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Intervention de Luc Scapinni

Réunion du 19 octobre 2011 à 11h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Luc Scapinni, secrétaire général de la Fédération des établissements et arsenaux de l'état – CFDT :

Le budget pour 2012 est présenté par le ministre comme un budget à la hausse, tel un défi en cette période de crise et d'austérité. La CFDT voudrait rappeler qu'un budget s'apprécie au terme de son exécution. En témoigne celui de 2011, raboté de 200 millions d'euros par le biais d'une loi de finances rectificative, et qui arrive d'ailleurs en tête des réductions budgétaires publiques.

La CFDT voudrait également faire remarquer que le budget pour 2012, en légère hausse, se traduit par une réduction de 7 432 postes.

Mais, depuis 2008, les budgets de la défense ne sont que le miroir des décisions politiques inspirées par la révision générale des politiques publiques et les conclusions du Livre blanc.

La CFDT voudrait donc attirer votre attention sur les conséquences de ces mesures au moment où nous entrons dans la deuxième période, prévue jusqu'en 2014.

Pour la CFDT, il est temps de faire une pause et de redéfinir les contours des besoins en défense de la Nation, certes en tenant compte des nécessaires économies et modernisations, mais sans ne poser que des initiatives à vocation comptable et sans en avoir mesuré les effets sur les femmes et les hommes de la communauté de défense, qu'ils soient civils ou militaires ou encore sur les programmes, qui impacteront le rang même de la France, au sein de l'Europe comme de l'OTAN.

Pour la CFDT, le chiffre théorique d'une suppression de 54 000 postes d'ici à 2014 doit être reconsidéré. De l'aveu même du chef d'état-major des armées lors de son audition par votre commission le 29 juin dernier, la réforme a réduit les effectifs civils et militaires de près de 34 000 postes. Pour les 20 000 restants, nous entrons dans le dur de la réforme puisque cela ne correspondra plus à des dissolutions d'unité.

L'amiral Guillaud reconnaît à mots couverts que, avec plus de six théâtres d'opérations – sans parler des missions confiées aux forces prépositionnées – l'arc de crise, mal anticipé par le Livre blanc, met nos armées à rude épreuve.

La nouveauté est de considérer comme un théâtre d'opérations la piraterie dans l'Océan indien. Si nous sommes tous d'accord sur la nécessité, pour résoudre la situation, d'accords bilatéraux avec les pays concernés, souvent très pauvres, il n'en demeure pas moins que 600 marins, dont la presse parle peu, sont détenus comme otages et que, pour assurer leur protection, les armateurs se tournent vers des sociétés privées, lesquelles, a priori en recherche de contrats, ne feront que provoquer une escalade de violence au large de la Somalie.

La CFDT, qui tire le signal d'alarme depuis de nombreux mois sur le développement des sociétés militaires privées, ne peut que constater l'expansion de ce phénomène alors que les moyens de la Marine nationale sont considérablement réduits par les budgets successifs. Au passage, la question du deuxième porte-avions reste posée au regard de la multiplication des missions de sécurité à assurer. Elle a du reste été abordée devant vous le 14 octobre dernier par le chef d'état-major de la Marine.

Puisque nous parlons de bâtiments de surface, quelques mots sur DCNS. Je ne reviendrai pas sur les effets dévastateurs des politiques de management en cours, à visée matricielle, ni sur les problèmes de partage des bénéfices du groupe, lequel ne respecte pas le principe des trois tiers souhaité par le Président de la République. Pourtant, l'État est bien l'actionnaire majoritaire… Il en est de même d'ailleurs du côté de Nexter.

Je vous sensibiliserai plutôt sur l'absence totale de dialogue social entre le ministère de la défense, DCNS et les représentants syndicaux, à propos de textes en gestation qui vont concerner plus de 40 % des salariés. Je parle de deux projets de décrets, l'un sur une indemnité de départ volontaire pour les ouvriers de l'État, l'autre pour les salariés appelés à travailler dans des filiales et pour lequel il est prévu de modifier le décret du 3 mai 2002 sur les conditions de mise à disposition des personnels de l'État auprès de DCNS. Si DCNS a des besoins urgents au regard de projets avec les Allemands pour l'activité « torpilles », le dialogue social, lui, ne doit pas être torpillé !

Sur l'indemnité de départ volontaire mise en place à DCNS, la CFDT ne peut que blâmer la direction et le ministère qui, ignorant l'histoire, continuent à considérer les ouvriers de l'État comme un boulet.

Une inquiétude se fait jour, avec une direction qui prône maintenant la polyvalence, appliquant des recettes importées du secteur de l'automobile. Il en va pourtant de la sécurité des marins, pour les sous-marins par exemple.

Toujours sur la question des externalisations, malgré les annonces d'un ralentissement par le ministre, nous ne pouvons que constater que, pendant que le dialogue social nous occupe avec les prestations de restauration-hébergement-loisirs ou encore le projet Habillement, des décisions sont prises sans concertation dans les domaines techniques. Je pense à l'attribution par la délégation générale de l'armement à un groupement de sociétés conduit par Alcatel-Lucent d'un contrat de partenariat avec l'État de 350 millions d'euros, portant sur la rénovation, la modernisation et l'exploitation des réseaux informatiques et de communication des bases de l'armée de l'air pour une durée de 16 ans.

Le projet Balard semble pharaonique au regard de la période de crise. Il est vrai que la mode est au partenariat public-privé. Pourtant, les Britanniques regrettent de s'être engagés dans cette expérience par le passé.

Plus près de nous, en France, le naufrage de l'hôpital sud-francilien, avec ses 500 millions d'euros de surcoût, ses 130 défauts majeurs, des factures qui s'envolent et des délais qui s'étirent, démontre les limites du partenariat public-privé.

Qui plus est, la prudence devrait être de mise dans le domaine de la défense. Ne joue-t-on pas aux apprentis sorciers avec les questions régaliennes ? N'engageons-nous pas l'avenir avec des contrats s'étalant sur 30 ans ? Les sociétés privées assumeront-elles demain les tâches dévolues aux militaires et aux personnels civils de la défense ? La question peut se poser au vu de l'extension sans fin depuis près de dix ans des domaines externalisés. Si les externalisations ont touché jusqu'à présent de nombreux services périphériques, comme les cantines ou l'entretien des locaux, elles concernent aujourd'hui des missions de sécurité et une lecture souple et fluctuante de la notion de « coeur de métier » permet au ministère de les justifier.

La défense va mal. Restructurations et réorganisations ont bousculé les équilibres de l'outil de défense.

La fin de la conscription et la professionnalisation des armées ont éloigné, d'année en année, les armées du monde citoyen à tel point que certaines personnalités publiques posent la question de l'utilité et du coût du défilé militaire du 14 juillet. Le chef d'état-major des armées s'est ému de l'indifférence, selon lui, des citoyens et de la Nation pour les soldats qui tombent en Afghanistan.

Si la CFDT demande une pause, elle demande également l'organisation d'états généraux de la défense, réunissant l'ensemble des composantes de la société civile, à même de recréer l'indispensable lien armées-Nation, de définir la défense que nous voulons et de dessiner les besoins pour la réaliser.

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