, sur les contrefaçons. Mais il y a aussi beaucoup de technologies transférées un peu vite, beaucoup de légèreté, beaucoup de comportements contre lesquels il faut lutter, tous ensemble et c'est pourquoi l'Assemblée nationale et le Sénat ont un rôle majeur à jouer. Mais, franchement, regardons d'abord nos problèmes. S'indigner et prétendre « démondialiser », ça ne suffit pas. Le sujet, c'est produire. Et donc d'aborder franchement les questions de coût du travail, de fiscalité, d'éducation, d'innovation : telles sont les clés de l'exportation.

Pendant très longtemps, pour les Français, le commerce extérieur signifiait d'abord les « grands contrats ». On voyait le Président de la République prendre l'avion, emmener avec lui des grands patrons du CAC 40 et à la fin, on signait des accords sur des ventes de TGV, d'Airbus, d'armement, de centrales nucléaires. Eh bien, Mesdames et Messieurs, on a changé de monde. Depuis vingt ans, les clients d'hier sont devenus les compétiteurs d'aujourd'hui. Quand vous voyez une filière coréenne, avec les mêmes réacteurs PWR exportés dans le temps depuis la France, nous battre à Abu Dhabi, cela veut dire que d'un côté il y a une équipe organisée pour l'exportation et de l'autre une équipe qui ne l'est pas, avec pourtant des technologies similaires. Quand vous constatez la compétition à laquelle nous nous confrontons avec la Chine sur les trains à grande vitesse, une technologie là aussi importée par les Chinois à partir de technologies dont les origines sont allemandes et japonaises et que vous savez que les Chinois travaillent sur seize marchés simultanément en amenant non seulement le train, mais aussi « le chèque », c'est-à-dire du financement, « la solution » du commerce extérieur français ne peut plus être que celle des « grands contrats », même si nous y travaillons d'arrache-pied dans ces domaines : j'étais par, exemple, il y a quinze jours à Tanger avec le Premier ministre pour lancer le premier TGV du monde arabe.

Le travail que nous avons à faire, c'est une reconstruction de notre outil industriel qui commence par les PME. L'idée selon laquelle on va résoudre les problèmes du commerce extérieur par de l'armement vingt ans après la fin de la Guerre froide, non ! J'ai signé au mois de juillet avec monsieur Medvedev les contrats conclus avec la Russie pour la vente de deux bateaux « Mistral », cela représente 1,2 milliard d'euros, alors que nous serons en déficit de 75 milliards : combien de « Mistral » faudrait-il vendre pour équilibrer nos échanges ? L'armement à lui tout seul ou encore les centrales nucléaires après Fukushima… il va bien falloir trouver des choses à vendre. Il faut donc recommencer un travail consacré aux filières, dans les régions, y compris en ce qui concerne l'agroalimentaire. C'est un domaine dans lequel nous sommes très bons. En témoigne le diplôme de l'Unesco reçu il y a un an pour la gastronomie française. Et bien, nous y perdons tout de même des parts de marché, puisque notre part de marché a baissé de 9 à 6 % en dix ans. Nous sommes même maintenant doublés par les Allemands et les Néerlandais dont on ne peut pas dire que la gastronomie soit le point fort ! Nous avons donc un travail systématique de remise en ordre de notre appareil productif, filière par filière, région par région.

Mon travail est de faire en sorte que notre force de vente soit aussi opérationnelle que possible. Et je n'ai pas attendu le rapport de la cour des comptes pour demander du « qualitatif » et plus seulement du « quantitatif » aux responsables d'Ubifrance, organisme qui fonctionne d'ailleurs plutôt bien. C'est une vraie révolution par rapport à ce qui existait auparavant et on peut en faire crédit à l'actuel gouvernement, ainsi qu'à François Loos, qui avait initié ce qu'est devenu Ubifrance qui est maintenant un outil moderne présent dans 56 pays, avec un contrat d'objectifs. Ce document lui assigne notamment pour mission que le tiers des entreprises qu'il aura emmenées à l'exportation devra avoir signé du « business », c'est-à-dire des contrats. Et Ubifrance sera comptable de ses résultats, il en ira de même pour nos postes d'expansion économique. C'est un réseau qui a besoin d'être modernisé. La mobilité se fait désormais en fonction du jugement des entreprises : on n'est plus seulement noté en interne, on écoute ce que les entreprises ont appris sur les postes. On travaille aussi à une autre modernisation, celle du réseau des conseillers du commerce extérieur et nous visons également à élargir le système les volontaires internationaux en entreprise (V.I.E.). Cela marche très bien. : nous avons ainsi 6 500 jeunes à l'exportation et nous nous fixons un objectif de 15 000 postes.

J'essaie aussi de faire en sorte que l'État travaille lui aussi en réseau, d'une part avec les grands groupes, d'autre part avec les régions. Un des problèmes que nous rencontrons, c'est l'accompagnement ou le portage des PME par les grands groupes. Encore une spécificité « gauloise ». Quand on a affaire à des Coréens en face de nous, ou à des Chinois, ou encore à des Japonais, leurs grands groupes arrivent avec leur écosystème, leurs sous-traitants. En France, ce n'est pas le cas. Nous considérons que le sous-traitant peut être trouvé sur la planète entière. Je dispose de lettres circulaires de grands groupes qui écrivent à leurs sous-traitants en anglais, en leur fixant les conditions pour rentrer dans tel programme, avec la nécessité de financer ceci ou cela. Je ne vais pas demander une préférence nationale sur les sous-traitants, ce qui est juridiquement interdit. Mais, au moins, j'estime que les grands groupes doivent consulter l'écosystème en France ! Seulement treize entreprises du CAC 40 ont signé la « Charte à l'exportation » («le Pacte Export. ») entre les grands groupes et les PME. On n'est pas dans l'oukase, on est dans un rapport de forces et ma conviction est qu'il nous faut réhabiliter la notion de patriotisme économique. Mais cela ne peut pas se faire par la loi. Votre rôle à ce sujet est toutefois très important, je me permets de vous le dire.

Dernier point, parce que je ne veux pas vous lasser : le travail en région. La loi a donné aux régions une responsabilité première en matière de développement économique, y compris à l'exportation. La loi de 2010 a donné aux chambres régionales de commerce un rôle de leadership auprès des entreprises. J'ai donc besoin que ce que l'on appelle un peu pompeusement « l'Équipe de France de l'exportation », avec la mise en réseau de la COFACE d'Ubifrance et d'Oséo qui fonctionne de mieux en mieux à l'international, se retrouve dans chacune des régions, où nous avons besoin d'une « Maison de l'Export » : là, les PME ayant quelque chose à vendre peuvent trouver toutes les informations sur l'exportation, aussi bien sur l'Amérique latine, sur l'Allemagne, toutes les aides, sur les services d'Oséo ou encore d'Ubifrance, etc. Bref, du côté de l'État, nous faisons le maximum pour que la force de vente soit la plus efficace possible. Nous allons avoir une Charte nationale Export. et des objectifs région par région.

Mon directeur de cabinet vient de me donner d'autres chiffres qui donnent la mesure de notre problème, par rapport à nos voisins allemands. À l'intérieur de la zone euro (et non en Chine où tout est plus difficile), c'est-à-dire là où nous réalisons encore l'essentiel de nos exportations (ce qui donne tort à ceux qui disent que c'est la faute aux Chinois), nous sommes en recul : la France est passée de 18 à 12 % des exportations de la zone euro, tandis que l'Allemagne passait de 26 à 29 % en dix ans. Cherchez l'erreur !

Mesdames et Messieurs, et je m'adresse sur ce point plus spécialement aux représentants de l'opposition – ceci dit sans une ombre de polémique –, si vous voulez réellement comprendre pourquoi nous sommes à - 75 milliards d'euros de déficit, il y a d'autres explications que le livre de Monsieur Montebourg ou les appels à l'indignation ! Il faut regarder pourquoi notre économie est devenue moins compétitive et il y a à cela des raisons parfaitement objectives.

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