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Intervention de Françoise Milewski

Réunion du 24 mai 2011 à 11h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po :

Ce projet de décret pose à mes yeux deux problèmes majeurs.

D'abord, celui de la négociation. La loi sur les retraites dispose que « Les entreprises sont soumises à une pénalité lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle ou, à défaut, par le plan d'action ». Dans mon esprit, les mots « à défaut un plan d'action » se justifiaient par la nécessité de ne pas exclure du champ d'application de la loi les entreprises ne comportant pas de représentation syndicale. Il aurait été souhaitable que le décret d'application soit plus explicite, et précise la formule : « un accord avec les partenaires sociaux ou, à défaut – constaté par un procès-verbal de désaccord – un plan d'action ». L'égalité professionnelle devrait en effet faire partie intégrante de la négociation sociale, et il faut tout faire pour l'impulser.

Or la tendance actuelle est de mettre sur le même plan la négociation collective et le plan d'action unilatéral. Cette évolution des relations sociales est frappante.

Au total, le projet de décret est en retrait par rapport à l'article 99, par rapport à ce qui aurait été nécessaire après la loi de 2006 et aussi au regard des engagements pris à l'époque.

Un plan d'action n'est pas un accord. Les premiers bilans de la loi sur les seniors montrent que certaines entreprises se contentent de produire un plan d'action, sans objectif ambitieux, uniquement pour se conformer à la loi ! Je crois donc à la nécessité, d'une part, du rapport de situation comparée et de sa publication, d'autre part, de négociations avec les partenaires sociaux et de leur publicité. A défaut d'accord, l'entreprise ferait un plan d'action, mais, au moins, les choses seraient claires.

Le projet de décret pose ensuite le problème de la sanction financière.

Si l'Inspection du travail constate l'absence d'accord ou de plan d'action, l'entreprise aurait six mois pour se mettre en conformité avec la loi. Il suffira donc d'attendre le constat, et de réaliser alors un plan d'action. Il permettra à l'entreprise de ne pas être soumise à une sanction financière. Même si c'était le cas, c'est-à-dire si l'entreprise ne se mettait pas en conformité en réalisant un plan d'action, cette sanction ne porterait que sur les six mois de défaut de mise en oeuvre. J'ajoute que le nombre d'inspecteurs du travail est insuffisant et que le contrôle des infractions à l'égalité entre les femmes et les hommes n'est qu'une de leurs nombreuses tâches.

Enfin, le projet de décret prévoit que la sanction financière sera au maximum de 1 % des rémunérations et des gains ; mais ce principe de la modulation figurait déjà dans la loi.

Au total, après la loi de 2006 et la conférence de 2007, on est revenu « à la case départ » en matière d'égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes.

Les indicateurs du RSC avaient pourtant fait l'objet d'une réelle discussion au sein du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, dont un groupe de travail a d'ailleurs contribué à l'élaboration du diagnostic égalité professionnelle – document proche du RSC – élaboré par la CNAVTS et fourni aux entreprises de moins de cinquante salariés. Toutes ces démarches ont été constructives.

Je voudrais dire aussi quelques mots sur les autres sujets en cours de discussion. Le rapport de Françoise Guégot sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique comprend des dispositions très intéressantes sur l'accès aux emplois supérieurs et la transposition à la fonction publique de dispositions applicables au secteur privé. Il est évident que celle-ci ne doit pas rester à la traîne. J'espère qu'un projet de loi concrétisera les propositions du rapport. À cet égard, l'État peut donner l'exemple, en particulier s'agissant des emplois à la décision du gouvernement, pour lesquels la situation n'est pas meilleure que pour les autres emplois supérieurs : en la matière, une loi n'est pas nécessaire !

En ce qui concerne le temps partiel, la fameuse conférence tripartite, promise de longue date (elle devait se tenir dans la foulée de la conférence de novembre 2007), n'a malheureusement pas eu lieu. Elle fut enfin annoncée pour le mois de juin 2011, mais on ne voit rien venir. La question devrait être intégrée à la conférence sur le partage des responsabilités professionnelles et familiales ; mais, si la discussion des questions sur le partage des responsabilités et la parentalité est effectivement importante, elle ne devrait pas se substituer à l'engagement de négociations concrètes sur le temps partiel et la précarité, ni à l'engagement des pouvoirs publics sur ce problème.

La période actuelle est contradictoire à plusieurs titres.

D'un côté, les choses bougent. Des entreprises privées se mobilisent grâce à la mise en oeuvre de la loi sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d'administration. Beaucoup de réseaux de femmes voient le jour, et discutent des développements de carrière. Autres exemples, pêle-mêle : les syndicats développent la formation sur l'égalité entre les femmes et les hommes ; la recherche sur les questions de genre se renforce et de plus en plus d'enseignements traitent des inégalités entre les femmes et les hommes.

D'un autre côté, la grande agitation législative n'a débouché que sur la loi relative à la représentation des femmes dans les conseils d'administration – puisque celle sur l'égalité salariale est aujourd'hui vidée de son contenu par le décret – ; la loi sur la fonction publique se fait toujours attendre ; la conférence sur le temps partiel n'a pas lieu. On verra quelles mesures seront prises à l'issue de la Conférence de juin qui portera sur les stéréotypes et le partage des tâches.

Le temps partiel est pourtant un sujet crucial. Pourquoi ne pas taxer (ou faire perdre le bénéfice de certains avantages sur les bas salaires) les entreprises qui utilisent massivement des temps partiels très courts, de moins de quinze heures ?

De façon plus générale, dans un de mes articles publiés l'été dernier, je me suis interrogée sur les raisons pour lesquelles les politiques publiques étaient si peu suivies d'effet.

La première explication, certes simpliste, est le décalage entre le discours et sa mise en oeuvre. La deuxième est l'inertie des acteurs, notamment aux niveaux intermédiaires, qui, tant que les lois ne comporteront pas de sanction, continuera à bloquer toute évolution.

La seconde concerne la question de la cohérence des politiques publiques. Le développement du temps partiel, de la précarité, des petits boulots, est en partie le produit des politiques publiques, en particulier économiques, du fait de la déstructuration du marché du travail. C'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi les écarts de salaires ont cessé de se réduire depuis le début des années 1990. Par conséquent, il est impératif d'apprécier les politiques publiques d'égalité entre les femmes et les hommes y compris dans leurs composantes économiques.

En outre, il faut introduire dans le débat, l'évolution des structures familiales, avec l'accroissement du nombre de divorces et de séparations. L'incidence sur les retraites des femmes, par exemple, est importante : une femme qui a fait le choix du temps partiel se retrouvera, en cas de séparation, dans une situation de faible revenu puis de faible pension de retraite. Plusieurs études récentes de l'Institut national d'études démographiques (INED) montrent que certaines catégories de femmes seules seront pauvres à la retraite. Cette réalité, pour après-demain, n'est pas anticipée par les politiques publiques : il faudrait réfléchir au partage des droits à la retraite des conjoints en cas de divorce ou de séparation.

Il faut donc rediscuter de la question plus générale des politiques publiques.

Pour revenir d'un mot sur la fonction publique : la re-mise en oeuvre du RSC et des tableaux de bord statistiques est nécessaire, car les changements de méthodologie ont opacifié le constat, et l'obligation de déposer tous les deux ans un rapport de situation comparée aux assemblées parlementaires n'est plus respectée. Il faudrait aussi transposer les mesures favorisant l'accès aux emplois de direction (objectifs chiffrés, comme proposé par Mme Françoise Guégot), car pourquoi demander au secteur privé ce qui n'existe pas dans la fonction publique ?

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