Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 20 octobre 2011 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2012 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Nous sommes dans une situation où un État cigale, ayant laissé dériver les déficits depuis neuf ans et commençant tout juste à les réduire, sert la vis aux collectivités locales qui sont obligées de s'ajuster puisqu'elles ne peuvent s'endetter que pour investir. D'une certaine façon, c'est le vice qui se finance sur le dos de la vertu, et la cigale qui impose aux fourmis que sont les collectivités locales des cures d'austérité qu'elles n'ont aucune raison de supporter parce qu'elles sont, quant à elles, correctement gérées.

Bien sûr, il faut réduire les déficits. Nous sommes, nous l'avons dit, favorables au respect du critère de 3 % en 2013 pour deux raisons. D'une part, il s'agit d'un engagement européen. D'autre part, lorsqu'on calcule le déficit public à atteindre pour arrêter l'explosion de la dette que connaît notre pays depuis des années – en 2012, elle sera à 86 % du PIB quand la croissance se situera probablement entre 1 % et 1,5 % – on obtient comme résultat, c'est un hasard, 3 %. Donc, oui, nous devons revenir rapidement à 3 % pour inverser l'explosion de la dette. Après quoi, nous pourrons continuer à réduire les déficits et mener une politique plus complète, plus astucieuse. Surtout, nous serons en mesure de mettre d'autres priorités en avant. Madame la ministre, on ne réduit jamais les déficits par une politique d'austérité, mais par une politique macroéconomique complète, adaptée à la situation conjoncturelle, une politique qui sache préserver l'emploi, la croissance et la hausse des revenus. Car faute d'emplois, de croissance et de revenus, les recettes fiscales ne seront pas au rendez-vous. Réduire les déficits suppose, en conséquence, d'être capable de maintenir la croissance. C'est ce que nous proposons.

Dans ce débat budgétaire, nous déclinerons nos propositions autour de trois piliers.

Le premier, c'est l'emploi. Alors que nous sommes dans la situation que l'on connaît, vous proposez de baisser le budget de l'emploi de 12 % pour l'année 2012. Nous suggérons, pour notre part, de mettre fin à cette arme de destruction massive de l'emploi qu'est la subvention aux heures supplémentaires.

J'ai souvent eu l'occasion de souligner que je ne comprenais pourquoi cette question des heures supplémentaires et de la réduction du temps de travail était toujours abordée dans notre pays de façon idéologique, alors qu'elle relève d'une politique conjoncturelle. Il est compréhensible de subventionner les heures supplémentaires dans un contexte de plein-emploi, comme dans les années 50 ou 60, même si c'était alors inutile puisqu'il allait de soi que pour accroître la production, il fallait davantage d'heures supplémentaires. Mais dans une situation de chômage massif, c'est une hérésie, une absurdité économique ! Cela n'a évidemment aucun effet sur la croissance, limitée par la demande, ni sur le revenu, car ce que vous croyez gagner sur ceux qui font des heures supplémentaires, vous le perdez sur ceux qui se retrouvent au chômage. Une étude intéressante de l'OFCE vient de le démontrer : dans une situation de sous-emploi, subventionner les heures supplémentaires n'a strictement aucun effet sur le revenu total, ce qui est gagné sur le revenu de ceux qui ont la chance d'avoir un emploi étant perdu sur ceux qui sont au chômage. Cette politique est donc totalement inefficace.

Il suffit de comparer les situations française et allemande dans cette période de crise pour comprendre la différence entre une politique intelligente, celle de l'Allemagne, et une politique absurde, celle conduite par le gouvernement français. Alors que vous avez dépensé 4,5 milliards tous les ans pour subventionner des heures supplémentaires, l'Allemagne a consacré, en 2009, 5 milliards au Kurzarbeit, le travail partiel massif, pour réduire le temps de travail, dont je rappelle qu'il est à 35,5 heures contre 38 heures en France. L'Allemagne a ainsi traversé une crise aussi massive que la nôtre tout en réduisant son chômage, qui était initialement identique au nôtre : 7,5 % à l'été 2008. Aujourd'hui, il est à 6 %, contre 10 % dans notre pays, tout simplement parce qu'elle a mené une politique intelligente. Quand l'économie mondiale a redémarré en 2010, même si cela n'a été que provisoire, la croissance de l'Allemagne a atteint 3 %. En effet, quand tous les salariés sont dans l'entreprise et non au chômage, l'économie peut redémarrer sans problème. Par conséquent, il faut supprimer ce dispositif absurde de subvention des heures supplémentaires et réserver 3 milliards sur ces 4,5 milliards à la création de 300 000 emplois d'avenir, comme nous le suggérons.

La deuxième réforme qui s'impose est celle de la justice fiscale. Que pèse la mesurette que vous allez prendre sur les hauts revenus au regard du cadeau fiscal de 1,8 à 1,9 milliard d'allégement de l'ISF que vous avez consenti à la veille de l'été ? Que pèsent ces 3 % ou 4 % de prélèvements supplémentaires quand la combinaison des niches fiscales et du prélèvement libératoire sur les revenus du capital aboutit à ce paradoxe que, dans notre pays, les dix plus hauts revenus sont imposés à moins de 20 % ? Mme Bettencourt pouvait effectivement signer en toute quiétude la pétition des riches pour être davantage imposée ! Son impôt passera peut-être de 15 % à 18 % ou 19 % de son revenu, mais il restera très loin de celui dont s'acquitte un cadre qui ne perçoit que le revenu de son travail, imposé en moyenne à 30 % !

En France, l'impôt sur le revenu est tellement mité que, plus on monte dans l'échelle des revenus, plus l'imposition diminue ! Cette situation est due aux niches qui intéressent, pour l'essentiel, les revenus de l'épargne. Elle est également due aux prélèvements libératoires, parce que les revenus du capital ne sont pas soumis au barème de l'impôt sur le revenu. Nous considérons donc qu'une réforme fondamentale de l'imposition sur les revenus est indispensable.

Nous devons commencer par supprimer presque toutes les niches et les prélèvements libératoires tels que celui sur les plus-values. Je me souviens de la discussion que nous avons eue sur ces bancs lors de l'examen d'un précédent collectif budgétaire : vous vous étiez longuement interrogés pour savoir s'il fallait les exonérer sur trente ans ou quinze ans, considérant toujours l'exemple d'un contribuable modeste assujetti au prélèvement de 19 % sur les plus-values. Quand les plus-values étaient soumises au barème, comme c'était le cas avant 2004, avant que vous n'inventiez ce prélèvement forfaitaire, leur imposition était juste. Les personnes au revenu imposant qui vendaient un appartement modeste étaient taxées en fonction du barème de l'impôt sur le revenu et les personnes modestes, donc non imposables, n'avaient rien à acquitter.

Ce débat qui a duré si longtemps prouve bien qu'il est juste que chacun paie en fonction du montant de son revenu quelle qu'en soit l'origine. Voilà la réforme fondamentale à conduire. Mes collègues du Nouveau Centre ont défendu des idées comparables sur ce point. Une fois nettoyées les niches fiscales, une fois alignée la fiscalité du capital sur celle du travail – ce que nous proposerons dans un amendement –, nous pourrons tout à fait porter le taux marginal à 45 % au-delà de 100 000 euros au lieu de cette taxe qui n'est qu'un prétexte pour faire oublier que vous avez quasiment supprimé l'ISF en juillet.

Enfin, il faut relancer durablement la croissance par une fiscalité qui favorise l'investissement plutôt que la distribution des dividendes. C'est pourquoi nous proposons d'abaisser l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis et de l'augmenter pour les bénéfices redistribués. Là encore, en matière d'impôt sur les sociétés, il faut supprimer toutes ces niches fiscales qui permettent aux plus grandes entreprises d'être très largement exonérées de l'impôt sur les sociétés, quand les petites supportent le taux facial de 33,3 %. Les PME paient à peu près 30 % de leur profit en impôt. Tous les rapports parlementaires et tous ceux du Conseil des prélèvements obligatoires mentionnent que, pour les entreprises de plus de 2 000 salariés, le taux effectif est de seulement 13 % et qu'il n'est que de 8 % pour celles du CAC 40. Et chacun sait que la plus grande entreprise de notre pays ne paie aucun impôt sur les sociétés en France ! Pour revenir à une justice fiscale, nous devons être économiquement efficaces.

Je dirai un mot de la situation européenne. Cette crise n'est pas une nouvelle crise, c'est la même qui revient, car, en dépit des grandes déclarations, rien n'a été résolu. L'Europe doit avancer dans une vraie régulation financière et dans une coordination des politiques économiques qui lui évite de s'enfoncer dans le cercle vicieux des politiques d'austérité. J'ai en tête la réforme courageuse que fit Roosevelt, après la crise, en 1933, assise sur trois grandes mesures : le New Deal – une protection sociale dans un pays qui n'en avait pas –, une forte imposition des revenus et, parallèlement, le Glass-Steagall Act, c'est-à-dire la séparation des activités de dépôt et des activités de spéculation des banques, partant de l'idée très simple que les banques ont une mission de service public, celle de gérer les dépôts et d'accorder des crédits, qui doit être préservée. J'observe qu'aujourd'hui, les États-Unis ont pris, même si c'est sous une forme différente, des mesures similaires en séparant les activités de dépôt des banques de leurs activités spéculatives, et que la Grande-Bretagne s'interroge. Il est temps que nous nous engagions dans cette voie. L'Europe a, comme notre pays, besoin de solidarité. Il est temps de réhabiliter le service public, parce que la solidarité est synonyme d'efficacité économique.

Pour conclure, je dirai un dernier mot sur le budget. Vous prétendez, madame la ministre, construire un budget pour gagner la confiance des marchés. Il est vrai qu'il y a longtemps que nos concitoyens ne vous accordent plus la leur. Mais, aujourd'hui, vous n'avez ni la confiance des Français ni celle des marchés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion