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Intervention de René Dosière

Réunion du 29 juin 2011 à 21h30
Modification de l'article 121 de la loi organique n — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière :

Mon cher collègue, vous connaissez parfaitement le statut de la Nouvelle-Calédonie. Mais les Français de métropole ne le connaissent pas nécessairement !

Deuxième particularité : la citoyenne calédonienne permet également d'obtenir une priorité d'emploi.

Troisième particularité : la possibilité est ouverte au congrès de Nouvelle-Calédonie de voter des lois du pays ayant force de loi et donc qui sont soumises directement au Conseil constitutionnel dans une douzaine de matières, comme la fiscalité, le droit social, l'exploitation des ressources minérales, donnant d'ailleurs, comme le soulignait le rapporteur, une dimension fédéraliste à notre République.

Quatrième particularité : la constitution d'un Gouvernement fonctionnant de manière collégiale et non majoritaire, élu au scrutin proportionnel, de manière à représenter les forces indépendantistes et non indépendantistes.

Cinquième particularité : la reconnaissance et la préservation de l'identité kanake se caractérisant par le recours aux statistiques ethniques.

Sixième et dernière particularité : des transferts de compétences irréversibles, quel que soit l'avenir du territoire.

Toutes ces singularités, qui mettent à mal le caractère jacobin de notre tradition républicaine, ont nécessité une modification de notre Constitution pour les rendre opératoires. Elles sont justifiées par un seul motif : la Calédonie s'inscrit dans un processus de décolonisation pacifique, comme le reconnaît le préambule de l'accord de Nouméa dont je citerai des passages.

« La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d'établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps.

« Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales. Si l'accession des Kanaks aux responsabilités demeure insuffisante et doit être accrue par des mesures volontaristes, il n'en reste pas moins que la participation des autres communautés à la vie du territoire lui est essentielle.

« Il est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun.

« La taille de la Nouvelle-Calédonie et ses équilibres économiques et sociaux ne permettent pas d'ouvrir largement le marché du travail et justifient des mesures de protection de l'emploi local. Les accords de Matignon signés en juin 1988 ont manifesté la volonté des habitants de Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité.

« Dix ans plus tard, il convient d'ouvrir une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité kanake, préalable à la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté.

« Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun. »

L'article 121 du statut de la Nouvelle-Calédonie qu'il est proposé de modifier est celui qui permet le respect de la collégialité, puisque le retrait d'une composante entraîne la chute du gouvernement. C'est ce qui s'est passé le 17 février 2011 avec la démission des membres de l'Union calédonienne qui a entraîné le renversement du gouvernement de Philippe Gomès, élu en mai 2009.

Ce dernier a décidé d'utiliser, à son tour, le dispositif de l'article 121 de manière répétitive, ce que le Conseil d'État a qualifié de « manoeuvre électorale ».

Pour sortir de cette situation de blocage puisque, depuis le mois de février les gouvernements successifs ne font qu'expédier les affaires courantes, le Gouvernement a finalement proposé le texte dont nous discutons ce soir, qui a été adopté à l'unanimité par le Sénat et que l'Assemblée nationale devrait adopter conforme, ce qui accélère sa mise en application.

En nous proposant ce texte, le Gouvernement n'a pas totalement suivi la position majoritaire du congrès de Nouvelle-Calédonie qui s'opposait au remplacement des membres démissionnaires. Mais cette disposition était manifestement contraire à l'accord de Nouméa et donc à la Constitution.

Je voudrais évoquer maintenant la question des deux drapeaux.

À côté de l'hymne et de la devise, désormais officialisés par une loi du pays, l'accord de Nouméa prévoit parmi les signes identitaires un drapeau de la Nouvelle-Calédonie.

Compte tenu de la symbolique des deux drapeaux pendant les troubles de 1984-1988, la recherche d'un drapeau commun est apparue très difficile. Un groupe de travail n'a pas abouti. La plupart des indépendantistes ne veulent pas abandonner leur drapeau issu des luttes. Les non-indépendantistes ne veulent pas de ce drapeau. Un compromis sur un drapeau de type Commonwealth, avec le drapeau tricolore dans un coin n'a pas été non plus possible.

Notre collègue Pierre Frogier a alors proposé que les deux drapeaux, national et indépendantiste, soient désormais hissés côte à côte. L'Union calédonienne s'est ralliée à cette solution des deux drapeaux juxtaposés, en commentant qu'en tout cas le drapeau indépendantiste ne descendrait plus. De son côté, Pierre Frogier explique qu'aucun des deux ne descendra plus.

Comme un double drapeau ne peut passer pour le drapeau, signe identitaire unique prévu par l'accord de Nouméa, le comité des signataires de juin dernier a retenu cette solution comme une avancée politique, en attendant que l'on trouve éventuellement ce signe commun auquel il n'a pas été formellement renoncé.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a donc voté un voeu sur ces deux drapeaux et non la loi du pays nécessaire, selon la loi organique, pour adopter un signe identitaire, loi du pays dont le Conseil d'État, qui donne un avis sur les projets, et le Conseil constitutionnel, qui peut être saisi de leur conformité à la Constitution, auraient certainement jugé qu'elle était contraire à une orientation de l'accord de Nouméa et donc à la Constitution.

Sur le terrain, la mise en oeuvre de ce voeu a eu lieu. Sur les bâtiments qui portaient un drapeau tricolore a été hissé le drapeau indépendantiste. C'était déjà le cas sur ceux des provinces et mairies indépendantistes. On voit donc le drapeau indépendantiste flotter sur la mairie de Nouméa.

Surtout, le Premier ministre, venu en Nouvelle-Calédonie en juillet dernier, a assisté, en présence des parlementaires et de la plupart des élus, et après une cérémonie coutumière, à la levée du drapeau indépendantiste sur le Haut-commissariat de la République, ce qui a eu naturellement une grande signification symbolique.

Dans ce climat plutôt apaisé mais qui ne résout pas la question du drapeau unique que prévoit l'accord de Nouméa, des réticences sont apparues au sein de Calédonie ensemble, provoquant la crise actuelle.

Il est vrai que, depuis 1999, la vie politique en Nouvelle-Calédonie, comme l'a rappelé incidemment le rapporteur, s'est complexifiée et diversifiée. Le RPCR s'est scindé en plusieurs partis et le FLNKS, le Front de libération nationale kanak et socialiste, qui a toujours été une fédération de partis indépendantistes, a perdu de son autorité, au point que chacune de ses composantes fonctionne de manière beaucoup plus autonome. On constate également l'apparition classique de divergences entre les cadres des partis et les élus.

Alors que nous avions deux positions, deux directions en 1999, chaque camp ne présente plus désormais une position commune. La meilleure preuve en est d'ailleurs la composition du comité des signataires qui comprend de moins en moins de signataires et de plus en plus de non-signataires.

Quoi qu'il en soit, il ne nous appartient pas de nous immiscer dans la vie politique interne de la Calédonie. Notre rôle est de veiller à ce que le processus de décolonisation engagé par les accords de Matignon, poursuivi par l'accord de Nouméa, soit conforme aux accords que le Parlement a validés de manière consensuelle.

Nous allons progressivement vers la fin de la période prévue par l'accord de Nouméa. En 2018 au plus tard, en 2015 au plus tôt, la population de Calédonie devrait s'exprimer sur l'accession ou non à la souveraineté.

Plus on se rapprochera de cette échéance, plus l'incertitude gagnera. Il convient donc, me semble-t-il, d'anticiper l'après Nouméa, comme l'avait fait en 1998 Jacques Lafleur, d'autant que les dispositions constitutionnelles sont elles aussi liées à ces échéances.

À cet effet, trois conditions doivent être remplies.

Premièrement, il convient de disposer du bilan que l'État s'est engagé à faire réaliser par des experts indépendants, sous la conduite d'un comité de pilotage. Le calendrier prévu en juin 2010 lors du dernier comité des signataires est largement dépassé. Les résultats ne sont toujours pas connus. Il serait intéressant, madame la ministre, que vous puissiez nous indiquer où nous en sommes sur ce point.

De même, il avait été décidé la mise en place d'un autre comité de pilotage des travaux d'experts, pour inventorier les problèmes juridiques de la sortie de l'accord de Nouméa, notamment l'étude des exemples étrangers. Où en est la constitution de ce comité ?

Deuxièmement, aucune interférence ne doit se produire entre les échéances électorales nationales de 2012 et la réflexion sur l'après Nouméa. C'est une condition indispensable si l'on veut préserver le consensus politique qui a été obtenu jusqu'à présent sur la Nouvelle-Calédonie. Ce consensus est fondamental si l'on veut réussir cette décolonisation pacifique.

Troisièmement, pour maintenir ce consensus national, il importe également d'associer davantage le Parlement à l'évolution de l'avenir de la Calédonie qui ne peut être laissé à la seule initiative des instances locales.

Voilà plusieurs années déjà que je réclame – en vain jusqu'à présent – la création d'une mission d'information qui permettrait d'associer l'ensemble des partis politiques nationaux sur un sujet aussi sensible et important. Le Parlement ne saurait se contenter de voter les textes qu'on lui présente sans avoir une réflexion autonome sur le sujet. La préparation politique de l'après Nouméa pourrait être l'objectif d'une telle mission.

Mes chers collègues, plus jamais la Nouvelle-Calédonie ne doit connaître les drames qui l'ont endeuillée, qui n'étaient dignes ni d'elle ni de la France. Il nous revient d'aller à l'essentiel : effacer les blessures de l'histoire par une décolonisation sans rupture. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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