Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Laurent Stricker

Réunion du 31 mai 2011
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Laurent Stricker, Chairman de World Association of Nuclear Operators, WANO :

La World Association of Nuclear Operators (WANO) est une association mondiale des exploitants nucléaires qui a été créée en 1989, peu après l'accident de Tchernobyl. Sa mission consiste à porter au niveau maximum la sûreté et la fiabilité des installations nucléaires des centrales à vocation commerciale dans le monde entier, en faisant travailler ensemble les exploitants pour évaluer, comparer et améliorer de façon continue la performance de ces installations en matière de sûreté. Ses principes sont le support mutuel, l'échange d'informations et l'émulation.

WANO compte une centaine de membres. Il s'agit des compagnies d'électricité qui exploitent les 440 réacteurs actuellement en service dans le monde. Elle est dirigée par un conseil d'administration que j'ai l'honneur de présider, composé de personnalités de haut niveau : chief nuclear officers, chefs d'entreprise ou responsables du nucléaire des entreprises en question. Quatorze pays y sont représentés. La structure de l'association est régionale : outre le support international, basé à Londres, elle comporte quatre centres, dotés d'un conseil d'administration régional et d'une petite équipe. Au total, elle compte environ 150 ingénieurs, qui sont détachés par ses membres. Je précise que tous les opérateurs des centrales nucléaires commerciales sont membres de WANO, ce qui est important puisque la sûreté nucléaire est équivalente à celle du maillon le plus faible. L'organisation en quatre régions permet de prendre en compte les différentes cultures qui existent de par le monde. C'est un point important : le mot « transparence », par exemple, n'a pas le même sens dans tous les pays et évolue dans le temps.

L'action de WANO repose sur un « autocontrôle » permanent de l'ensemble des opérateurs, sur la base de peer reviews. Il s'agit d'ausculter une installation nucléaire, une compagnie dans son ensemble ou un réacteur qui démarre, et ce pendant trois semaines, avec 15 à 20 ingénieurs. Nous organisons une quarantaine de peer reviews chaque année, sans compter celles des réacteurs qui vont démarrer, dont le nombre tend à s'accroître.

Ces peer reviews sont alimentées par le retour d'expérience des membres de la WANO, lequel constitue une véritable banque de données, et par des indicateurs de performance qui concernent essentiellement le domaine de la sûreté : nombre d'arrêts automatiques, fiabilité des équipements de sauvegarde, par exemple

A l'issue de la peer review, un plan d'action est proposé par l'opérateur pour prendre en compte les points qui méritent amélioration. On peut dire qu'il s'agit du diagnostic médical, du traitement consistant dans les missions de support technique que propose WANO, qui dispose des meilleures compétences mondiales, afin de corriger la faiblesse identifiée.

Ces missions peuvent prendre la forme d'envoi d'experts, de séminaires ou de formations ciblées.

Une visite de suivi permet enfin de s'assurer que les points qui méritaient amélioration ont bien été pris en compte. Si tel n'est pas le cas, un plan d'action complémentaire est mis en oeuvre.

La fréquence minimale que les membres de WANO s'engagent à respecter pour ces peer reviews est de six ans. C'est beaucoup trop long : même si, pour la plupart d'entre eux, cette fréquence s'établit plutôt à quatre ans, voire deux, ce qui est raisonnable si l'on tient compte de la visite de suivi, nous proposerons une amélioration sur ce point lors de notre prochain congrès en octobre.

Qu'a fait WANO après le 11 mars ? Notre organisation n'a pas vocation à faire face à un accident, mais à améliorer le niveau de sûreté. Ainsi, elle ne dispose pas d'un centre de crise. Nous avons fourni une information technique périodique à nos membres. Même s'il n'a pas été facile d'obtenir des informations fiables, nous avons pu informer quotidiennement chacun de nos membres pendant trois à quatre semaines sur l'état des réacteurs et des piscines ou les contaminations à l'extérieur de ces dernières. Nous avons également envoyé des ressources dans notre centre de Tokyo et participé au recensement des matériels de secours disponibles, qui ont été proposés – avec un succès relatif – à l'exploitant.

Nous avons également établi en un temps record un document appelé SOER (rapport de retour d'expérience en exploitation), qui a été émis le 17 mars, soit six jours après l'accident. Nous avons travaillé avec nos collègues de l'Institute of Nuclear Power Operations (INPO), l'institut américain de sûreté nucléaire. Nous avons adressé à chacun de nos membres un document leur demandant de vérifier sous un mois et demi leurs capacités à faire face à un black out, à une perte totale des alimentations de refroidissement et, de façon générale, à un événement allant au-delà de ceux pris en compte lors de la conception, et de nous préciser ce qui était prévu pour gérer ces situations accidentelles. À l'heure où je vous parle, tous les exploitants, sauf un, ont répondu.

WANO a également publié quelques communiqués de presse, avec des interviews de responsables dans les différentes régions du monde. Enfin, une commission interne a été mise en place pour proposer à nos membres un certain nombre d'améliorations, sur lesquelles je reviendrai.

Les trois grandes fonctions de sûreté sont le contrôle de la réactivité, le contrôle du refroidissement du combustible, y compris après l'arrêt, et le contrôle du confinement des matières radioactives. L'accident de Tchernobyl est lié à une perte de contrôle de la réactivité, perte qui s'est traduite par une destruction totale du confinement. Ceux de Three Mile Island et de Fukushima ont pour origine l'incapacité à évacuer la puissance résiduelle accumulée lors du fonctionnement des installations. Vous devez savoir, d'autre part, que le confinement n'a pas pleinement joué son rôle à Fukushima.

Que peut faire WANO dans ce contexte ? Peut-être faudrait-il mettre en place une organisation de crise pour faciliter le travail du centre sur lequel se produit un accident, ainsi que les échanges d'information montante – depuis la centrale accidentée – ou descendante – et des propositions d'appui. Il conviendrait, par ailleurs, de vérifier la capacité des sites à gérer les situations d'urgence, en élargissant le champ d'investigation des peer reviews à la gestion de crise et au contrôle du stockage – en eau ou sec – des combustibles. Il faudrait enfin vérifier certains aspects de conception.

Nous n'avons certes pas l'expertise suffisante pour procéder à une vérification complète, mais nous devrions pouvoir vérifier que les modifications de conception engagées à la suite d'un accident ont bien été prises en compte. M. Lacoste a indiqué tout à l'heure qu'après TMI, il avait fallu une dizaine d'années pour le retour d'expérience. Pour ma part, je parlerai du double, un certain nombre d'actions n'ayant pas été prises en compte par l'ensemble des exploitants nucléaires. Plus que jamais, ceux-ci se doivent de se prendre en main !

J'en viens à la coopération internationale.

WANO opère donc un contrôle de ses propres membres, qui se fonde notamment sur les retours d'expérience. Nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre d'organisations : l'INPO aux États-Unis, le Japan Nuclear Technology Institute (JANTI), au Japon, la World Nuclear Association (WNA), organisation internationale qui s'apparente à une organisation de lobbying, le World Energy Council ou encore le Nuclear Energy Institute (NEI), organisation américaine. Nous collaborons également, bien entendu, avec l'AIEA qui, ayant défini des standards, a un rôle à jouer en matière d'harmonisation des pratiques entre les gouvernements et les autorités de sûreté. Il n'y a cependant pas de doublon : l'AIEA est une organisation intergouvernementale, tandis que WANO est une organisation de producteurs.

Il serait souhaitable de renforcer le rôle de l'AIEA à l'échelle mondiale. En tant que chairman de WANO, j'ai eu des difficultés – c'est un euphémisme – à obtenir des informations rapides de l'exploitant TEPCO lors de l'accident de Fukushima. En cas de crise, ces informations sont en effet du ressort de l'État, et l'exploitant n'a pas l'autorisation de les donner. Il faut modifier cette règle, dans l'intérêt même de la sûreté.

WANO doit sortir renforcée de Fukushima. Il faut qu'elle ait un rôle contraignant – si vous me permettez ce terme – vis-à-vis des opérateurs. La remarque qu'a faite M. Lacoste au sujet des stress tests pourrait en effet s'appliquer aussi à la prise en compte des retours d'expérience.

Dans la mesure où elle regroupe tous les exploitants nucléaires du monde, sans exception, WANO dispose d'une réelle compétence en matière nucléaire, au niveau de l'exploitation comme en cas de crise. J'insiste donc pour qu'elle participe à toutes les instances traitant de l'analyse de Fukushima, et je me félicite qu'elle soit invitée à la conférence de l'AIEA du 20 juin prochain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion