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Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 31 mai 2011
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN :

Une des caractéristiques du système français de sûreté nucléaire et de radioprotection est de faire davantage référence à la notion d'état de l'art qu'à celle de conformité à des textes précis. Issu en 2001 d'une initiative parlementaire et conçu pour être un socle de moyens d'expertise scientifique à la disposition des pouvoirs publics, l'IRSN est un organisme indépendant à la fois des exploitants nucléaires et de ceux qui développent les technologies et fournissent un appui technique, comme le CEA. La loi de 2006 a complété le dispositif avec la création de l'ASN, autorité administrative indépendante avec laquelle s'est établi un dialogue. On peut même parler de « quadrilogue » si l'on inclut les commissions locales d'information (CLI) et le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

Ce dispositif repose sur deux piliers, un pilier régalien et un pilier scientifique. J'observe qu'un certain nombre de pays – et de responsables – vivent dans l'illusion que créer une autorité de sûreté, voter des textes et avoir un exploitant à qui l'argent ne manque pas suffit à assurer le contrôle de sûreté. Or rien n'est plus faux. Avoir un exploitant riche mais dépourvu des compétences nécessaires ou mal organisé est une situation potentiellement dangereuse, tout comme le fait d'avoir un organisme de sûreté dépourvu des moyens scientifiques et techniques de son appréciation. Il faut donc ces deux piliers – on ne peut faire la sûreté nucléaire à moitié – et la France a la chance d'avoir pensé à s'en doter à la grande époque de la politique nucléaire. Il va de soi que les exploitants constituent un troisième pilier.

Pour entretenir une capacité scientifique et technique, il ne suffit pas de disposer d'experts : il faut être capable de hiérarchiser les problèmes, de parvenir à des jugements globaux et d'entretenir un savoir-faire scientifique, ce qui suppose un effort de recherche permanent car les technologies et les connaissances évoluent. Pour être au niveau des grands exploitants, il faut donc disposer de moyens de recherche suffisants. Mais il faut aussi être capable d'analyser très précisément les événements qui se produisent en matière de sûreté dans le monde. En effet, le savoir-faire scientifique ne se fonde pas seulement sur la recherche : il repose également sur la compréhension et l'interprétation de ce qui se passe au quotidien dans les installations. Il faut enfin gérer toutes ces connaissances, c'est-à-dire faire en sorte qu'elles soient opérationnelles et que les experts travaillent ensemble, non seulement dans notre pays mais aussi à l'échelle internationale.

Ce travail suppose des ressources financières et humaines adéquates. Or les budgets disponibles n'ont pas augmenté dans les deux dernières décennies, ce qui veut dire que les moyens ont diminué. Au moment du lancement du grand emprunt, j'ai émis l'idée que la recherche sur la sûreté nucléaire pourrait bénéficier de crédits : on m'a répondu que beaucoup avait déjà été fait. Depuis Fukushima, l'attitude a changé ! J'ai en tête des sujets de recherche précis, comme la maîtrise des accidents de criticité. Les dernières installations qui existent dans le monde sont en effet menacées de fermeture. Les États-Unis sont prêts à cofinancer 50% de l'investissement en France, car ils ont détruit leurs installations, mais nous avons toutes les peines du monde à trouver les quelques millions d'euros nécessaires à la rénovation de cette installation. Même en France, la tentation de faire des économies sur la sûreté nucléaire existe ! Ce n'est pas une bonne orientation.

Une des manières de faire face au problème est de travailler à l'échelle internationale. Le contrat d'objectifs de l'IRSN prévoit que l'expertise de sûreté nucléaire peut et doit être traitée à l'échelle européenne et internationale – ce qui est un gage d'harmonisation, d'économie et d'efficacité. Nous avons donc fondé en Europe une association des organismes d'appui technique (TSO), l'European technical safety organisations network (ETSON), dont est également membre l'organisme japonais d'appui technique. Nous avons l'ambition de lancer avec l'AIEA, lors de la conférence générale en septembre prochain, un forum mondial des TSO. Il faut promouvoir l'idée selon laquelle tous les pays doivent disposer d'une expertise technique – même ceux qui n'ont que quelques installations. La coopération internationale doit donc se développer en matière de recherche comme en matière de traitement des incidents, et l'expertise être mise à la disposition de ceux qui en ont besoin. La France a 58 réacteurs, le CEA, AREVA… Mais les Pays-Bas, pour prendre un exemple européen, n'ont qu'un réacteur de recherche, à Petten, et un réacteur électrogène ancien. Ils souhaitent continuer à utiliser l'énergie nucléaire, mais ne seront jamais un grand pays nucléaire. Il faut donc poursuivre dans la voie de la coopération si l'on veut que la sûreté nucléaire soit présente dans tous les pays européens avec le même niveau d'efficacité – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La mise en réseau des organismes européens avec l'appui de la Commission est donc une façon intelligente de construire l'Europe et d'assurer à tous les citoyens de l'Union une égalité devant le risque nucléaire.

Mon propos se veut donc un plaidoyer pour le maintien, voire le développement de l'effort de recherche, ainsi que pour le renforcement du pilier international, source d'économie, d'efficience et d'égal traitement des citoyens au regard du risque nucléaire et radiologique.

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